Contes nouveaux ou Les fées à la mode/La Grenouille bienfaisante

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Veuve de Théodore Girard (Catherine Le Gras) (tome premierp. 151-227).

LA GRENOUILLE
BIEN-FAISANTE.


CONTE.



IL eſtoit une fois un Roy qui ſoutenoit depuis long-temps une grande guerre contre les voiſins. Aprés pluſieurs batailles on mit le Siege devant ſa Ville Capitale ; il craignit pour la Reine, & la voyant groſſe, il la pria de ſe retirer dans un Château qu’il avoit fait fortifier, & où il n’eſtoit jamais allé qu’une fois. La Reine employa les prieres & les larmes pour luy perſuader de la laiſſer auprés de luy ; elle vouloit partager ſa fortune, & cria les hauts cris lors qu’il la mit dans ſon chariot pour la faire partir ; cependant il ordonna à ſes Gardes de l’accompagner, & luy promit de ſe dérober le plus ſecrettement qu’il pourroit pour l’aller voir. C’eſtoit une eſperance dont il la flatoit ; car le Château eſtoit fort éloigné, environné d’une épaiſſe foreſt, & à moins d’en ſçavoir bien les routes, l’on n’y pouvoit arriver.

La Reine partit, tres-attendrie de laiſſer ſon mary dans les perils de la guerre, on la conduiſoit à petites journées, crainte qu’elle ne fût malade de la fatigue d’un ſi long voyage ; enfin elle arriva dans ſon Château, bien inquiette & bien chagrine. Aprés qu’elle ſe fut aſſez repoſée, elle voulut ſe promener aux environs, & elle ne trouvoit rien qui pût la divertir ; elle jettoit les yeux de tous coſtez, elle voyoit de grands déſerts qui luy donnoient plus de chagrins que de plaiſirs. Elle les regardoit triſtement, & diſoit quelquefois : quelle comparaiſon du ſejour où je ſuis à celuy où j’ay eſté toute ma vie ! Si j’y reſte encore long-temps il faut que je meure : à qui parler dans ces lieux ſolitaires ? avec qui puis-je ſoulager mes inquietudes : & qu’ay-je fait au Roy pour m’avoir exilée ? Il ſemble qu’il veuille me faire reſſentir toute l’amertume de ſon abſence, lors qu’il me relegue dans un Château ſi deſagreable.

C’eſt ainſi qu’elle ſe plaignoit, & quoy qu’il luy écrivît tous les jours, & qu’il luy donnât de fort bonnes nouvelles du ſiege, elle s’affligeoit de plus en plus, & prit la reſolution de s’en retourner auprés du Roy ; mais comme les Officiers qu’il luy avoit donné avoient ordre de ne la ramener que lors qu’il luy envoyeroit un courier exprés, elle ne témoigna point ce qu’elle meditoit, & ſe fit faire un petit Char, où il n’y avoit place que pour elle ; diſant qu’elle vouloit aller quelquefois à la chaſſe. Elle conduiſoit elle-même les Chevaux, & ſuivoit les chiens de ſi prés, que les Veneurs alloient moins vîte qu’elle ; par ce moyen elle ſe rendoit maîtreſſe de ſon Char & de s’en aller quand elle voudroit. Il n’y avoit qu’une difficulté, c’eſt qu’elle ne ſçavoit point les routes de la Foreſt ; mais elle ſe flatta que les Dieux la conduiroient à bon port, & aprés leur avoir fait quelques petits ſacrifices, elle dit qu’elle vouloit qu’on fiſt une grande chaſſe & que tout le monde y vinſt ; qu’elle monteroit dans ſon Char, que chacun iroit par differentes routes pour ne laiſſer aucunes retraites aux beſtes ſauvages. Ainſi l’on ſe partagea, la jeune Reine qui croyoit revoir bien-tôt ſon époux avoit pris un habit tres-avantageux, ſa Capline eſtoit couverte de plumes de differentes couleurs, ſa Veſte toute garnie de pierreries, & ſa beauté qui n’avoit rien de commun, la faiſoit paroiſtre comme une seconde Diane.

