Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0743

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Louis Conard (Volume 5p. 49-50).

743. À SA NIÈCE CAROLINE.
Paris, lundi soir, 9 heures [13 octobre 1862].
Mon aimable Nièce,
Mon Bibi,

Oui !!!

Tu peux prendre les fragments de rideaux qui te conviennent et en orner ton appartement.

Je te prie en même temps de rétablir mon trophée et de raccrocher mes cadres : cela rentre dans ta spécialité. Fais de même arranger mon tapis dans ma chambre à coucher. Je pense que Lallemant ne se refusera pas à poser dans mon cabinet des rideaux et un tapis fournis par un autre.

Quand tu iras à Rouen, fais-moi aussi le plaisir de me commander chez la mère Plichon une paire de pantoufles que vous m’apporterez.

Tu te plains, mon pauvre loulou, de la brièveté de mes lettres. Mais, loin de mener la vie brûlante et de voir beaucoup de monde, je vis présentement fort retiré. J’ai passé toute la semaine dernière dans mon lit. J’ai un clou qui a un peu frisé l’anthrax ; celui-là est parti, mais d’autres me sont survenus. Je me suis encore purgé aujourd’hui, et j’ai de la bouillie autour du cou. Ma seule distraction a été de corriger des épreuves, et comme Monseigneur était à Mantes (je l’attends demain), je me trouvais parfaitement isolé. Voilà pourquoi j’ai fort peu de choses à te narrer.

J’ai eu hier la visite d’Hamilton Aïdé ; il est pour peu de jours à Paris. Ton analyse[1] m’a été d’un grand secours.

Pendant qu’il était là est survenu le Sieur Cordier (de Rouen), qui m’a donné des nouvelles de l’Hôtel-Dieu.

Les affaires de Duplan se calment, mais il se retirera du commerce sans un sou. Mme Cornu tâchera de lui faire avoir quelque place ; il s’est habitué à son désastre et le porte avec philosophie.

Je sais au moins maintenant à quelle époque vous viendrez ; ne la reculez pas. Salammbô ne sera pas encore parue. Tu m’aideras à faire les dédicaces et à coller les bandes sur les volumes. Il faut que je retire quelque fruit de l’éducation que je t’ai donnée.

Tu t’ennuies donc du pauvre vieux, quoiqu’il soit « drôle » ! et « pas aimable » ; moi aussi, pauvre Caro, je m’ennuie beaucoup, et j’ai bien envie de bécoter ta gentille et fraîche mine.

J’ai reçu une lettre de l’honnête Bardoux qui me charge de vous dire mille choses.

Embrasse bien ta bonne maman pour moi.

Ton vieux ganachon.

  1. Analyse d’un roman anglais d’Hamilton Aïdé.