Commentaire de la logique d’Aristote/8

La bibliothèque libre.
Commentaire de la logique d’Aristote/8
Librairie Louis Vivès (5p. 207-215).
◄  7
9  ►

TRAITÉ VIII DE L’HABITUDE.

Chapitre I : De l’habitus en tant que prédicament, ce que c’est formellement.[modifier]

L’habitus est l’adjacence des corps et de ce qui les environne. Pour comprendre ceci, il faut savoir que avoir quelque chose signifie un certain rapport. On dit que certains sujets ont certaines choses, mais entre le sujet qui a ces choses et les choses elles-mêmes, il n’y a qu’un rapport de raison, comme quand on dit que quelque chose a une substance ou une partie de substance, le pied, la main, ou qu’elle a une quantité ou une qualité; et cependant entre le sujet et la chose possédée, il n’y a aucun rapport réel, mais seulement un rapport de raison. C’est pourquoi cette manière d’avoir appartient aux prédicaments absolus. Il y a d’autres sujets qui sont. dits avoir certaines choses, de manière qu’entre le sujet et ces choses il existe un rapport réel et conversif, comme le père est dit avoir un fils, et le fils un père, le maître un esclave ou un domaine, et l’esclave et le domaine un maître. Or du père au fils et du fils au père, il y a un rap port réel; il en est de même du maître et de l’esclave, et cette manière d’avoir appartient au prédicament de relation. D’autres sujets sont dits avoir certaines choses; et entre ces sujets et les choses possédées, il y a un rapport réel, mais non conversif, mais bien un rapport du sujet à la chose, et c’est dans ce sens qu’on dit que le temps a les choses temporelles, le lieu l’objet localisé, les parties du lieu les parties de l’objet localisé, et le contenant le contenu; et cette manière d’avoir appartient aux prédicaments quando, ubi et situs. Car on dit que ce qui possède de cette manière a le contenu, ce qui revient au prédicament quando et la chose située, ce qui revient au prédicament situs. Le vase en effet est un lieu mobile, et le lieu est un vase immobile, comme il est au livre IV de la Phys. D’autres sujets sont dits avoir certaines choses, et entre ces sujets et ces choses, il existe un rapport réel, non conversif, de manière qu’un tel rapport est le rapport de la chose possédée au sujet qui la possède, comme ou dit que l’homme a une tunique, et le rapport est de la tunique à l’homme qui la possède, mais non réciproquement. Cette manière d’avoir appartient à ce prédicament, je veux dire l’habitus. Remarquez, ainsi que le dit Aristote, chap. XV des Animaux, que la nature a pourvu de vêtements et d’armes les autres animaux.

Quelques-uns ont pour vêtement des poils, d’autres un cuir épais, ou$ne carapace, ou quelque chose de ce genre. De même elle a donné à quelques-uns pour armes des dents, aux autres des cornes, aux autres des griffes et autres choses semblables; pour l’homme, elle ne lui a rien donné de tout cela, mais en revanche elle lui a donné l’intelligence et des mains, afin que par ce moyen il pût se pourvoir de ce qui lui est nécessaire et se faire avec les choses extérieures des vêtements et des armes. C’est pourquoi dans les animaux, les vêtements comme les armes sont des parties substantielles de ces mêmes animaux; et entre les sujets qui possèdent et les objets possédés, il n’y a pas de rapport réel, mais un rapport de raison, comme il a été dit. C’est pourquoi la dénomination qui se fait par rapport à eux, à raison de leurs vêtements ou de leurs armes naturelles, n’appartient pas à ce prédicament. Mais entre notre vêtement, nos armes et nous, il y a un rapport réel, aussi nos vêtements et nos armes, en tant qu’ils nous dénomment comme les possédant, sont le prédicament habitus. Ou bien, suivant la seconde opinion, leur rap port à nous est le prédicament habitus. C’est pour cela que ce prédicament ne convient qu’aux hommes. Il est vrai aussi que nous revêtons et armons certains animaux avec des vêtements et des armes qui leur sont étrangers; en effet, nous habillons les singes et nous harnachons un cheval, et sous ce rapport ce prédicament peut leur appartenir. Tel est ce prédicament.

Chapitre II : L’habitus peut se loger immédiatement dans la substance.[modifier]