Dans le temps qu’on eſtoit le plus occupé du plaiſir de la Chaſſe, elle lâcha la bride à ſes Chevaux, & les anima de la voix & de quelques coups de foüet. Aprés avoir marché aſſez vîte, ils prirent le galop, & enſuite le mors aux dents. Le Chariot ſembloit traîné par les vents, les yeux auroient eu peine à le ſuivre ; la pauvre Reine ſe repentit, mais trop tard de ſa temerité : Qu’ay-je prétendu, diſoit-elle, me pouvoit-il convenir de conduire toute ſeule des Chevaux ſi fiers & ſi peu dociles ? Helas ! que va-t’il m’arriver ? Ha ! ſi le Roy me croyoit expoſée au peril où je suis, que deviendroit-il ; luy qui m’aime ſi cherement, & qui ne m’a éloignée de ſa Ville Capitale, que pour me mettre en plus grande ſureté ? Voilà comme j’ay répondu à ſes tendres ſoins, & ce cher enfant que je porte dans mon ſein va eftre auſſi-bien que moy la victime de mon imprudence. L’air retentiſſoit de ſes douloureuſes plaintes, elle invoquoit les Dieux, elle appelloit les Fées à ſon ſecours ; & les Dieux & les Fées l’avoient abandonnée. Le Chariot fut renverſé, elle n’eut pas la force de ſe jetter aſſez promptement à terre, ſon pied demeura pris entre la roue & l’eſſieu ; il eſt aiſé de croire qu’il ne faloit pas moins qu’un miracle pour la ſauver aprés un ſi terrible accident.

Elle reſta enfin étendue ſur la terre au pied d’un arbre, elle n’avoit ny poux ny voix, ſon viſage eſtoit tout couvert de ſang. Aprés eſtre demeurée long-temps en cet eſtat, lors qu’elle ouvrit les yeux, elle vit auprés d’elle une femme d’une grandeur giganteſque, couverte ſeulement de la peau d’un Lion, ſes bras & ſes jambes eſtoient nuds, ſes cheveux noüez enſemble avec une peau ſeche de ſerpent, dont la teſte pendoit ſur ſes épaules, une Maſſuë de pierre à la main qui luy ſervoit de canne pour s’appuyer, & un Carquois plein de fleches au coſté. Une figure ſi extraordinaire perſuada la Reine qu’elle eftoit morte ; car elle ne croyoit pas qu’aprés de ſi grands accidents, elle deuſt vivre encore, & parlant tout bas : Je ne ſuis point ſurpriſe, dit-elle, qu’on ait tant de peine à ſe reſoudre à la mort, ce qu’on voit en l’autre monde eſt bien affreux. La Geanne qui l’écoutoit ne put s’empêcher de rire de l’opinion où elle eſtoit d’eſtre morte : Reprens tes eſprits, luy dit-elle, ſçache que tu es encore au nombre des vivans ? Mais ton ſort n’en fera guere moins triſte. Je fuis la Fée Lionne, qui demeure proche d’icy, il faut que tu viennes paſſer ta vie avec moy. La Reine la regarda triſtement, & luy dit : ſi vous vouliez, Madame Lionne, me remener dans mon Château, & preſerire au Roy ce qu’il vous donnera pour ma rançon, il m’aime ſi cherement, qu’il ne refuſeroit pas même la moitié de ſon Royaume ? Non, luy dit-elle, je ſuis ſuffiſamment riche, il m’ennuyoit depuis quelque temps d’eſtre feule, tu as de l’eſprit, peut-eſtre que tu me divertiras. En achevant ces paroles elle prit la figure d’une Lionne, & chargeant la Reine ſur ſon dos, elle l’emporta au fond de ſa terrible grotte ; dés qu’elle y fut, elle la guerit avec une liqueur dont elle la frotta.

