Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le Clerc de Lampaul

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LE CLERC DE LAMPAUL
Première version
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I

  Le petit clerc de Lampaul et sa maîtresse
(Sont) les deux plus beaux jeunes gens de Morlaix. (bis)

  Le petit clerc de Lampaul souhaitait le bonjour,
En arrivant chez le vieux Le Calvez :

  — Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Fiecca Le Calvez où est-elle ?

  — Elle est là-bas dans la chambre blanche,
À peigner ses cheveux blonds ;

  Elle est dans la chambre blanche, à l’extrémité de la maison,
Clerc de Lampaul, allez auprès d’elle.

  Le clerc de Lampaul disait
À Fiecca Le Calvez, en la saluant :

  — Ma douce jolie, dites-moi,
Viendriez-vous avec moi à l’aire-neuve ?

  — À l’aire-neuve je n’irai pas,
Je suis menacée par le marquis.

  — (Le trouve) bon ou mauvais qui voudra,
À l’aire-neuve nous irons ;

  Si le sonneur (ménétrier) sonne, nous danserons.
S’il ne sonne pas, moi je chanterai.[1]

II

Le marquis de Guerrand demandait
À un vieillard qu’il rencontra :

  — Mon petit vieux père, dites-moi,
N’avez-vous pas vu le clerc ?

  — Monsieur le marquis, excusez-moi,
Je ne sais quel clerc vous demandez.


  — Je vous excuse pour une fois,
C’est le clerc de Lampaul que je demande.

  — Le clerc est allé à l’aire-neuve,
Ayant Fiecca Le Calvez à son côté.

  Il porte un habit de satin gris,
Plus beau que le vôtre, marquis ;

  Il a des rubans sur ses souliers
Plus beaux que ceux que vous avez à vos manches ;

  Elle porte une robe blanche,
Ô Dieu, la jolie jeune fille !

III

  Le seigneur marquis disait
Au clerc de Lampaul, dans l’aire-neuve ;

  — Mettons bas nos pourpoints,
Pour commencer les luttes.

  — Monsieur le marquis, excusez-moi,
Je n’irai pas lutter contre vous ;

  Faites venir un paysan vis-à-vis de moi,
Et je lui mettrai hardiment la main au collier.

  Il n’avait pas fini de parler.
Le clerc de Lampaul, qu’il était à terre ;

  Et sept épées nues (occupées) à le tuer,
Le seigneur marquis étant présent.

  Le seigneur marquis disait
À Fiecca Le Calvez, là, en ce moment :

  — Ma petite douce jolie, dites-moi,
Viendrez-vous avec moi à Lisandré ?[2]

  — À Lisandré je n’irai pas,
Vous avez tué celui que j’aimais le plus ;

  Vous avez tué celui que j’aimais le plus,
Tuez-moi aussi, quand il vous plaira.

  Elle n’avait pas fini de parler,
Fiecca Le Calvez, qu’elle était à terre,


  Et sept épées nues (occupées) à la tuer,
Le seigneur marquis étant présent !

IV

  Le seigneur marquis disait
En quittant l’aire-neuve :

  — Je voudrais voir le feu dans Guerrand,
Et les deux jeunes gens en vie !

  Il n’y avait aucune fille dans le pays
Qui me plût autant que celle-ci.


Chanté par Marguerite Philippe.






LE CLERC DE LAMPAUL
Seconde version
________


I

  Le clerc de Lampaul disait,
En arrivant chez le vieux Le Calvez :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où est ma douce Fiecca ?[3]

  — Elle est de ce côté, dans la chambre blanche,
À détirer le linge blanc ;
À détirer le linge blanc.
Et à peigner ses cheveux blonds.

  Quand le clerc de Lampaul entendit (cela),
Il monta l’escalier tournant ;
Il monta l’escalier tournant
Et salua sa douce jolie.