On n’est pas certain si ce prédicament est la dénomination qui suit le rapport, ou dans la seconde opinion le rapport lui-même, comment il peut appartenir aux genres des accidents. Il est en effet constant que les vêtements comme les armes sont dans le genre de la substance. Or la dénomination prise de la substance ne se met pas dans un genre différent de la substance, ou, suivant la seconde opinion, comment le rapport sera-t-il fondé dans la substance immédiatement, puisqu’il n’ajoute rien de réel au fondement, comme il a été dit; il s’ensuit donc ou que la substance sera accident, ou que l’habitus ne sera pas accident. Il faut dire, ce qui ne répugne pas, que le rapport réel est fondé dans la substance. En effet, la substance créée comme telle se rapporte réellement au créateur, et ce rapport est immédiatement fondé en elle, et la substance n’est pas pour cela rapport ou accident. Notez que l’accidentalité de la quantité et de la qualité, qui sont des accidents absolus, est différente de l’accidentalité des sept autres prédicaments. Car l’accidentalité des absolus consiste en ce qu’ils surviennent dans l’être en acte par inhérence, et de cette manière la substance ne peut pas être accident, au contraire, l’accidentalité des sept autres prédicaments consiste en ce qu’il arrive à la forme ou au sujet de la forme d’avoir un terme ad quem. Et comme une forme substantielle, ou une substance composée peut avoir un semblable terme, rien n’empêche que de cette manière elle soit un accident, de sorte qu’ elle se produise accidentellement dans un sujet, d’où il arrive au vêtement de devenir adjacent au corps et d’avoir un tel rapport avec lui: Et de cette ma fière, soit que le vêtement soit pris comme dénommant, il lui arrive de dénommer ainsi, et il est accident: ou dans la seconde opinion il arrive au vêtement d’avoir le corps pour terme auquel il se rapporte comme adjacent. Ou on peut dire qu’on ne fait pas indifféremment des vêtements et des armes de toute espèce de substance, mais que pour faire des armes on prend une substance qui a une certaine qualité, comme la dureté. De même, on rie fait pas indifféremment des vêtements avec toute espèce de substance, mais on prend une substance qui a telle qualité, comme la mollesse, la facilité de se plier, etc., et le rapport qui est l’habitus se fonde sur ces quantités, ou à raison de ces substances, en tant qu’elles ont ces qualités. Donc l’habitus est l’adjacence des corps et des choses qui les environnent, ce qui se conçoit ainsi: l’habitus est l’adjacence, c’est-à-dire la dénomination des corps comme choses qui sont dénommées, et des choses qui environnent le corps, c’est-à-dire des choses qui opèrent une semblable dénomination, comme l’homme vêtu est désigné et dénommé par les vêtements qui l’enveloppent. Ou bien, suivant la seconde opinion, l’habitus est l’adjacence ou le rapport des corps terminativement. Car ce rapport, c’est-à-dire le rapport du vêtement se termine au corps vêtu, et il appartient aux choses qui sont fondamentalement autour du corps. En effet, le fondement de ce rapport est le vêtement lui-même, comme on l’a dit; ainsi s’explique l’habitus. Il faut observer que, quoique cette dénomination appartienne au tout de ce qui a cet habitus, car on dit que l’homme est vêtu et chaussé, néanmoins elle convient à elle- même à raison de l’habitus qui est adjacent à la partie. Car, quoique l’homme soit dit chaussé, c’est néanmoins à raison de la chaussure qui est adjacente au pied, lequel est une partie intégrante de l’homme, puisque tout le corps n’est pas vêtu, c’est à raison de la partie à laquelle le vêtement est adjacent, voilà ce qui concerne l’habitus.

Chapitre III : L‘habitus reçoit le plus et le moins, mais non tout habitus, il n’a pas la contrariété.[modifier]

