Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0987

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Louis Conard (Volume 5p. 398-399).

987. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Croisset [15 août 1868].
Princesse,

Je suis bien fâché de vous avoir importunée inutilement, mais l’épouse légitime de mon protégé (qui est un ami de ma nièce) m’avait affirmé que son homme était parfaitement en mesure d’être promu chef de bataillon. Je prie donc Votre Altesse de m’excuser.

En arrivant ici jeudi matin j’ai trouvé votre aimable lettre du 12, où je vois (du moins vous le dites) que je ne vous ai pas trop été à charge pendant huit jours. C’est bien gentil, cela ! Quant à moi, si j’avais suivi mon propre entraînement, je serais resté indéfiniment près de vous ; mais… mais… mais… sans compter ma timidité, dont vous vous moquez et dont au fond vous ne doutez pas, Princesse.

J’étais si troublé jeudi soir, en vous quittant, que je n’avais plus la tête à moi. La princesse Charlotte[1] vous a conté mes grotesques embarras en chemin de fer. On ne saura jamais tout ce qu’il y a de faiblesses sous ma grosse enveloppe de gendarme. Mais je m’arrête, pour ne pas ressembler au monsieur (de mes amis) qui posait chez vous l’homme sentimental.

Me voilà donc revenu à mon travail.

Puisse-t-il vous plaire, Princesse ! Comme vous êtes difficile, votre suffrage serait pour moi un vrai triomphe.

Je suis fâché d’apprendre que votre vieux Giraud[2] est malade. Quand vous m’écrirez, donnez-moi des nouvelles ; rien de ce qui vous intéresse ne m’est indifférent. D’ailleurs j’aime ceux qui vous aiment.

Je vous baise les deux mains, Princesse, et suis votre tout dévoué et très affectionné.

G. Flaubert.

À propos de vos mains, le moulage est-il bien venu ?

P.-S. — On ne fait plus de ces boules en caoutchouc, avec un tuyau mobile, dont je vous avais parlé. J’en ai cherché vainement samedi dernier. La parfumerie, en progrès comme le reste, a quitté cette mode pour les petits tubes de fer-blanc mou.


  1. Comtesse Primoli.
  2. Artiste peintre, familier de la princesse Mathilde.