Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le Géant Lizandré (Appendice)

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LE GÉANT LIZANDRÉ


SEIGNEUR DE LA NOËVERTE, EN LA PAROISSE DE LANLOUP
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  Entre Coatarsant et Lizandré
Est convenue une rencontre.

  Que Dieu leur donne bon voyage,
Et à ceux qui sont au logis, bonne nouvelle.

  Le seigneur de Coatarsant disait
Au seigneur de Lizandré, en le saluant :

  — J’ai eu une lettre du roi
Pour avoir guerre avec toi, Lizandré.

  — Si tu as lettre pour avoir guerre avec moi,
Montre moi ta lettre, que je la lise.

  — Le dernier soldat de ma bande
N’allongerait pas la main vers toi, âne.

  — Si je suis âne, assurément,
Je ne suis pas âne de nature ;

  Je ne suis pas âne de nature,
Mon père était renommé comme homme sage.

  Si vous n’avez pas connu mon père,
Tout-à-l’heure vous connaîtrez son fils.

  Selle, petit écuyer, ma haquenée blanche,
Mettez-lui une bride d’argent en tête,

  Et une selle dorée sur le dos,
Qu’elle soit belle pour porter un âne.

  Et quand mon cheval tomberait à chaque pas,
Il me faut aller cette nuit à Vannes.

  Le seigneur de Lizandré disait,
À Sainte Anne, quand il arrivait :

  — Bonjour à vous, Sainte Anne de Vannes,
Je suis venu encore une fois vous voir.

  En dix-huit combats je me suis trouvé,
Et maintenant je vais au dix-neuvième.

  Faites encore un miracle en ma faveur,
De crainte que je ne sois blessé.

  Je vous donnerai, ô mère de la Vierge chérie,
Sept parements pour vos sept autels.

  Il n’avait pas achevé ces mots
Que Sainte Anne lui parla (de la sorte) :

  — Oh ! oui, tu es toujours mon fils à moi,
Retourne vite chez toi, Lizandré.

  N’emmène personne avec toi à ce combat,
À l’exception de ton jeune écuyer.

  Le seigneur de Lizandré disait
À son jeune écuyer, ce jour-là :

  — Aiguise ton épée contre la mienne,
Et viens au combat avec moi :

  Tenons-nous tous les deux côte-à-côte,
Et nous couperons de l’acier comme le vent.

  Le seigneur de Coatarsant dit
À Lizandré, quand il le vit :

  — Vous n’êtes pas dans votre pays un homme aimé,
Puisque vous n’êtes pas venu avec des soldats.

  À peine avait-il prononcé cette parole,
Que Coatarsant tombait sur place.

  Avec cinquante de ses soldats,
Cinquante autres avaient pris la fuite.

  Et le jeune écuyer, de son côté,
En a tué tout autant.

  Le roi, quand il a appris (l’affaire),
A dit à son jeune page :

  — Page, mon petit page, hâtez-vous
D’aller aujourd’hui à Saint-Brieuc,

  Pour parler au seigneur de Lizandré
Et lui dire de venir jusqu’à moi.

  Le petit page du roi disait,
En arrivant à Saint-Brieuc :

  — Bonjour et joie aux habitants de cette ville,
Le seigneur de Lizandré où est-il ?


  Le vieux chevalier, quand il l’entendit,
Mit la tête à sa fenêtre :

  — Si c’est Lizandré que vous demandez,
Jeune page, c’est à lui-même que vous parlez.

  — Tiens, voilà une lettre, Lizandré,
Qui t’est envoyée de la part du roi.

  — Si c’est le roi qui me l’a écrite,
Donnez-moi la, pour que je la lise.

  — Il vous mande, reprit le petit page,
D’aller jouter contre son maure.

  — Enseigne moi donc, petit page,
La manière et les ruses de guerre de son maure.

  — Pour cela, je ne vous le dirai pas,
De peur que je fusse dénoncé.

  — Aussi vrai que j’ai la mort à passer,
Petit page, je n’en parlerai jamais.

  — Le maure sauvage, quand il sera entré dans la salle,
Jettera ses vêtements à terre sur-le-champ :

  Faites comme lui ; et quand il fera un saut en l’air,
Présentez votre épée pour le recevoir.

  Aussitôt que vous le verrez dégainer,
Jetez-lui de l’eau bénite ;

  Quand il vous demandera de se reposer,
Ne lui donnez point de relâche.

  Car celui-là a avec lui des herbes
Qui ne sont pas longtemps à guérir les blessures.

  — Tenez, jeune page, voilà cent écus.
Puisque vous m’avez averti avec vérité ;

  Sans vous, j’eusse été tué,
Et ma pauvre mère en eût été désolée.

  Le seigneur de Lizandré disait,
En arrivant dans la ville de Paris :

  — Bonjour à vous, seigneur roi,
Pourquoi avez-vous besoin de Lizandré ?

  — Je t’ai fait dire de venir jusqu’à moi
Pour jouter contre mon maure sauvage.


  Quand arrive le maure à l’entrée de la lice,
Comptant bien gagner le prix,

  Il jette ses vêtements à terre,
Et Lizandré jette les siens pardessus ;

  Puis, quand il en vient à dégainer,
Il lui jetait de l’eau bénite.

  Quand le maure nageait dans l’air,
Il mettait son épée pour le recevoir.

  Le maure du roi est tué,
Et la manœuvre de Lizandré en est cause.

  Quand le roi vit cela,
Il parla au vainqueur en ces termes :

  — Hâte-toi fort, dit-il, Lizandré,
De retirer ton épée de mon maure sauvage.

  — Je ne daignerais pas porter une épée
Qui a été dans le (corps du) maure du roi ….

  Je me suis trouvé en bien des batailles,
Et j’ai vaincu plus de dix mille (hommes),

  Jamais je n’ai eu autant de mal
Qu’à jouter contre le maure.

  Dame Sainte Anne, ma mère chérie,
Vous faites des miracles en ma faveur.

  Je vous élèverai un oratoire
Sur une hauteur, entre le Léguer et le Guindi.[1]


Communiqué par M. Anatole De Barthélémy.







  1. Le Guindi est une petite rivière qui se jette dans le Jaudy, à Tréguier. C’est à tort que M. De La Villemmarqué a dit :

    « Etre bek Leger hag Indy. »

    Je ne connais en Bretagne aucun autre cours d’eau du nom de « Indy. »

    Le héros de cette ballade ne peut être que Jean de Lannion, châtelain des Aubrays, en Machecoul, seigneur de Lizandré, en Plouha, et de la Noë-Verte (en breton Goas-Glaz) en Lanloup, arrondissement de Saint-Brieuc, du chef de sa mère, Julienne Pinart, dame de Lizandré et de la Noë-Verte. Coatarsant, (que les chanteurs ont altéré en Coat-ar-Skinn), nom de son premier adversaire, est aussi celui d’un manoir en Lanmodez, paroisse voisine de Plouha et de Lanloup. Ce manoir appartenait alors à Claude Le Saint, sieur de Coatarsant et petit fils de Catherine Pinart.

    Note extraite d’une lettre, du 10 février 1866, de M. Pol De Couroy à M. Anatole de Barthélémy.