Chants populaires de la Basse-Bretagne/Marie Derrienic

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MARIE DERRIENIC
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I

  Marie Derrienic, du haut de la lande,
(Est) la plus jolie fille qui soit née d’une mère.
Mieux vaudrait pour elle qu’elle ne le fût pas,
Puisqu’elle est atteinte du mal nouveau.

  Marie Derrienic disait
À sa pauvre petite mère, un jour :
— Ma pauvre petite mère, serait-il possible
Que je fusse malade du mal nouveau ?

  Oh ! oui certainement, ma chère fille :
Mais n’en prenez pas de déplaisir,
Une maison neuve vous sera élevée, (bâtie)
Et vous y irez demeurer.

  — Si je vais demeurer dans une maison neuve,
Qui viendra avec moi comme servante ?
— Vous n’aurez ni valet ni servante,
Votre ménage sera fait une fois pour toutes.

  — Si Je vais demeurer dans ma maison neuve,
Qui me blanchira mes draps de lit ?
— Qui serait-ce, ma pauvre fille, si ce n’est vous-même ?
Vous aurez votre ruisseau et votre fontaine ;

  Vous aurez votre ruisseau et votre fontaine,
Et du bois pour faire du feu ;
Au bout d’une baguette blanche
On vous donnera votre nourriture, Marie Derrien.

II

  Le vieux Derrienic disait
Au recteur de sa paroisse, un jour :
— Recteur de ma paroisse, me permettriez-vous
D’élever à ma fille une maison neuve ?

  D’élever à ma fille une maison de terre ?
Mon cœur se fend de douleur !
— Si vous élevez à votre fille une maison neuve,
Elevez-la loin des vôtres ;

Elevez-la loin de la vôtre,
Pour que vous n’entendiez pas ses plaintes,
Et élevez-la au haut de la lande,
Sur le bord de la route qui mène à Saint Jean.

III

Marie Derrienic disait
Aux artisans de sa maison neuve :
— Quand vous serez à élever ma maison neuve,
Mettez trois fenêtres du côté du midi ;

Mettez trois fenêtres du côté du midi,
Afin que je voie la maison de la Vierge, de là ;
Afin que je voie mon père et ma mère
À la procession de Saint Jean….

Le recteur de sa paroisse demandait
À Marie Derrienic, un jour :
— Marie Derrienic, dites-moi,
Qu’est-ce qui est la cause que vous êtes devenue malade ?

— En buvant du vin d’un verre
D’avec un jeune homme que j’aimais,
Un verre de vin couleur de sang ;
Jamais à mon cœur il n’a fait de bien.

Si je vais demeurer dans ma maison neuve,
Le recteur de ma paroisse viendra avec moi aussi :
Viendront (également) la croix et la bannière,
Et les prêtres et les clercs.

Si le vent souffle debout (devant),
Ils me mettront derrière eux ;
Si le vent souffle derrière,
Ils me mettront devant eux ;

Sur mes mains j’aurai des gants,
Pour ne pas souiller les échaliers….
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IV

Marie Derrienic demandait
À un pâtre, un jour :
— Gardeur de moutons, dites-moi,
Qu’avez-vous entendu de nouveau ?


— Je n’ai entendu rien de nouveau,
Si ce n’est que votre amour est fiancé ;
Si ce n’est que votre amour (celui que vous aimez) est fiancé,
Et c’est demain le jour des noces…

— Gardeur de moutons, dites-moi,
Irez-vous jusqu’à lui, de ma part,
Pour lui dire de venir me voir,
Et de m’apporter ma part du banquet ?

Le gardeur de moutons disait
Au jeune cadet, en le voyant :
— J’ai été envoyé ici,
Vers vous, de la part de Marie Derrienic,

Pour vous dire d’aller la voir
Et de lui porter sa part du banquet…
— Demain prochain j’irai la voir,
Pour lui porter sa part du banquet…

V

Le jeune cadet disait
À la porte de la maison de Marie :
— Marie Derrienic, ouvrez votre porte
À votre serviteur, qui demande ouverture…

— Jeune cadet, retirez-vous de là,
Je crains que vous tombiez aussi malade ;
Je crains que vous tombiez aussi malade,
Avec mon haleine, par le trou de la serrure….

— Pour aujourd’hui, d’ici je ne m’éloignerai,
Il faut que je vous voie, Marie ;
Il faut que je vous voie, Marie,
Et quand j’en deviendrais malade, peu m’importe !

Quand elle a ouvert sa porte,
Il a sauté à son cou ;
Il a sauté à son cou,
Et ils sont morts tous les deux sur la place !

Que Dieu pardonne à leurs âmes,
Ils sont tous les deux sur les tréteaux funèbres :
Ils sont allés tous les deux dans la même tombe,
La bénédiction de Dieu soit sur leurs âmes !


Chanté par Marie Philippe,
de Pluzunet — Côtes-du-Nord.


(l) Cette pièce contient des détails très-intéressants sur la manière dont on traitait les lépreux, au Moyen-Age. — Certaines expressions, comme « Beg-al-lann » — « Hent sant lann » — me porteraient à penser que la scène se passait en la commune de Ploumilliau, où l’on trouve ces deux localités. Dans mon premier volume page 159, j’ai déjà donné un gwerz qui a beaucoup de rapport avec celui-ci et qui, à n’en pas douter, a pour théâtre cette même commume. — « Le mal nouveau » dont il est question ici est probablement la lèpre, et peut-être aussi la Syphilis.