Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 775

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Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 309-310).
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775. — À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
Ce mercredi 19 (auguste 1737).

Il est parti aujourd’hui une grande lettre de moi, écrite il y a deux jours, par Bar-sur-Aube, Dans cette lettre il y a mille choses, moitié spirituelles, moitié temporelles. Je reçois la vôtre du 17, avec l’incluse de M. de Richelieu. Je vois qu’il faut en passer par ce qu’on veut touchant la fin de l’affaire Bouillé-Ménard. J’aurais encore des objections à faire ; mais j’aime mieux une conclusion qu’une objection. Concluons donc : faites faire une délégation en bonne forme de ce que me doit M. de Richelieu, de ma rente de quatre mille livres sur Mme d’Aubigné : le tout se payera par ladite dame avec les six mille six cent dix francs, moyennant la mainlevée de celui qui a saisi sur Bouillé-Ménard pour une petite somme. C’est donc une affaire aisée à régler.

Je suis fort aise qu’on se soit expliqué au sujet de la propagation du feu. Car, comme la lumière du soleil est le feu le plus puissant que nous connaissions, il était naturel de rechercher la propagation de ce feu élémentaire. C’était l’affaire d’un philosophe, le reste est l’affaire d’un forgeron ; mais je suis au milieu des forges[2], et la matière me convient assez. J’espère que M. Bronod s’expliquera aussi nettement que M. de Fontenelle. Il a reçu l’ordre de donner les trente-deux louis. Mais apparemment qu’il n’avait pas encore cet ordre quand vous lui en parlâtes. Un petit mot d’écrit de votre part au sieur Bronod mettra l’affaire au net. L’essentiel est de donner cinquante louis au sieur Hébert, pour avoir incessamment ce superflu qu’on nomme nécessaire. J’enverrai un certificat de vie pour recevoir ma rente viagère ; mais je ne peux l’envoyer aujourd’hui ni demain. Il partira probablement dimanche 23, et n’arrivera que le 25 ou le 26. Cependant le temps presse. Hébert ne travaillera point sans avoir ses cinquante louis d’avance. Au reste, il faut dire à Hébert que c’est pour un étranger, et qu’on le prie d’avoir toute l’attention possible pour que l’ouvrage soit parfait.

Si vous voulez vendre une action, je n’y vois pas grand mal : on ne perd jamais son dividende, car, lorsqu’on les vend avec le dividende, on les vend soixante-quinze francs plus cher, approchant, et, sans dividende, soixante-quinze francs de moins. Il est vrai que leur prix varie vers les époques du payement des dividendes, c’est-à-dire, de six mois en six mois ; mais cela va à peu de chose, et d’ailleurs il vaut mieux sacrifier quelques pistoles que de vous donner la peine d’aller encore chez le sieur Bronod, ou d’avoir la patience d’attendre le payement de la rente viagère. Faites donc à votre gré, et pour le mieux ; mais que le sieur Hébert ait ses cinquante louis. Je crois que M. Bronod les donnera ; mais s’il ne les donnait pas, je crois qu’il faudrait vendre l’action.

Voici un petit billet de Mme du Châtelet pour M. Bronod, qui doit finir l’affaire.

À l’égard du sieur Robert, vous lui avez donc donné en dernier lieu cinquante livres pour ses honoraires ? Mais les trois louis que vous lui aviez donnés il y a deux ou trois mois, c’était donc pour ses avances ? Je ne peux m’imaginer qu’un procureur se soit avisé de faire des frais pour trente-six livres, puisque je n’ai point eu d’affaires. Apparemment que j’ai eu quelque procès sans le savoir. Ce mémoire de frais m’a l’air d’un mémoire d’apothicaire.

L’intendant de M. de Richelieu se moque de me demander des billets. Je ne suis point directeur de la Comédie, et n’ai point de billets à donner. Vous pourrez lui faire un petit présent ; mais, au préalable, il faut qu’il y ait une bonne délégation pour que je reçoive sur Bouillé-Ménard, et une autre délégation pour que je reçoive dorénavant ma rente de quatre mille francs régulièrement.

Je ne sais ce que veut M. de Mouhy. Je ferai donner bientôt quelque chose à d’Arnaud ; mais je vous supplie de ne dire ni où je suis, ni ce que je fais, à d’Arnaud, ni à personne.

Adieu, mon cher ami.

  1. Édition Courtat.
  2. Il y avait alors à Cirey une grosse forge qui dépendait du château.