Quelle ſurpriſe & quelle douleur pour la Reine, de ſe voir dans cet affreux ſejour : l’on l’on y deſcendoit par dix milles marches qui conduiſoient juſqu’au centre de la terre ; il n’y avoit point d’autre lumiere que celle de pluſieurs groſſes lampes qui reflechiſſoient ſur un Lac de vif-argent. Il eſtoit couvert de Monſtres, dont les differentes figures auroient épouvanté une Reine moins timide ; & les Hibous & les Choüettes quelques Corbeaux & d’autres oiſeaux de ſiniſtre augure s’y faiſoient entendre ; l’on appercevoit dans un lointain une montagne d’où couloient des eaux preſque dormantes ; ce ſont toutes les larmes que des Amans malheureux ont jamais verſées, dont les triſtes Amours ont fait des reſervoirs. Les arbres eſtoient toujours dépouillés de feuilles & de fruits, la terre couverte de ſoucis, de ronces & d’orties ; la nourriture convenoit au climat d’un pays ſi maudit, quelques racines ſeches, des marrons d’Inde bien amers & des pommes d’arglantier. C’eſt tout ce qui s’offroit pour ſoulager la faim des infortunés qui tomboient entre les mains de la Fée Lionne.

Si-tôt que la Reine ſe trouva en eſtat de travailler, la Fée luy dit qu’elle pouvoit ſe faire une Cabane, parce qu’elle reſteroit toute ſa vie avec-elle ; à ces mots, cette Princeſſe n’eut pas la force de retenir ſes larmes : Hé que vous ay-je fait, s’écria-t'elle, pour me garder icy ? Si la fin de ma vie que je ſens approcher, vous cauſe quelque plaiſir donnez-moy la mort, c’eſt tout ce que j’oſe eſperer de vôtre pitié ; mais ne me condamnez point à paſſer une longue & déplorable vie ſans mon époux. La Lionne ſe mocqua de ſa douleur, & luy dit qu’elle luy conſeilloit d’eſſuyer ſes pleurs, & d’eſſayer à luy plaire ; que ſi elle prenoit une autre conduite, elle feroit la plus malheureuſe perſonne du monde : Que faut-il donc faire, repliqua la Reine, pour toucher vôtre cœur ? J’aime, luy dit-elle, les pâtez de mouches, je veux que vous trouviez le moyen d’en avoir aſſez pour m’en faire un tres-grand & tres-excellent : Mais, luy dit la Reine, je n’en voy point icy ; quand il y en auroit, il ne fait pas aſſez clair pour les attraper ; & quand je les attraperois, je n’ay jamais fait de patiſſerie ; de forte que vous me donnez des ordres que je ne puis executer : n’importe, dit l’impitoyable Lionne, je veux ce que je veux.

La Reine ne repliqua rien : elle penſa qu’en dépit de la cruelle Fée, elle n’avoit qu’une vie à perdre, & en l’eſtat où elle eſtoit, que pouvoit-elle craindre ? Au lieu donc d’aller chercher des mouches elle S’aſſit ſous un If, & commença ſes triſtes plaintes : Quelle ſera vôtre douleur, mon cher époux, diſoit-elle, lors que vous viendrez me chercher & que vous ne me trouverez plus ; vous me croirez morte ou infidelle, & j’aime encore mieux que vous pleuriez la perte de ma vie, que celle de ma tendreſſe ; l’on retrouvera peut-eſtre dans la foreſt mon Chariot en pieces, & tous les ornemens que j’avois pris pour vous plaire, à cette vûë vous ne douterez plus de ma mort ; & que ſçay-je ſi vous n’accorderez point à une autre la part que vous m’aviez donnée dans vôtre cœur ? mais au moins je ne le ſçauray pas, puis que je ne dois plus retourner dans le monde. Elle auroit continué longtemps à s’entretenir de cette maniere, ſi elle n’avoit pas entendu audeſſus de ſa teſte le triſte croaſſement d’un Corbeau. Elle leva les yeux, & à la faveur du peu de lumiere qui éclairoit le rivage, elle vit en effet un gros Corbeau qui tenoit une Grenoüille, bien intentionné de la croquer : encore que rien ne ſe preſente icy pour me ſoulager, dit-elle, je ne veux pas negliger de ſauver une pauvre Grenouille qui eſt auſſi affligée en ſon eſpece, que je le ſuis dans la mienne. Elle ſe ſervit du premier bâton qu’elle trouva ſous ſa main, & fit quitter priſe au Corbeau ; la Grenouille tomba, reſta quelque temps étourdie, & reprenant enſuite ſes eſprits Grenoüilliques : Belle Reine, luy dit-elle, vous eſtes la feule perſonne bien-faiſante que j’aye vûë en ces lieux depuis que la curioſité m’y a conduite. Par quelle merveille parlez-vous, petite Grenouille répondit la Reine, & qui ſont les perſonnes que vous voyez icy ; car je n’en ay encore apperçu aucunes : Tous les Monſtres dont ce Lac eſt couvert, reprit Grenoüillette, ont eſté dans le monde ; les uns ſur le Trône, les autres dans la confidence de leurs Souverains, il y a même des Maîtreſſes de quelques Rois qui ont couté bien du ſang à l’Etat ; ce ſont elles que vous voyez metamorphoſées en Sangſuës, le Deſtin les envoye icy pour quelques temps, ſans qu’aucuns de ceux qui y viennent retournent meilleurs & ſe corrigent. Je comprends bien, dit la Reine, que pluſieurs méchans enſemble n’aident pas à s’amander : mais à vôtre égard, ma comere la Grenouille, que faites vous icy ? La curioſité m’a fait entreprendre d’y venir, repliqua-t’elle, je ſuis demy Fée, mon pouvoir eſt borné en de certaines choſes, & fort éten du en d’autres, ſi la Fée Lionne me reconnoiſſoit dans ſes Eſtats, elle m’extermineroit.

