Contes du lit-clos/Histoire d’un Mousse

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Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 37-45).

Histoire d’un Mousse


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I. — FILS DE VEUVE

II. — LE SERMENT

HISTOIRE D’UN MOUSSE




I


FILS DE VEUVE




Au bout de la falaise morne
Où croasse le goéland,
Face à l’immensité que borne
L’horizon, d’un long trait sanglant,

La veuve habite une chaumière
D’où, l’œil taciturne et très las,
Elle observe la Meurtrière
Qui lui prit son homme et ses gâs.

Auprès d’elle, dans la masure,
Dort sur un monceau de varec
Son Tanguy dont la chevelure
A la couleur du chanvre sec.

Celui qui dort un si bon somme
Est le dernier de ses enfants :
Il est fort comme un petit homme,
Bien qu’il n’ait pas encor dix ans ;

Et c’est pour mettre en sa jeune âme
Le durable effroi de la mer,

Que, depuis son deuil, cette femme
Habite au bord d’un gouffre amer.


Quand le flot hurle par les grèves,
Battant le rocher qui frémit,
Sans pitié pour ses jeunes rêves
Elle réveille l’endormi :

« Viens, dit-elle dans la tempête,
« Viens écouter, mon séraphin,
« La sauvage et cruelle Bête
« Qui gémit parce qu’elle a faim…

« Cet Océan, lâche et perfide,
« De ton père est le grand tombeau !…
— Et l’enfant, d’une voix timide,
Dit en soupirant : « Que c’est beau !


Puis, lorsque l’orage s’apaise,
Si la mère voit l’innocent,
A plat ventre sur la falaise,
Rire au flot qui va le berçant :

« Ne l’écoute pas, l’Enjôleuse ! »
Lui dit-elle aussitôt tout bas,
« C’est une sinistre voleuse
« Que celle que l’on n’entend pas !

« C’est avec cet air de mensonge
« Qu’elle a pris tes frères… tous deux !
— Et le fils de la veuve songe :
« Bientôt, je m’en irai comme eux ! »


HISTOIRE D’UN MOUSSE




II


LE SERMENT




Vous rappelez-vous le petit Tanguy ?
L’enfant qui, l’hiver, frappait à nos portes
Pour nous apporter des bouquets de gui
Coupés en chemin sur les branches mortes ?

Vous souvenez-vous du petit pâtour
Qui, lorsque l’été fleurissait la plaine,
Pour nous les offrir cueillait tour à tour
Le beau genêt d’or ou la marjolaine ?

Le long des vieux champs couverts de varec,
Dans le vent marin qui salait ses lèvres,
C’est lui qui paissait jusqu’en Pellinec
Quelques moutons noirs et de maigres chèvres…

Vous n’entendrez plus sa plaintive voix
Chanter ses doux chants le long de la Côte,
Nous sommes sans fleurs depuis plusieurs mois :
Le pâtour est mort à la Pentecôte !

On a ramassé son corps pantelant
Au pied d’un rocher battu par les vagues !
Pendant quinze jours les gens du Port-Blanc
Ont imaginé des récits très vagues…

Il dort à présent sous le vert gazon,
Bercé doucement par le vent qui pleure,
Et, seul ici-bas, je sais la raison
Qui coucha l’enfant sous terre, avant l’heure.

Voici le secret :

Vous n’ignorez pas

Qu’il était le fils d’une pauvre veuve
Qui perdit son homme et ses autres gâs
Aux pêches d’Islande et de Terre-Neuve ;

Or, pour arracher le futur ingrat
Aux charmes trompeurs de la Mer sauvage,
La veuve voulut que l’enfant jurât
Qu’il ne quitterait jamais le rivage…

L’enfant promit tout, jura… sans savoir,
Garda les moutons au lieu d’être mousse ;
Comme un petit homme il fit son Devoir…
Mais, souvent, des pleurs mouillaient sa frimousse

Par les matins clairs quand, de sa maison,
Il apercevait, entre les Sept Îles,
Quelque grand vaisseau couper l’horizon,
Comme il maudissait ses jours inutiles !

Il aurait voulu passer les hivers
Au coin du foyer de la bonne vieille ;
Puis, en février, sur le Flot pervers
Tenter l’Inconnu dont on dit merveille ;

Ses Morts bien-aimés le hantaient la nuit
Et lui racontaient de troublantes choses :
Que la Mer est douce et qu’elle conduit
Vers des Pays bleus et des Îles roses…

Et le pauvre enfant grelottant la mort
Se levait sans bruit, tâtonnant dans l’ombre,
Courait détacher un canot du port,
Et ramait longtemps sur la vague sombre !

C’est ainsi qu’un soir Tanguy s’en alla,
Guidé par les Siens, au pays du Rêve ;
Il ventait très fort, son bateau coula :
Le flot rapporta son corps sur la grève !…


Voilà du pâtour le simple roman :
— Qui de nous n’a pas sa folle Chimère ? —
Il est mort d’avoir trahi son Serment :
Prions pour le gâs… veillons sur sa mère !…




Ces deux poésies sont éditées chez Bricon, Paris.