Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre II/Conversation

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CONVERSATION.


…They took the way
Beneath the forest’s solitude.
It was a vast and antique wood
Trongh which they took their way,
And the grey shades of evening
O’er that green wilderness did fling
Still deeper solitude,

P. B. Shelley


…Spare my grief, and apprehend
What I should speak.

Beaumont and Fletcher.


Was siehst du mich so hold und mild
Mit hellen Blicken an,
Dass mir das Herz von Sehnancht schwillt
Und nimmer rasten kann.

Ern. Schulze.


Un jour d’été, le soir, aux bords du Tévérone,
Sur la mousse et les fleurs, que son onde environne,
Deux amans veillaient seuls sous les vieux oliviers,
Qui du verd Tivoli couronnent les sentiers.
Du ciel qui s’endormait, sans annoncer d’orages,
La pourpre du couchant festonnait les nuages,

Et sur l’émail plissé de leur mouvant rideau,
Les ombres détachaient le temple du coteau.
Humide et transparente, une gaze d’ébène
Déroulait lentement sa fraîcheur dans la plaine ;
La luciole en feu brillait sous le gazon,
Comme un astre inquiet, tombé de l’horizon :
On entendait de loin les lentes tourterelles
Mêler leurs chants rêveurs au bruit des cascatelles,
Et la lune, sur l’onde égarant ses rayons,
De l’albâtre écumeuse argentait les flocons.
Eh ! que se disaient-ils dans leur langue divine,
Ces jeunes pélerins de la ville latine ?
Il est si doux d’aimer, quand la terre est sans voix,
Et de rêver à deux sous le dôme des bois,
Et de sentir l’amour, enivré d’indolence,
De parole en parole inspirer le silence !
On ne se parle plus, mais on se comprend mieux :
Comme si l’on voyait on se cherche des yeux,
Et sans se rencontrer, les regards se devinent.
Faut-il, comme le jour, que les ombres déclinent !

Proscrit, oh ! que de fois je me suis raconté
Mes nuits d’enchantement, ces belles nuits d’été,
Où seuls, près des ruisseaux qui baisaient nos prairies,
Les bras entrelacés, comme nos rêveries,
Nous allions, elle et moi, ne parler que de nous,
Elle, inventer l’espoir : moi, l’entendre à genoux ;
Où nous pensions n’avoir qu’une même tendresse,
Et nous aimer toujours, en le disant sans cesse !
Mais eux ! tant de bonheur ne suivait point leurs pas,
Et le reproche aigri, qui ne corrige pas,
Et des débats jaloux l’incisive amertume,
Troublaient la nuit qui dort sous ses voiles de brume.


Béatrix.

Tu me crois inconstante, en voyant ma gaîté !
Douter de mon amour, c’est de l’impiété.

M’offensez-vous ainsi, pour que je vous pardonne ?

Savella.

Ma crainte, Béatrix, mon doute vous étonne,
Mais jeune, l’avenir est un secret pour vous.

0catw. Avez-vous deviné que vous seriez jaloux ?
Savtlla. C’est que dans ta froideur tu ne peux me comprendre : Sous mes baisers de feu, ton sein bat, sans m’entendre, Tu m’aimes d’être aimée, hélas J et je sens bien, Je sens que ton amour n’est qu’un reflet du mien.
, flfottit.
Au moins, vous l’avoûrez, le miroir est fidèle !
Saoûla. La voilà ta gaîté, cette gaîté cruelle, Que la peur d’un reproche amène à ton secours, Qui, malgré mes tourmens, me désarme toujours ! Je l’aime, et je la crains : l’esprit de ton sourire M’effraie, en me charmant, me repousse, et m’attire,

Et de tes yeux chéris l’azur doux et moqueur
Trahit, en les faisant, les promesses du cœur.

tutti.
C’est déjà les tenir, que de toujours les faire.
Savtlla.

On a peur d’y manquer, quand on les réitère,
Et les sermens qu’on tient sont ceux qu’on ne fait pas.
JScatttr.
J’ai juré de te fuir… et je suis dans tes bras…
De quoi vous plaignez-vous ?

Siavtlla.
Oh, pourquoi t’ai-je vue ! Ma rudesse t’afflige, et ta grâce me tue. Que je hais mes talens ! Sans eux, sans mes travaux, M’aurais-tu préféré parmi tous mes rivaux ? Courtisé, que j’étais, dans les salons de Rome, Ta jeunesse séduite a cru voir un grand homme… Tu ne comptes pour rien l’amour que j’ai pour toi : C’est mon nom qui te plaît, ô Dieu ! ce n’est pas moi.

Htaint.

Puis-je te séparer, insensé ! de ta gloire. Tu n’éprouves donc plus de bonheur à me croire ? Si tu deviens jaloux jusqu’à me soupçonner, Dis-moi ce qu’il me reste encore à te donner. Quels charmes, quels attraits m’ont peuplé ces retraites ? J’ai quitté les plaisirs…
SavtUa.
Hélas ! tu les regrettes.
Jusqu’en ces lieux d’ailleurs, où je vis inconnu,
Le tumulte de Rome est déjà parvenu.
L’écho qui dit mon nom ne t’a-t-il pas suivie ?
Tu n’estimes de moi que l’éclat de ma vie :
Je perdrais ton amour, en perdant cet éclat,
Je perdrais tes regards… et tu m’aimes !…

fltotrir.
Ingrat !
8avdla. Ah ! si l’on est ingrat par excès de tendresse, Le seras-tu jamais ?


ifatrà.
L’exigeante tristesse !
Comment douter de moi, qui t’obéis toujours,
Qui de ta volonté fais l’ordre de mes jours ?