Comment eſt-il poſſible, luy dit la Reine, que Fée ou demy Fée, un Corbeau ait eſté preſt à vous manger ? deux mots vous le feront comprendre, répondit la Grenouille, lors que j’ay mon petit chaperon de roſes ſur ma tête, dans lequel conſiſte ma plus grande vertu, je ne crains rien ; mais malheureuſement je l’avois laiſſé dans le marécage quand ce maudit Corbeau eſt venu fondre ſur moy : j’avouë, Madame, que ſans vous, je ne ſerois plus ; & puis que je vous dois la vie, ſi je peux quelque choſe pour le ſoulagement de la vôtre, vous pouvez m’ordonner tout ce qu’il vous plaira. Helas ! ma chere Grenoüille, le, dit la Reine, la mauvaiſe Fée qui me retient captive, veut que je luy faſſe un pâté de mouches ; il n'y en a point icy, quand il y en auroit, on n'y voit pas aſſez clair pour les attraper, & je cours grand riſque de mourir ſous ſes coups : Laiſſez-moy faire, dit la Grenoüille, avant qu'il ſoit peu je vous en fourniray. Elle ſe frotta auſſitôt de Sucre, & plus de ſix mille Grenouilles de ſes amies en firent autant : elle fut enſuite dans un endroit remply de mouches, la méchante Fée en avoit là un magaſin exprés pour tourmenter de certains malheureux. Dés qu'elles ſentirent le Sucre, elles s'y attacherent, & les officieuſes Grenoülles revinrent au grand galop où la Reine eſtoit. Il n'a jamais eſté une telle capture de mouches, ny un meilleur pâté que celuy qu’elle fit à la Fée Lionne. Quand elle le luy preſenta elle en fut tres-ſurpriſe, ne comprenant point par quelle adreſſe elle avoit pu les attraper.

La Reine eſtant expoſée à toutes les intemperies de l’air, qui eſtoit empoiſonné, coupa quelques Cyprés pour commencer à bâtir ſa maiſonnette. La Grenouille vint luy offrir genereuſement ſes ſervices, & ſe mettant à la teſte de toutes celles qui avoient eſté querir les mouches, elles aiderent à la Reine à élever un petit bâtiment le plus joly du monde ; mais elle y fut à peine couchée, que les monſtres du Lac jaloux de ſon repos, vinrent la tourmenter par le plus horrible charivary que l’on eût entendu juſqu’alors. Elle ſe leva toute effrayée & s’enfuit ; c’eſt ce que les monſtres demandoient, un Dragon jadis Tyran d’un des plus beaux Royaumes de l’univers en prit poſſeſſion.

