Contes et légendes annamites/Légendes/091 Mauvais génie

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Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 220-221).


XCI

MAUVAIS GÉNIE.



Au village de My duong, huyèn de Nghi xuàn, province de Ha tinh, il y avait un mauvais esprit nommé le thàng Bo[1] qui avait l’habitude de venir dans ce village pour tourmenter les filles. Beaucoup devenaient folles. Un jour, des parents allèrent chercher le thây phâp pour guérir leur fille, mais une voix s’éleva de derrière la maison, qui disait : « Plie bagage et va-t-en bien vite ; si tu demeures là, je te casse ton tambour et ta cymbale. » Comme le sorcier, embarrassé dans ses préparatifs magiques, ne se sauvait pas assez vite, il vit voler en éclats son tambour et sa cymbale ; aussi aucun d’eux n’osait-il plus affronter Bo.

Un notable du village avait une fille. Une nuit, il entendit Bo dire : « Donnez-moi votre fille en mariage, je consens à payer autant qu’il faudra ; mais si vous la mariez à un autre, cela n’ira pas. De jour en jour cette fille dépérissait et devenait plus pâle ; on la refusait à tous ceux qui venaient la demander en mariage. Chaque mois Bo apportait à sa femme une trentaine de ligatures, et quiconque faisait un sacrifice dans le village devait lui envoyer un bon morceau. S’il négligeait de le faire, Bo mettait des ordures dans les plats, de sorte que personne ne pouvait y toucher.

Le village de Cuong gian, situé sur le bord de la mer, fabrique des filets. Bo tracassait ses habitants de toutes les manières, ils étaient tous irrités contre lui, aussi délibérèrent-ils de préparer deux tables de mets divers, de choisir deux larges madriers (pour servir d’autel) et d’y mettre l’offrande. Ils l’entourèrent d’un filet solide, et des individus apostés se tinrent des quatre côtés avec des verges. Ils firent ensuite semblant d’offrir ce sacrifice à Bo et le prièrent, s’il l’agréait, de faire connaître sa présence en remuant les assiettes. Bo pensa que le village était de bonne foi et fit tinter les assiettes et les tasses. Immédiatement les gens apostés firent tomber le filet et se mirent à taper dessus pour tuer Bo. Ils ne pensaient pas que tandis qu’ils tapaient en serrant les lèvres, Bo avait brisé une maille du filet et s’était échappé. Une fois hors il s’écria : « Que vous ai-je fait pour que vous vouliez me tuer ? » Au quatrième mois, le temps étant sec, le vent s’éleva et Bo brûla le village d’un bout à l’autre.



  1. Il a déjà été question de ce Bo (voir ci-dessus n° III). Le narrateur l’appelle ici du terme méprisant de thang. Les mauvais esprits, en effet, peuvent être redoutés par leurs victimes mais ne sont pas honorés. Il est cependant probable qu’un indigène de Curong giân ou de My duong ne se risquerait pas à le désigner par cet appellatif, crainte de représailles.