Chants populaires de la Basse-Bretagne/Trogadec

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Édouard Corfmat (1p. 69-71).


TROGADEC.
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  Depuis que Trogadec est mort,
Personne n’a pu habiter sa maison.

  Un jeune prêtre de Léon,
Un homme intrépide et dur de cœur,

  S’était rendu un jour dans sa maison,
Exprès pour le conjurer.

  Le jeune prêtre demandait
A Trogadec, en le conjurant :

  — Trogadec, dites-moi,
Quels sont les crimes que vous avez commis ? —

  — Voilà dix-huit ans, s’il n’y a davantage,
Que je suis dans l’enfer, brûlée cuit ! —

  — Vous mentez, Trogadec,
Car il n’y a pas plus de trois semaines ;

  Les tréteaux funèbres sont encore sur votre tombe,
Depuis le service de huitaine (l’octave). —

  — Si les tréteaux funèbres sont encore sur ma tombe,
Je vous en prie, faites-les enlever ;

  Ne me donnez pas d’eau bénite,
Car vous ne faites qu’augmenter mon supplice ! —

  — Trogadec, dites-moi
Ce qui est cause que vous êtes damné ? —

  — Aussi long qu’il y a entre Brest et Lesneven
J’ai volé avec mon aune ;

  J’ai volé de la serge de Paris,
En retirant mon aune en arrière.

  Quand j’avais vendu trois aunes,
Je n’en coupais que deux et demie ;,

  Je n’en coupais que deux et demie,
Et je vendais cinq écus l’aune.

  J’ai fait bâtir une maison neuve
Avec de l’argent mal acquis ;

  Avec de l’argent mal acquis :
Je voudrais en voir le comble sur le foyer !

  La pierre le plus haut, le plus bas ! ....
Hélas ! c’est trop tard à présent !


  Allez chez moi, et dites à ma femme
De venir me voir dans l’enfer ;

  De venir me voir dans l’enfer,
Quand elle y sera, elle ne s’en ira pas.

  Si elle avait voulu, à mon insçu,
Donner l’aumône dans ma maison,

  Un de nous deux aurait été sauvé,
A présent nous sommes perdus tous les deux ! —

  — Et comment donner à votre insçu ?
Le pain était toujours sous clef ;

  Le pain était toujours sous clef,
Et la farine était marquée dans le pétrin. —

  — Et quand le pain aurait été sous clef,
Et la farine marquée dans le pétrin ;

  Et la farine marquée dans le pétrin,
Je ne visitais pas le blé, dans l’arche ! —


Chanté par Marie-Yvonne LE ROI, 70 ans.
Plouaret, 1867.


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