La pauvre Reine affligée voulut s’en plaindre ; mais vrayment on ſe mocqua bien d’elle ; les monſtres la huérent, & la Fée Lionne luy dit que ſi à l’avenir elle l’étourdiſſoit de ſes lamentations, elle la roüroit de coups. Il ſalut ſe taire & recourir à la Grenouille, qui eſtoit bien la meilleure perſonne du monde. Elles pleurerent enſemble ; car auſſi-tôt qu’elle avoit ſon chaperon de roſes, elle eſtoit capable de re & de pleurer, tout comme une autre. J’ay, luy dit-elle, une ſi grande amitié pour vous, que je veux recommencer vôtre bâtiment, quand tous les monſtres du Lac devroient s’en deſeſperer. Elle coupa ſur le champ du bois, & le petit Palais ruſtique de la Reine ſe trouva fait en ſi peu de temps, qu’elle s’y retira la même nuit.

La Grenouille attentive à tout ce qui eſtoit neceſſaire à la Reine, luy fit un lit de ſerpolet & de thym ſauvage ; lors que la méchante Fée ſçut que la Reine ne couchoit plus par terre elle l’envoya querir : Quels ſont donc les hommes ou les Dieux qui vous protegent, luy dit-elle ? Cette terre toûjours arroſée d’une pluye de ſouffre & de feux, n’a jamais rien produit qui vaille une feuille de ſauge ; j’aprends malgré cela, que les herbes odoriferantes croiſſent ſous vos pas ? J’en ignore la cauſe, Madame, luy dit la Reine, & ſi je l’attribue à quelque choſe, c’eſt à l’enfant dont je ſuis groſſe, qui ſera peut-eſtre moins malheureux que moy.

L’envie me prend, dit la Fée, d’avoir un bouquet des fleurs les plus rares, eſſayez ſi la fortune de vôtre marmot, vous en fournira : ſi elle y manque, vous ne manquerez pas de coups ; car j’en donne ſouvent, & les donne toujours à merveilles. La Reine ſe prit à pleurer, de telles menaces ne luy convenoient gueres, & l’impoſſibilité de trouver des fleurs, la mettoit au deſeſpoir.

