Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1629

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Louis Conard (Volume 7p. 379-381).

1629. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Croisset, jour de Noël, 4 heures, 25 décembre 1876.]
Mon Caro,

J’ai obéi aux ordres de Madame, en lui écrivant moins souvent et un peu plus longuement, et Madame se plaint ! Madame n’est pas juste ! Mais comme je tiens au service de Madame, je commence par l’embrasser, bien que j’aie attendu une lettre d’elle, hier et aujourd’hui, car tu m’avais dit que tu m’écrirais samedi ou dimanche. Mais la capitale, le monde, les visites, peut-être quelque « partie de plaisir » ? Je conçois ! je conçois !

Eh bien, moi aussi, je me suis livré aux distractions ! J’ai été cette nuit à la messe, à Sainte-Barbe, chez les bonnes religieuses, où j’ai conduit Noémie et Mme Chevalier. Voilà ! N’est-ce pas d’un beau romantisme ? Et je m’y suis plu beaucoup, pour dire le vrai !…

Mes belles résolutions de me coucher de bonne heure n’ont pas tenu ! C’est plus fort que moi. Depuis quatre jours, je ne fais pas autre chose que de relire mes douze pages, auxquelles je trouve un coup de pouce à donner, si bien que je me trouve en retard d’une semaine. Des explications du Moscove, il résulte que, si j’ai fini le 15 février (ou même le 30), mon volume peut paraître cet été. Je ne bâcle pas la besogne pour cela, bien entendu.

Mon petit ménage continue à bien aller, mais j’ai eu un fort agacement causé par le bois qui ne brûlait pas du tout. Il m’a fallu en acheter une corde de sec.

Tu conviendras que je suis bien économe. J’aime qu’on me rende justice ! rends-la. Il me reste encore 20 francs ; c’est peu pour mes cadeaux de jour de l’an et pour vivre pendant le mois de janvier. Un filet du Pactole est indispensable.

Aujourd’hui je me débarrasse d’un arriéré de correspondance. Avant le bateau, j’aurai écrit dix lettres. Ça m’assomme et m’irrite. Tout ce qui n’est pas maintenant mon travail et ce qui dérange les habitudes de M. Vieux m’est odieux. Les journées passent vite, bien que je regrette (à chaque moment et deux fois par jour, régulièrement) la compagnie de ma pauvre fille ! Nous nous entendons si bien, n’est-ce pas ?

Adieu, chérie. Deux forts bécots de

Ta vieille Nounou.