L’habitus reçoit le plus et le moins, mais il y a des exceptions. Mais ne soit pas parfaitement quel est celui qui reçoit le plus et le moins. En effet, si les rapports reçoivent le plus et le moins dans la même proportion que les fondements reçoivent l’intension et la rémission, et vivant ces rapports les termes sont appelés rapports plus ou moins. Comme on dit qu’une chose échauffe plus ou moins selon la chaleur plus ou moins grande qu’elle produit. Mais le fondement de l’habitus étant la substance, comme on l’a dit, laquelle ne reçoit ni le plus, ni moins, il s’ensuit que l’habitus ne reçoit ni le plus, ni le moins. Pour comprendre cela il faut savoir que, comme il a été dit, ces six prédicaments ne désignent que l’absolu en tant qu’il dénomme quelque chose d’extrinsèque, laquelle dénomination suit quelque rapport réel qui existe entre la chose qui dénomme et la chose dénommée et qui a cependant un rapport dans le genre de la relation. Ou l’on désigne rapport suivant la seconde opinion, et il est commun aux six principes susdits. C’est pourquoi telle chose dénommée est dite plus ou moins d’après l’intension ou la rémission de l’absolu qui dénomme, ainsi qu’on l’a dit. Quelquefois la dénomination plus ou moins ne se fait pas d’après l’intension ou la rémission du sujet dénominateur, mais par la présence de plusieurs dénominateurs de même nature par lesquels l’objet dénommé se trouve l’être par ce qui est respectif à chacun; comme nous disons que le feu qui échauffe trois morceaux de bois les échauffe plus que s’il n’en échauffait que deux du même degré de chaleur. Il est sûr, en effet, que ces trois caléfactions sont de même nature et que le feu agit sur elles suivant une seule puissance caléfactive, et de cette manière la caléfaction peut se dire plus ou moins, quoique dans les caléfactions comme dans quelques autres actions que ce soit on n’ait pas l’habitude de dire plus ou moins dans ce sens; il en est de même dans la seconde opinion, car si plusieurs rapports de même nature auxquels répond un seul terme dénomment le terme plus, tandis qu’un plus petit nombre le dénomment moins, l’habitus ne reçoit point le plus ou le moins de la première manière. En effet, on ne dira jamais que quelqu’un est plus ou moins vêtu ou plus ou moins chaussé à raison d’une seule chaussure ou d’un seul vêtement, et on conçoit par là que tout habitus ne reçoit pas le plus ou le moins, parce que le vêtement, ni la chaussure ne reçoivent ni intension, ni rémission. Mais l’habitus reçoit le plus et le moins de la seconde manière, car on peut dire d’un homme qu’il est plus vêtu, s’il a plusieurs vêtements, et moins vêtu, s’il en a moins, et ainsi de suite. Cela ne convient pas au prédicament quantum, puisque le temps qui dénomme est l’unique parmi les choses temporelles. Cela ne con vient pas non plus au prédicament ubi, puisqu’il n’y a qu’un lieu pour un corps, pas plus qu’au prédicament situs, puisqu’il n’y a qu’une partie du lieu qui réponde à chaque partie de la chose localisée. Mais cette manière de désigner le plus ou le moins pourrait convenir à quelque relatif, ou a quelque agent, ou à quelque patient; on voit par là comment l’habitus reçoit ou ne reçoit pas le plus ou le moins, ou bien il faut dire que le rapport habitus n’est pas fondé immédiatement dans la substance, comme il a été dit, que par le moyen de quelque qualité, comme la dureté, la mollesse et autres pareilles, lesquelles qualités sont le fondement de ce rapport. Or, comme les susdites qualités reçoivent le plus et le moins, il en est par conséquent de même de l’habitus. Il ne reçoit pas néanmoins la contrariété. En effet, c’est par la réception du plus et du moins que s’effectue la contrariété quand Je plus et le moins se trouve suivant un certain degré d’intension et de rémission dans les espèces d’un genre, comme on le voit pour le blanc et le noir, or cette intension ne se trouve pas dans l’habitus, comme nous l’avons dit. Donc il n’y a pas de contrariété dans l’habitus.

Chapitre IV : Le propre de l’habitus est d’exister tant dans le corps que dans ce qui en développe le corps suivant la division des parties.[modifier]

Il faut savoir que le propre de l’habitus est d’exister tant dans le corps que dans les choses qui enveloppent le corps en plusieurs suivant la division des parties. Nous avons dit de quelle manière il faut l’entendre. Une chose est dénommée par l’habitus par cela que l’habitus est adjacent à quelque partie intégrale déterminée, comme l’homme est dit chaussé par les pieds, coiffé par la tête et ainsi de suite; or cela ne convient à aucun autre des prédicaments. En effet, quoique dans le prédicament de situs la dénomination du tout se fasse à raison des parties auxquelles sont adjacentes les parties du lieu, non pas néanmoins à raison de quelque partie déterminée, mais bien à raison de toutes auxquelles sont adjacentes les parties du lieu, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre. Mais dans le prédicament habitus la dénomination du tout se fait par une partie déterminée à laquelle est adja cent un habitus particulier. Et parce que, comme l’on considère dans ce prédicament le corps ayant un habitus relativement à ses parties organiques déterminées, de même les habitus des parties déterminées sont différents et séparés, car dans l’habitus d’un homme la partie du vêtement est différente de la chaussure, et ainsi de chacun. C’est pourquoi on dit que le propre de l’habitus est d’exister suivant la division des parties du corps qui en est revêtu, et suivant la division des choses qui enveloppent le corps relativement à la division de l’habitus: tel est ce prédicament, comme les autres également. Notez que les prédicaments appartiennent à la première opération de l’intellect, dans la quelle il ne se fait aucune composition par l’être, ni aucune division par le non être. Or on peut considérer de deux manières les choses qui appartiennent à cette opération première. D’abord, relativement aux choses conçues, et nous en avons déjà parlé. Toutes les choses qui appartiennent à cette opération première sont signifiées par les dix prédicaments, comme on le voit par ce qui a été dit. La seconde manière dont on peut les considérer, est relative au mouvement de signification, en tant qu’elle est signifiée par les noms, par les paroles et par les autres parties du discours, nous allons nous en occuper tout à l’heure. C’est pourquoi la logique n’est pas seulement une science rationnelle, comme lorsqu’il s’agit du syllogisme qui appartient au discours de la raison, mais c’est aussi une science argumentative. Elle traite en effet syllogisme et de ses parties, relativement au mode de signification, en établissant ce que c’est que le nom, ce que c’est que la parole, et en établissant les signes universels et particuliers, qui appartiennent tous au mode de signification, dont nous allons parler bientôt.

Fin du traité des dix prédicaments qui sont appelés les genres des choses.