Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le Seigneur de Pénanger et de La Lande

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LE SEIGNEUR DE PÉNANGER
ET LE SEIGNEUR DE LA LANDE[1]
Première version
________


I

  Le jour de la fête de Saint Barnabé, un vendredi,
Fut tué le seigneur de Pénanger ;
Le seigneur de Pénanger, de Ploumilliau,
Le plus beau fils de gentilhomme du pays.

  Le seigneur de Pénanger demandait
À sa mère, le lundi matin :
— Ma mère, donnez-moi congé
Pour aller à Ploumilliau, aujourd’hui ;

  Pour aller à Ploumilliau, aujourd’hui,
Le Goazwenn, le petit Guyon et moi.
— Vous n’irez pas à Ploumilliau,
J’ai promis d’aller au Jéodet ;

  (J’ai promis) d’aller au pardon du Jéodet,
Pour votre père qui est malade dans son lit.
Mais mon fils chéri, si vous m’aimez,
Vous demanderez le congé de votre père.

  Le seigneur de Pénanger, quand il entendit,
Monta par l’escalier tournant ;
Par l’escalier tournant il monta,
Et à son père il demanda :

  — Mon père, donnez-moi votre congé
Pour aller à Ploumilliau, aujourd’hui ;
Pour aller à Ploumilliau, aujourd’hui,
Le Goazwen, le petit Guyon et moi.

  — Au pardon de Ploumilliau vous n’irez pas,
Par De La Lande vous êtes menacé ;
Par De La Lande vous êtes menacé,
J’ai grand’peur que vous soyez tué.


  Mon père, jetez une plume à l’air,
Et où elle ira, j’irai.
Plume au vent a été soufflée,
Du côté de Ploumilliau elle est allée.

  Le seigneur de Pénanger disait
À son père, là, dans sa chambre, en ce moment
— S’en fâche qui voudra,
Au pardon de Ploumilliau j’irai !

II

  Quand il arriva dans l’église de Ploumilliau,
Il s’agenouilla sur le marchepied (de l’autel) ;
Il s’agenouilla sur le marchepied,
Et fit une prière.

  Le seigneur de Pénanger disait
En arrivant auprès de son banc :
Qu’y a-t-il de nouveau dans cette église,
Pour que ce banc soit fermé à clef ?

  Le recteur de Ploumilliau dit
Au fils du sacristain, quand il entendit :
— Va pour moi à Lanascol,
pour dire de ma part

  Que Pénanger est ici
Qui veut avoir une affaire (querelle) ;
Il veut avoir une petite affaire,
Il menace de briser le banc.

  Le fils du sacristain disait
En arrivant à Lamascol :
— Bonjour et joie dans ce manoir,
Le Seigneur De La Lande où est-il ?

  Quand le seigneur De La Lande entendit,
Il mit la tête à la fenêtre ;
Il mit la tête à la fenêtre :
— Quoi de nouveau ? a-t-il demandé.

  Le fils du sacristain disait
À De La Lande, en l’entendant :
— Pénanger est à Ploumilliau
Qui veut avoir une affaire.

  Quand le seigneur De La Lande entendit,
Il revêtit son habit de ferrailles (cotte de mailles) ;
Il revêtit sa cotte de mailles,
Et se dirigea vers Ploumilliau.


Le seigneur De La Lande disait
À Pénanger, en le saluant :
— Ou tu sortiras de ce banc,
Ou j’aurai ta vie en ce lieu ?

Le seigneur de Pénanger disait
À De La Lande, quand il l’entendit :
— Je ne sortirai pas de ce banc,
Avant que la messe ne soit terminée :

Quand la messe sera terminée,
Alors je serai où vous voudrez….
………………………………………………
………………………………………………

Quand la procession sortait de l’église,
Personne ne restait vis-à-vis de lui ;
Quand la messe fut terminée,
Ils sortirent de l’église.[2]

Le recteur de Ploumilliau disait
À ses paroissiens, ce jour-là :
— Que personne ne sorte de l’église,
Laissez les gentilshommes (agir) à leur gré ;

Que personne ne se mêle de leurs affaires,
Car vous vous en trouveriez encore plus mal.
Ils sont sortis de l’église,
Et sont allés jouer de l’épée.

