Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1778

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 8p. 172-173).

1778. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Croisset, dimanche 22 soir [22 décembre 1878].

Votre lettre d’il y a huit jours, ma chère Princesse, m’a attendri jusqu’aux larmes. (vous savez que je suis, comme dit Goncourt, « un gros sensible ».) Oui, j’ai été touché jusqu’au fond de l’âme pour la délicatesse de votre attention.

Réservez-moi votre bon vouloir, mais présentement les choses ne pressent pas. J’ai cédé à un mouvement de découragement, en vous écrivant.

J’ai du chagrin, parce que je vois souffrir près de moi ceux que j’aime et que je suis dérangé dans mes travaux ; mais l’âme reste libre, la conscience pure et le corps robuste : c’est l’important.

Nous recauserons de tout cela vers la fin de janvier, quand je serai à Paris. D’ici là, envoyez-moi de vos nouvelles le plus souvent que vous pourrez. C’est une joie, dans ma vie austère, que la vue de votre (abominable et) chère écriture.

La neige couvre la terre et les toits, malgré le soleil. Je vis comme un ours dans sa tanière ! Aucun bruit du dehors ne me parvient, et pour oublier mes misères je travaille avec acharnement. Aussi ai-je fait trois chapitres depuis quatre mois, ce qui, vu ma lenteur habituelle, est prodigieux.

Ma nièce vous présente ses respects ; il est probable que vous la verrez avant moi.

Je vous baise les deux mains et suis

Votre vieux fidèle et très affectionné.