Elle s’en retourna dans ſa maiſonnette, ſon amie la Grenoüille y vint : Que vous eſtes triſte, dit-elle à la Reine ? helas ma chere commere, qui ne la ſeroit ? la Fée veut un bouquet des plus belles fleurs, où les trouveray-je ? vous voyez celles qui naiſſent icy ; il y va cependant de ma vie ſi je ne la ſatisfais. Aimable Princeffe, dit gracieuſement Grenoüille, il faut tâcher de vous tirer de l’embarras où vous eſtes : il y a icy une Chauve-ſouris, qui eſt la feule avec qui j’ay lié commerce ; c’eſt une bonne creature, elle va plus vite que moy, je luy donneray mon chaperon de feuilles de roſes ; avec ce ſecours elle vous trouvera 175 des fleurs. La Reine ravie luy fit une profonde reverence ; car il n’y avoit pas moyen d’embraſſer Grenouillette. Celle-cy alla auſſi-tôt parler à la Chauve-ſouris, & quelques heures aprés elle revint, cachant fous ſes aifles des fleurs admirables. La Reine les porta bien vîte à la mauvaiſe Fée, qui demeura encore plus ſurpriſe qu’elle l’euft cfté, ne pouvant comprendre par quel miracle la Reine eftoitfi bien ſervie. Cette Princeffe refvoit inceſſamment aux moyens de pouvoir s’échapper. Elle communiqua ſon envie à la bonne Grenouille, qui luy dit : Madame, permettez-moy avant toutes choſes, que je conſulte mon petit chaperon, & nous 176 agirons enſuite ſelon ſes conſeils. Elle le prit, & l’ayant mis ſur un fetu, elle brûla devant quelques brins de genievre, des capres, & deux petits pois verts ; elle croüaça cinq fois, puis la ceremonie finie remettant le Chaperon de roſes, elle commença de parler comme un Oracle. Le Deftin maiftre de tout, dit-elle, vous défend de ſortir de ces lieux ; vous y aurez une Princeffe plus belle que la mere des Amours, ne vous mettez point en peine du reſte temps ſeul peut vous ſoulager. le La Reine baiſſa les yeux, quelques larmes en tomberent ; mais elle prit la refolution de croire ſon amie : tout au moins, luy dit-elle, ne m’abandonnez 177 pas ; ſoyez à mes couches, puis que je fuis condamnée à les faire icy. L’honnefte Grenoüille s’engagea d’eftre ſa Lucine, & la conſola le mieux qu’elle put. Mais il eſt temps de parler du Roy : Pendant que ces ennemis le tenoient affiegé dans fa Ville Capitale, il ne pouvoit envoyer ſans ceſſe des Courriers à la Reine ; cependant ayant fait pluſieurs ſorties, il les obligea de ſe retirer, & il reſſentit bien moins le bonheur de cet évenement, par rapport à luy, qu’à ſa chere Reine, qu’il pouvoit aller querir ſans crainte. Il ignoroit ſon déſaſtre, aucun de ſes Of ficiers n’avoit oſé l’en aller avertir. Ils avoient trouvé dans la foreft, le Chariot en pieces, les Chevaux échappez, & tou178 te la parure d’Amazone qu’elle avoit miſe pour l’aller trouver. , Comme ils ne douterent point de ſa mort & qu’ils crurent qu’elle avoit eſté devorée, il ne fut queſtion entr’eux que de perſuader au Roy qu’elle eftoit morte fubittement. A ces funeſtes nouvelles il penſa mourir luy-même de douleur cheveux arrachez, larmes répanduës, cris pitoyables, ſanglots, ſoupirs & autres menus droits du veuvage, rien ne fut épargné dans cette occa fion. Aprés avoir paſſé pluſieurs jours ſans voir perſonne & fans vouloir eftre vu, il retourna dans ſa grande Ville, traînant aprés luy un long deuil, qu’il portait bien mieux dans le cour que BIEN FAISANTE. 179 dans ſes habits, tous les Ambaffadeurs des Rois fest voiſins vinrent le complimenter, & aprés les ceremonies qui font infeparables de ces fortes de cataſtrophes, il s’attacha à donner du repos à ſes ſujets, en les exemptant de guerre & leur procurant un grand commerce.. La Reine ignoroit toutes ces choſes, le temps vint de ſes couches, elles furent tres-heureuſes, le Ciel luy donna une petite Princeffe auſſi belle que Grenouille l’avoit predit, elles la nommerent Moufette ; & la Reine avec bien de la peine, obtint permiſſion de Fée Lionne de la nourrir ; car elle avoit grande envie de la manger, tant elle eftoit barbare & ferocc.. 180 Moufette ; la merveille de nos jours, avoit déja ſix mois, & la Reine en la regardant avec une tendreſſe mêlée de pitié, difoit ſans ceſſe : Ha ! fi le Roy ton pere te voyoit, ma pauvre petite ; qu’il auroit de joye, que tu luy ferois chere ! Mais peut-eftre dans ce même moment, qu’il commence à m’oublier, il nous croit enſevelies pour jamais dans les horreurs de la mort : peut-eftre, dis-je, qu’une autre occupe dans ſon cœur, la place qu’il m’y avoit donnée. Ses triſtes reflexions luy coutoient bien des larmes, la Grenoüille qui l’aimoit de bonne foy, la voyant pleurer ainſi luy dit un jour : Si vous voulez, Madame, j’iray trouver le Roy voftre époux, le voyage “ ne BIEN FAISANTE. 