Le seigneur de Pénanger ne savait pas
Que de La Lande était ferraillé :
Le premier coup d’épée qu’il porta,
Son épée se brisa par la moitié.

Le seigneur de Pénanger disait
À De La Lande, là, en ce moment :
— Naguère, quand tu étais à l’armée,
Je t’ai souvent sauvé la vie ;

Je t’ai souvent sauvé la vie,
Laisse-moi aussi la mienne….
Il n’avait pas fini de parler,
Qu’il était traversé par l’épée nue !


III

  Le seigneur de La Lande disait
À sa mère, en arrivant à la maison :
— J’ai été à Ploumilliau
Et je voudrais n’y avoir pas été ;

  Et je voudrais n’y avoir pas été ;
Pour la somme de dix mille écus.
Oui, pour la somme de dix mille écus.
J’ai tué le seigneur de Pénanger.

  — Si tu as tué le seigneur de Pénanger,
Tu peux quitter le quartier ;
Tu peux quitter la contrée,
Car ils ne marqueront pas sur ta vie !

IV

  Les gentilshommes de Pénanger disaient
À Lanascol, un jour :
— Où est le traître De La Lande,
Pour qu’il vienne jouer de l’épée.

  Le palefrenier répondit
Aux gentilshommes, quand il les entendit :
— De La Lande n’est pas à la maison,
Je ne sais où il est allé.

  Quand les gentilshommes entendirent cela,
Ils coupèrent les têtes des arbres de l’avenue ;
Ils coupèrent les têtes des arbres de l’avenue,
Au déshonneur de De La Lande.


Chanté par Garandel,
surnommé compagnon l’aveugle. — Plouaret, 1844.





LE SEIGNEUR DE PÉNANGER
ET LE SEIGNEUR DE LA LANDE[3]
Seconde version
________


I

  Le jour de la fête de saint Barnabé, au mois de mai,
Fut tué le seigneur de Pénanger ;
Fut tué le seigneur de Pénanger,
Par De La Lande et ses gens.

  Le seigneur de Pénanger disait
À Madame sa mère un jour fut :
— Le Goazwenn, le petit Guyon et moi
Nous irons à Ploumilliau, aujourd’hui.

  — Allez à la messe du matin au Jéodet,
Ou à la grand’messe, à Loguivy ;
Votre père est resté (malade) sur son lit,
Dimanche il ira avec vous, s’il est levé.

  Le trouve bon ou mauvais qui voudra,
Plume au vent sera jetée ;
Jetez une plume au vent,
Et du côté où elle tournera, nous irons.

  Plume au vent est jetée,
Du côté du bourg de Ploumilliau elle est allée.
Quand ils arrivèrent à Ploumilliau,
La grand’messe n’était pas commencée.

  Le seigneur de Pénanger disait,
En arrivant dans l’église de Ploumilliau :
— Qu’y a-t-il de nouveau dans cette église,
Que ce banc est cloué ?

  Hâtez-vous de m’ouvrir le banc,
Ou je le briserai, je ne serai pas longtemps !
Le fils de Le Bihan répondit
À Pénanger, quand il l’entendit :

  — Ce banc ne sera pas ouvert,
Avant que De La Lande ne soit ici ;
Avant que De La Lande ne soit ici,
Ou bien une lettre de sa part.


  Le seigneur de Penanger disait
Au fils de Le Bihan, là, en ce moment :
— Hâte-toi, à présent, hâte-toi d’aller
Au manoir de Lanascol, pour dire

  Que Penanger est ici,
Et qu’il veut avoir une petite affaire ;
Qu’il veut avoir une petite affaire,
Il menace de briser le banc.