Saotllo.
J’ai soin de ne vouloir que ce qui peut te plaire.

ôiattit.
Que ta froide douceur me cache de colère !
Sois donc juste une fois, ou du moins généreux ;
Je crois que ton bonheur est d’être malheureux.

Saotllo.
Je sens que je puis l’être.

* fléatrir.
Et tu souffres d’avance ? âûoflla. L’avenir me fait mal, comme l’expérience.
fitatrir. Et pourquoi de si loin respirer ses poisons ; Quel philosophe amer t’a donné ces leçons !

L’avenir, Savella, qu’est-ce donc qu’il t’annonce ?
Saotllo.

Oh ! que j’aime mon nom, quand ta voix le prononce !
J’oublie, à ce seul mot, les malheurs que je crain.

êiattit.
Penche, pour l’écouter, la tête sur mon sein,
Quand il s’agit de toi, je ne suis plus frivole,
Et ma beauté me plaît, quand elle te console.
N’ai-je rien, dans ton cœur, qui t’assure du mien ?
L’orgueil de mon amour m’élève jusqu’au tien.

SODCHO.
Grâce, mon Dieu chéri, je ne suis pas coupable.,
Je sens, à mes remords, que mon destin t’accable,
Mais si tu pouvais lire en ce cœur dévasté,
Même en me condamnant, tu m’aurais acquitté.
Ma prévoyance en deuil, malgré moi, te chagrine :
Mais un fardeau si lourd pèse sur ma poitrine !
Quoiqu’obscur et voilé, mon avenir fiévreux
Me tourmente déjà de frissons douloureux.

Je souffre, Béatrix ! Le ciel, chargé d’orages,
Roule autour de ma vie un chaos de présages :
J’ai besoin de te voir, besoin de te quitter,
Et sans vouloir te fuir, je voudrais t’éviter.
J’ai peur que de mes maux la mort ne me délivre,
Et quand je crains la mort, j’ai peur de te survivre.
Te survivre ! Oh jamais ! toi tu ne mourras pas,
Et je crains ton oubli, bien plus que ton trépas.
Tu ne peux pas mourir, tant que l’amour m’enflamme :
C’est une ame de plus, que j’ajoute à ton ame.
fiéttttir. Si jeunes, Savella, ne parlons pas d’adieux.
Saotlltt.
Oh, ne détourne pas si loin de moi tes yeux !
Dis-moi que, si je meurs, je vivrai dans tes larmes,
Aussi long-temps du moins, que dureront tes charmes
Toujours ; oui, toujours, je serai près de toi,
Et je suivrai tes pas, s’ils sont encore à moi.
Tout esprit, tout amour, j’irai, ma fiancée,
J’irai, dans ton cœur même épousant ta pensée,

L’enlever dans les cieux, ou pour la rajeunir,
Ou pour qu’elle en rapporte au moins mon souvenir.
Je t’environnerai de mon pieux silence.
Jaloux, sans t’offenser, ma molle vigilance
Embellira pour toi les lieux qui te plairont ;
J’habiterai les fleurs que tes pieds fouleront.
De peur de t’effrayer de mon dernier hommage,
Tes songes seulement t’offriront mon image,
Et, quand mes bras furtifs berceront ton sommeil,
De peur de m’oublier, tu craindras le réveil ;
Heureux, lorsqu’entr’ouvrant tes paupières chagrines,
Tu verras la lumière errer sous tes courtines,
Si tu crois voir, mon ange, au lieu du jour nouveau,
Mon ombre blanche et pâle effleurer ton rideau !
Promets donc que jamais notre lampe adorée,
Au lit d’un autre hymen, ne sera consacrée.
Je ne suis pas le seul, qui soit fait pour t’aimer,
Mais quel autre, après moi, pourrait la rallumer !
Quelle âme, avec la tienne, oserait se confondre !
Tu pleures, Béatrix.....

N'est-ce pas votes repondre ?

Et l’ange, qui passait, peut-être à côté d’eux,
N’entendit rien de plus, en regagnant les cieux.



C’était l’heure où l’amour, désarmé de ses craintes,
Abjure, humble et brûlant, la rigueur de ses plaintes,
Où le reproche expire, et meurt dans un baiser.
Oh ! si le jour revient, pour nous désabuser,
Pourquoi cette heure, hélas ! nous est-elle venue,
Ou pourquoi vivre encore, après qu’on l’a connue ?
Oh ! oui, c’est à cette heure, à celle où l’on s’entend,
Que la mort, si rebelle à celui qui l’attend,
Devrait nous apporter l’eau du dernier baptême !
Ivre encor des parfums de la rive où l’on aime,

L’âme, entre un double ciel, monterait jusqu’à Dieu !
C’est, quand on s’aime encor, qu’il faut se dire adieu,
Quand on le croit du moins : l’amour est si bizarre !
C’est en nous rapprochant, souvent qu’il nous sépare :
L’aimant, qui nous attire, éclate entre nos nœuds.
Mors on se confond, sans cesser d’être deux ;
La faiblesse s’effraie, en embrassant la force,
Et l’hymen désolé n’est qu’un premier divorce.