  — Bonjour à vous, ma douce Fiecca,
J’ai la permission de votre père ;
J’ai la permission de votre père,
Pour aller tous les deux aux ébats ;

  J’ai la permission de votre père,
Pour aller tous les deux à l’aire-neuve.
— Quant à l’aire-neuve, je n’y irai pas,
Je suis menacée par Locmaria.

  Laissez Locmaria (aller) où il voudra,
Pour nous, nous irons à l’aire-neuve.
— Quant à l’aire-neuve, je n’y irai point,
Je suis menacée par Locmaria.

  — Se fâche qui voudra,
À l’aire-neuve nous irons ;
À l’aire-neuve nous irons,
Et lundi ou mardi nous nous marierons !

II

Le marquis de Locmaria disait,
En descendant à l’auberge :
— N’avez-vous pas vu, aujourd’hui,
Le clerc de Lampaul passer par ici ?


  — Par ma foi, il est allé à l’aire-neuve,
Ayant celle qu’il aime à son côté ;
Elle porte une robe de satin blanc…
Dieu, la jolie jeune fille !

  Lui porte un habit de satin gris,
Le plus beau jeune homme que jamais je vis !
Ils sont portés par deux haquenées blanches,
Avec brides d’argent en tête !

III

  Le marquis de Locmaria disait
En arrivant à l’aire-neuve :
— En quel coin de cette aire
Est le clerc de Lampaul à danser ?

  — Il est là-haut,
Et celle qu’il aime est avec lui.
Le marquis de Locmaria disait
Au clerc de Lampaul, là, en ce moment :

  — Mettons bas nos justaucorps,
Pour commencer les luttes.
— Je n’irai pas lutter contre vous,
Jouer de l’épée, je ne dis pas.

  Il n’avait pas fini de parler,
Que dix-huit épées nues furent dégainées.
Dix-huit épées nues furent dégainées,
Celle du marquis la dix-neuvième.

  Le marquis de Locmaria disait
Au clerc de Lampaul, ce jour-là :
— Jetons nos épées de côté,
Et soyons amis de nouveau.

  Le clerc était un homme tiède,
Et il jeta son épée à terre ;
Il jeta son épée à terre,
Le marquis de Locmaria ne jeta pas la sienne.

  Le marquis de Locmaria ne jeta pas la sienne.
Mais il la passa au travers du corps du clerc…
Fiecca Le Calvez pleurait.
Et elle ne trouvait personne pour la consoler ;


  Elle ne trouvait personne pour la consoler,
Si ce n’est le marquis, celui-là le faisait : —
Taisez-vous, Fiecca, ne pleurez pas,
Vous viendrez avec moi à Guerrand.

  — J’aimerais mieux mourir subitement
Que de passer une nuit à Guerrand :
Puisque vous avez tué celui que j’aimais,
Au nom de Dieu, tuez-moi aussi !…[4]


Chanté par Jeanne Le Gall, Servante à Keramborgne (Plouaret) — 1849.








  1. Ces quatre vers se trouvent dans plusieurs autres pièces, en pareille situation.
  2. Ce doit être une erreur de la chanteuse pour Guerrand, le château de Guerrand qu’habitait le marquis dans la commune de Plœgat-Guerrand, arrondissement de Morlaix.
  3. Les deux versions de ce gwerz se chantent sur des airs différents.
  4. Il y a dans la section de Kerhallon, en la commune de Ploegat-Guerrand, une ferme appelée « Leur ar c’hloarek » « l’aire du clerc », et que la tradition indique comme la théâtre de cette sanglante tragédie.

    M. G. Le Jean, le voyageur géographe, qui était de Ploegat-Guerrand, a recueilli une version de ce gwerz, qui se termine ainsi ;

    Deux ou trois mois après, d’étranges nouvelles arrivèrent à Guerrand :
    Une lettre arriva au marquis, pour lui ordonner de se rendre à Paris :
    Pour lui ordonner de se rendre à Paris ; Je ne crois pas qu’il en revienne,