Contes et légendes annamites/Légendes/076 Le faux devin

La bibliothèque libre.
Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 187-189).


LXXVI

LE FAUX DEVIN[1].



Il y avait un pauvre ménage. Le mari était paresseux et menteur. Un jour sa femme l’envoya chercher du travail, mais il revint sans avoir rien fait que de couper un bambou. Avant de rentrer dans la maison il s’arrêta derrière le mur.

Ce jour-là sa femme avait acheté cinq gâteaux ; elle en donna trois à ses enfants et leur dit de serrer les autres dans la jarre au riz pour les garder pour leur père. Celui-ci entendit la chose, et quelques instants après il entra avec son bambou et dit à sa femme : « Femme, j’ai acquis le pouvoir de découvrir les objets cachés ; voici avec quoi je les sens. Si tu as quelque chose de caché je vais le trouver. Sa femme lui dit de chercher les deux gâteaux, et il les trouva tout de suite dans la jarre au riz.

La femme alla se vanter auprès de ses voisines de ce que son mari était devenu si habile. Une de ces voisines avait perdu une portée de porcelets. Elle alla bien vite demander au nouveau sorcier de les lui retrouver. Heureusement celui-ci en revenant les avait aperçus dans un buisson. Il dit à la voisine : « Que me donnerez-vous si je les retrouve ? » Elle lui en promit deux, et il la mena tout droit au buisson où la bande était cachée.

La femme du sorcier, toute joyeuse, alla conter l’affaire à ses parents. Ceux-ci lui dirent : « Amène ici ton mari pour l’éprouver ; nous allons cacher de l’argent dans ce coin, et s’il le trouve, nous vous donnerons la moitié de nos biens. Le mari avait suivi sa femme et surpris toute cette conversation. Il prit ses jambes à son cou, rentra chez lui et, quand sa femme revint, fit semblant de s’éveiller d’un profond sommeil. Il alla avec sa femme chez ses beaux parents et trouva le trésor.

Là-dessus, sa renommée se répandit dans tout le pays. Le roi le fit venir à la cour. Le roi avait perdu une tortue d’or et une tortue d’argent que lui avait données l’empereur de la Chine. Les tortues avaient été volées par deux domestiques du palais nommés l’un Bung et l’autre Da[2]. Justement ce furent ces deux individus qui furent envoyés par le roi pour aller chercher le devin en palanquin. Notre homme était fort triste et se disait que sa mort était certaine. Aussi, au passage d’une rivière, se jeta-t-il à l’eau. Les porteurs, craignant d’être rendus responsables de sa disparition, le repêchèrent. Il le leur reprocha vivement, leur disant qu’il avait voulu se rendre auprès du roi des enfers pour lui demander qui étaient les auteurs du vol. Il se jeta donc de nouveau à l’eau ; mais, après avoir attendu un certain temps, les porteurs allèrent encore à sa recherche et le trouvèrent qui flottait. Voyant qu’il ne pouvait leur échapper, il rentra dans sa litière et, au milieu de ses plaintes laissa échapper ces mots : « Bung l’a fait, Da en pâtira. »

Les deux porteurs pensèrent que leur vol était découvert ; ils déposèrent la litière et, se prosternant devant le devin lui dirent : « C’est nous qui sommes Bung et Da. Nous avons caché les tortues dans une gouttière ; faites-les retrouver, mais ne nous dénoncez pas. » Le devin y consentit. Il découvrit les tortues volées dans la gouttière où elles étaient cachées. Le roi conçut une grande estime de sa science et le récompensa richement.

Justement dans ce temps-là l’empereur de la Chine avait perdu des objets précieux. La renommée lui apprit qu’il y avait dans l’Annam un devin habile et il le fit mander à sa cour. Le devin craignit que sa bonne chance ne finît par se lasser ; il plongea sous l’eau et alla se heurter le nez contre une pierre aiguë qui lui enleva une narine. De retour à la surface de l’eau, il dit qu’il avait été mutilé de cette manière par un nôc[3] et qu’il avait perdu avec son nez ses moyens divinatoires. Par là il évita d’être mis à une nouvelle épreuve.



  1. Thây hit, littéralement : le maître flaireur.
  2. Les deux mots signifient ventre. L’expression proverbiale sur laquelle est basée notre histoire : Bung làm, du chiu ! ventre a fait, que ventre souffre ! signifie que chacun doit subir les conséquences de ses actions. Cet épisode se retrouve dans les Chuyen doi cwa (n° 12 de la 3e édition).
  3. Cà nôc, (Tetrodon), poisson à grosse tête et à corps grêle ; il se mange, quoique le fiel et les œufs passent pour vénéneux.