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Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le Comte Guillou (première version)

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LE COMTE GUILLOU[1]
Première version.
________


I

  Je vois le comte Guillou sur le chemin, revenant à la maison,
Et devant lui, quatre cents cavaliers ;

  Et devant lui, carrosse, carrioles,
Pour aller épouser la demoiselle de Poitou….

  La vieille dame disait, un jour, à sa fille aînée :
— Seigneur Dieu, ma fille il y a désolation ici !

  Je vois le comte Guillou sur le chemin, revenant à la maison,
Et devant lui, quatre cents cavaliers ;

  Et devant lui, carrosse, carrioles.
Pour venir vous épouser, demoiselle de Poitou !… —

  — Prenez, ma mère, dit-elle, prenez mes clefs,
Et allez à mon comptoir choisir des parures ;

  Apportez mes plus beaux habits,
Et habillez-en ma plus jeune sœur. —

II

  — Arrête-toi, petit page, tiens la tête de mon cheval.
Afin que j’écoute une voix que j’entends chanter ;

  Afin que j’écoute une voix que j’entends chanter.
Voici sept ans que je l’entendis pour la dernière fois….[2]

  Chante-moi, bergère, chante ta plus jolie chanson,
Dût-il m’en coûter de l’argent, il faut que je l’entende. —

  — Oh ! sauf votre grâce, seigneur, pour de l’argent, je n’en veux pas ; Cette chanson a été faite, et elle sera chantée ;

  Cette chanson a été faite à votre sujet, seigneur.
Et au sujet d’une jeune demoiselle de la ville de Poitiers,

  Fiancée depuis sept ans, mais non mariée,
Et l’on dit qu’elle a eu un petit fils ;

  Elle est accouchée il y a deux ou trois ans,
Et l’on accuse le valet d’écurie :

  Elle a mis au monde un fils beau comme le jour,
Si bien que l’on dit qu’il est fils d’un prince ou d’un roi :

  Et elle l’a tué, hélas ! pour son malheur ;
Et elle l’a tué, sans avoir reçu le baptême ! —

III

  La vieille dame disait, dans sa chambre, à sa fille ainée :
— Seigneur Dieu, ma fille, que faire ?

  — Prenez, ma mère, dit-elle, prenez mes clefs.
Et allez à mon comptoir, choisir des parures ;

  Apportez mes plus beaux habits,
Et habillez-en ma plus jeune sœur. —

  — Bonjour à vous, dit-elle, seigneur comte mon époux.
Il y a bien longtemps que nous ne nous étions vus. —

  — À vous pareillement, dit-il, demoiselle bien parée.
Vous n’êtes pas celle à qui j’avais promis ;

  N’était mon respect pour la maison de votre mère et de votre père,
J’aurais lavé mon épée dans votre sang !… —[3]

  La vieille dame disait, dans la chambre, à sa fille ainée.
— Seigneur Dieu, ma fille, il y a désolation ici !

  Seigneur Dieu, ma fille, il y a désolation ici.
Votre plus jeune sœur a été refusée par lui ! —

  — Prenez, ma mère, dit-elle, prenez mes clefs,
Et allez à mon comptoir, choisir des parures ;

  Apportez-moi ma plus belle robe de soie,
Afin que je sois propre et mince pour paraître devant lui ;

  Apportez-moi mon habit de drap de ral (1)[4],
Car je vais, hélas ! à la mort, en ce moment….

  — Bonjour à vous, dit-elle, seigneur comte mon époux,
Il y a bien longtemps que nous ne nous étions vus. —

  — À vous pareillement, dit-il ; qu’est-il donc arrivé ?
À votre teint, on dirait que vous avez eu des enfants ? —


  — Que je fonde ici, comme du beurre sur le plat,
Si jamais j’ai mis au monde ni fille ni fils !

  Que je fonde, comme du beurre roussi,
Si jamais j’ai donné le jour à fille ou à fils ! —

  — Or ça, sonneurs, sonnez à présent le bal.
Afin que nous voyions la démarche de cette demoiselle ! —

  — Il n’est pas dit que je puisse faire le bal (danser) à présent.
J’ai la fièvre, depuis neuf mois je la tremble. —

  — La fièvre que vous avez, oh ! oui, je le crois,
La fièvre que vous avez, on la tremble à deux ! —

  Et lui de frapper alors sur sa poitrine,
Si bien que le lait jaillit sur sa robe de satin.

....................
....................

  — Or ça, mes sonneurs, sonnez un air de deuil.
Car il est veuf, le jeune comte de Poitou !

  Jusqu’aujourd’hui, j’ai eu dix-huit femmes ;
J’ai eu dix-huit femmes, celle-ci est la dix-neuvième ;

  Celle-ci est mademoiselle Jeanne, celle-ci est la dernière.
Celle-ci me brisera le cœur ! —


Chanté par Fanchon Flouriot,
servante à Kersont. — Commune de Berhet
(Côtes-du-Nord) — 1868.





  1. (1) Peut-être faut-il, ici, traduire GWILLOU par GUILLAUME. S’agirait-il de Guillaume de Poitou, qui a déjà fourni le sujet d’un mystère breton, imprimé, en 1816, chez Guilmer, à Morlaix, et devenu très-rare aujourd’hui ?
  2. Ces quatres vers se retrouvent dans le Gwerz, LES DEUX FRÈRES, — (voir tome 1er page 198 — Vers 8 et suivants).
  3. Ces deux vers se trouvent encore dans le gwerz — LES DEUX FRÈRES, 1er vol. page 200 — à la fin de la pièce.
  4. (1) Je ne sais comment traduire ce DRAP DE BAL du texte breton. Il doit y avoir altération.