II

  Le fils de Le Bihan disait,
En arrivant à Lanascol :
— Bonjour et joie dans ce manoir,
Le seigneur De La Lande où est-il ?

  — Il est dans sa chambre, qui se prépare
À aller à la grand’messe à Keraudi.
Le fils de Le Bihan disait
À De La Lande, en le saluant :

  — On vous dit de venir
À Ploumilliau à la grand’messe,
Car Penanger est là
Qui veut avoir une petite affaire.

  Quand De La Lande entendit (cela),
Il revêtit ses habits de garnison,
Puis, il se dirigea vers Ploumilliau,
Avec neuf ou dix de ses gens.

III

  Le seigneur De La Lande disait
Au seigneur de Penanger, en le voyant :
— Sors, vite, de ce banc,
Ou je te tuerai en la présence de Dieu !

  — Serait-il possible, mon Sauveur,
Que je fusse tué devant l’autel !
De La Lande dit à ses gens
Qui étaient restés dans le cimetière :

  — S’il sort par la grande porte.
Ne restez pas devant sa face ;
S’il sort par la petite porte,
Alors nous sommes sûrs de lui.


Ce n’est pas par la grande porte qu’il alla,
C’est par la petite porte qu’il sortit ;[4]
Il sortit par la petite porte,
Hélas ! ce fut pour son malheur.

À peine était-il sur le seuil,
Qu’ils plantèrent leurs épées dans son corps :
Pourtant, il s’avança au milieu d’eux,
Et alla tomber au milieu du cimetière.

— Est-il possible de la part de Dieu
Que ce soit toi, mon cousin qui me tues,
Nous qui sommes les enfants des deux sœurs,
Qui avons été nourris par la même nourrice !

Nous sommes les enfants des deux sœurs,
Leurs cœurs se briseront de douleur !
— Quoique nourris par le même sein,
Nous n’avons pas été mis au monde par la même mère !…

…………………………………………………………………

Une pauvre femme qui venait
À Ploumilliau, à la grand’messe,
Jeta son manteau pour le couvrir,
Et l’assista jusqu’à la mort.

Le seigneur recteur disait,
En tournant le dos à l’autel :
— Nul ne sortira de cette église,
Ou je le ferai décrèter.

Le seigneur vicaire dit
Au seigneur recteur, quand il l’entendit :
— Le trouve bon ou mauvais qui voudra,
Je sortirai de l’église,

Pour lui donner l’absolution.
Puisqu’il ne peut pas attendre l’extrême-onction…

………………………………………………………………………

IV

Le seigneur De La Lande, disait,
En arrivant à Lanascol :
— Le plus bel arbre qui fût dans le cimetière
A été abattu aujourd’hui !


  Madame sa mère répondit
À De La Lande, quand elle l’entendit :
— Si tu as tué le seigneur de Pénanger,
Tu t’es attiré une mauvaise affaire !

  — Mettez-moi une douzaine de mouchoirs,
Ainsi qu’une douzaine de chemises,
Ainsi qu’une douzaine de chemises,
Afin que j’aille à l’instant hors du pays.

  Le seigneur De La Lande disait
En faisant ses adieux à Lanascol :
— Adieu à vous bois de Kerdu,[5]
Je ne vous reverrai jamais plus !


Chanté par une vieille femme de Ploumilliau.


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  1. D’autres versions portent, au lieu de Delande, Eolande et même Sulandreo.
  2. On a muré la porte par laquelle ils sortirent, dans la façade sud de l’église.
  3. D’autres versions portent, au lieu de Delande, Eolande et même Sulandreo.
  4. Cette porte a été murée après ce tragique événement, dit-on dans le pays.
  5. Kerdu est une maison noble entre Lanascol et le bourg de Ploumilliau.