18 eſt long, je chemine lentement ; mais enfin, un peu plûtôt ou un peu plus tard, j’efpere arriver. Cette propoſition pouvoit eftre plus agreablement reçûe qu’elle le fut, la Reine joignit ſes mains, & les fit même joindre à Moufette, pour marquer à Madame la Grenouille l’obligation qu’elle luy auroit d’entreprendre un tel voyage. Elle l’affura que le Roy n’en feroit point ingrat : mais continua-t’elle, de quelle utilité luy pourra eftre de me fçavoir dans ce triſte fejour, il luy fera impoſſible de m’en retirer ? Madame, reprit gravement la Grenouille, il faut laiſſer ce foin aux Dieux, & faire de nôtre côté ce qui dépend de nous. , Auffi-tôt elles ſe dirent adieu, 182 la Reine écrivit au Roy avec ſon propre fang ſur un petit morceau de linge ; car elle n’avoit ny encre ny papier. Elle le prioit de croire en toutes choſes la vertueuſe Grenoüille qui l’alloit informer de ſes nouvelles. Elle fut un an & quatre jours à monter les dix milles marches qu’il y avoit depuis la Plaine noire où elle laiffoit la Reine juſqu’au monde, & elle demeura une autre année à faire faire ſon équipage ; car elle eftoit trop fiere pour vouloir paroiftre dans une grande Cour, comme une méchante Grenouillette de marécages. Elle fit faire une littiere aſſez grande pour mettre commodement deux œufs ; elle eftoit couverte, toute d’écaille de tor 183 tuë en dehors, doublée de peau de jeunes lezards ; elle avoit cinquante filles d’honneur, c’étoient de ces petites Reines vertes qui ſautillent dans les prez, chacune eftoit montée fur un eſcargot, avec une Selle à l’Angloife, la jambe fur l’arçon d’un air merveil leux ; pluſieurs rats d’eau, vétus en pages, précedoient les limaflons, aufquels elle avoit confié la garde de fa perſonne : Enfin, rien n’a jamais eſté ſi joly, ſur tout ſon Chaperon de roſes vermeilles, toûjours fraiches & épanouies luy feyoit le mieux du monde. Elle eftoit un peu coquette de ſon métier, cela l’avoit obligée de mettre du rouge & des mouches ; l’on dit même qu’elle s’eftoit fardée, comme font 184 la plupart des Dames de ce païs-là ; mais la choſe approfondie, l’on a trouvé que toit ſes ennemis qui en parloient ainſi. c’éElle demeura ſept ans à faire ſon voyage, pendant leſquels la pauvre Reine ſouffrit des maux & des peines inexprimables, & ſans la belle Moufette qui la confoloit, elle feroit morte cent & cent fois. Cette merveilleuſe petite creature, n’ouvroit pas la bouche & ne difoit pas un mot qu’elle ne charmât ſa mere, il n’eftoit pas juſqu’à la Fée Lionne qu’elle n’eût, apprivoiſée ; & enfin au bout de ſix ans, que la Reine avoit paſſez dans cet horrible fejour, elle voulut bien la menerà la chaſſe ; à condition que tout ce qu’elle tuëroit feroit pour elle. Quel 185 Quelle joye pour la pauvre Reine de revoir le Soleil, elle en avoit ſi fort perdu l’habitude qu’elle en penſa devenir aveugle. Pour Moufette, elle eftoit ſi adroitte, qu’à cinq &ſix ans rien n’échappoit aux coups qu’elle titoit ; par ce moyen la mere & la fille adouciffoient un peu la ferocité de la Fée. Grenouille chemina par monts & par vaux, de jour & de nuit ; enfin elle arriva proche de la Ville Capitale où le Roy faifoit ſon fejour ; elle demeura ſurpriſe de ne voir par tout que des danſes & des fefins, on rioit on chantoit ; & plus elle approchoit de la Ville, plus elle trouvoit de joye & de jubilation. Son équipage masecageux furprenoit tout le Tome I. 186 monde, chacun la fuivoit, & la foule devint ſi grande lors qu’elle entra dans la Ville qu’elle eut beaucoup de peine à parvenir juſqu’au Palais ; c’eſt en ce lieu que tout eftoit dans la magnificence. Le Roy veuf depuis neuf ans, s’eftoit enfin laiſſé fléchir aux prieres de ſes ſujets, il alloit ſe marier à une Princeffe, moins belle à la verité que ſa femme, mais qui ne laiffoit pas d’eftre fort agreable.. La bonne Grenouille eſtant defcenduë de ſa littiere, entra chez le Roy, ſuivie de tout ſon Cortege. Elle n’eut pas beſoin de demander Audiance, le Monarque, fa Fiancée, & tous les Princes, avoient trop d’envie de fçavoir le ſujet de ſa venue pour l’interrompre : Sire, luy dit-elle, je ne fçay ſi la nour 187 velle que je vous apporte vous donnera de la joye ou de la peine, les Nôces que vous eſtes fur le point de faire, me perſuadent vôtre infidelité pour la Reine. Son ſouvenir m’eſt toûjours cher, dit le Roy (en verſant quelques larmes qu’il ne put retenir) ; mais il faut que vous fçachiez gentille Grenoüille, que les Rois ne font pas toûjours ce qu’ils veulent ; il y a neuf ans que mes Sujets me preſſent de me remarier, je leur dois des heritiers ; ainſi j’ay jetté les yeux ſur cette jeune Princeffe, qui me paroît toute charmante. Je ne vous conſeille pas de l’épouſer, dit la Grenouille, car la poligamie eſt un cas pendable la Reine n’eſt point morte ; voicy une Lettre écrite de ſon fang, Qij 188 LA GRENOUILLE dont elle m’a chargée : Vous avez une petite Princeffe Moufette, qui eſt plus belle