Contes tjames/Le niais

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Imprimerie coloniale (p. 97-99).


XII

LE NIAIS


Voici un conte que les vieillards m'ont raconté autrefois. Je m'en souviens et je le conte au maître :

Deux époux avaient un fils qui était niais. Le voyant ainsi ils se dirent : Quand nous serons morts il ne saura pas conserver ses biens ; nos parents lui prendront tout et il n'aura plus de quoi vivre. Le père creusa donc un trou à l'intérieur de la palissade qui entourait sa maison, il y enfouit de l'or et de l'argent et planta en cet endroit un grenadier, un goyavier, un litchi, un oranger, un cocotier. Ensuite il fondit pour son fils un bâton d'or long de sept nœuds.

Le père appela son fils et lui dit : Quand nous serons morts, si tu ne peux conserver tes biens à cause de ta bêtise, conserve ce bâton. Quand tu voudras prendre une femme tu proposeras une énigme à la fille, si elle la devine tu la garderas, si elle ne devine pas tu la quitteras en lui donnant pour indemnité une des sections de ce bâton. Voici l'énigme : Le nhûk est sous le litchi ; qui a vu le roi sous l'oranger ? Telles furent les instructions du père à son fils.

Quand ses parents furent morts le niais fut, en deux ou trois ans, dépouillé de tous ses biens ; quelques-uns lui donnaient à manger par charité, mais il était incapable de gagner sa vie. Il alla alors demander une fille en mariage. Trois jours après qu'ils furent accordés il lui dit : Mon père m'a fait une recommandation, il ne serait pas convenable de ne pas l'observer. La fille répondit : Les ordres des parents sont chose grave ; ce qu'ils t'ont dit, dis-le moi, ne me le cache pas. Le mari dit : Mon père m'a dit : Quand tu prendras une femme, propose-lui une énigme, si elle la devine tu resteras avec elle, sinon tu la quitteras.

Il prit ainsi trois femmes successivement sans qu'aucune devinât l'énigme ; chaque fois, il cassait une des sections de son bâton et la leur donnait en guise d'indemnité. Au bout d'un an on lui désigna une fille pauvre et sans parents, qui était employée chez des étrangers et on la lui donna en mariage. Il dit à cette fille : Mon père m'a fait une recommandation, il ne serait pas convenable de ne pas l'observer. La fille répondit : Quoi que ce soit, dis-le moi. Le niais dit : C'est une énigme : Le nhûk est sous le litchi ; qui a vu le roi sous l'oranger ?

La fille lui demanda : Sur le terrain où habitaient tes parents, y a-t-il encore une clôture ? Non, répondit-il, on l'a coupée. — Y a-t-il encore quelques arbres ? — Oui, dit-il, il y a des arbres fruitiers. La fille dit : S'il en est ainsi, mène-moi à cet endroit. — Pourquoi faire, dit-il ? — Mène-moi toujours. — Arrivés sur les lieux elle vit le grenadier, le goyavier, l'oranger, le litchi, le cocotier et comprit que sous ces arbres il y avait de l'argent caché. Elle ne dit rien à son mari, mais elle lui ordonna de couper le grenadier et d'en extraire les racines. Pourquoi cela, demanda-t-il ? — Travaille toujours, dit-elle. — Il déracina le grenadier et y trouva un tas de sapèques. La femme dit alors à son mari d'aller acheter une paire de buffles, un char, et de louer deux hommes et de les ramener. Il fit ce qui lui était commandé. La femme ordonna aux deux hommes d'aller couper des perches et de planter une palissade tout autour de cet endroit et elle acheta du bois pour construire une maison. Quand la maison fut bâtie, elle ordonna à son mari d'abattre tous les arbres pour fouiller au-dessous, prendre l'or et l'argent cachés et les mettre dans la maison. Ainsi ils furent riches comme l'avaient été leurs parents. Ici finit ce conte.