que tous les Cieux enſemble. Le Roy prit le chiffon où la Reine avoit griffonné quelques mots, il le baiſa, il l’arroſa de ſes larmes, il le fit voir à toute l’Affemblée ; diſant qu’il reconnoiffoit fort bien le caractere de ſa femme ; il fit mille queſtions à la Grencüille, aufquelles elle répondit avec autant d’eſprit que de vivacité. La Princeffe fiancée, & les Ambaffadeurs chargez de voir celebrer ſon mariage, faifoient treslaide grimace : Comment, Sire, dit le plus celebre d’entr’eux pouvez-vous ſur les paroles d’une Crapaudine comme celleey, rompre un Hymen ſi folemnel ? Cette écume de maréca 189 9 ge a l’inſolence de venir mentir à vôtre Cour, & goûte le plaiſir d’eftre écoutée : Monfieur l’Ambaffadeur, repliqua la Grenouille, fçachez que je ne fuis point écume de marécage ; & puis qu’il faut icy étaler ma ſcience : Allons Fées & Feos, paroiffez. Toutes les Grenoüilles & Grenouillettes Rats “ Efearbots, Lezards, & elle à leur teſte parurent en effet ; mais ils n’avoient plus la figure de ces vilains petits animaux, leur taille. eftoit haute & majeſtueuſe, leur viſage agreable, leurs yeux plus brillans que les Eftoilles, chacun portoit une couronne de Pierreries ſur fa teſte, & un manteau Royal fur ſes épaules, de velours doublé d’hermine, avec une longue queue que des Nains & des 190 Naines portoient. En même temps, voicy des Trompettes, Timballes, Haubois & Tambours qui percent les nuës par leurs ſons agreables & guerriers, , toutes les Fées & les Feos commencerent un Ballet fi legerement danſé, que la moindre gambade les élevoit juſqu’à la voute du ſalon. Le Roy attentif & la future Reine n’eftoient pas moins ſurpris l’un que l’autre, quand ils virent tout d’un coup ces honorables Baladins, metamorphofez en fleurs, qui ne baladinoient pas moins, Jaffemins, Jonquilles, Violettes, Œüillets & Tubereufes, que lors qu’ils eftoient pourvus de jambes & de pieds. C’eftoit un parterre animé dont tous les mouvemens rejoüiffoient autant l’odorat que la vue. 19 Un inſtant aprés les fleurs diſparurent, pluſieurs fontaines prirent leurs places, elless’élevoient rapidement, & retomboient dans un large Canal qui ſe forma au pied du Château ; il eftoit couvert de petites Galeres peintes & dorées fi jolies & ſi galantes, que la Princeffe convia ſes Ambaffadeurs d’y entrer avec elle pour s’y promener. Ils le voulurent bien, comprenant que tout cela n’étoit qu’un jeu, qui ſe termineroit enfin par d’heureuſes Noces. Dés qu’ils furent embarquez, la Galere, le Fleuve & toutes les fontaines diſparurent ; lesGrenouilles redevinrent Grenoüilles. Le Roy demanda où ой eftoit ſa Princeffe, la Grenoüille repartit : Sire, vous n’en dePage:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/206 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/207 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/208 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/209 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/210 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/211 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/212 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/213 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/214 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/215 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/216 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/217 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/218 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/219 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/220 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/221 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/222 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/223 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/224 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/225 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/226 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/227 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/228 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/229 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/230 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/231 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/232 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/233 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/234 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/235 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/236 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/237 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/238 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/239 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/240 Page:Aulnoy - Contes nouveaux ou Les fées à la mode, tome 1, 1698.pdf/241