Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 776

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Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 310-311).
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776. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Remusberg. 27 août.

Monsieur, Césarion m’a transporté en esprit à Cirey. Il m’en fait une description charmante ; et ce qui me ravit au possible, c’est qu’il m’assure que vous surpassez de beaucoup la haute idée que je m’étais faite de vous.

Il semble que la maladie vous tienne tous les doux, pour que le pauvre Césarion ne goûte pas des plaisirs parfaits dans cette vie. Votre fièvre me fournit l’occasion de vous parler sur un sujet qui m’interesse beaucoup : c’est votre santé. Je vous prie tres-instamment de ne pas trop travailler les études et les travaux de l’esprit minent infiniment la santé du corps. Vous devez vous conserver, mon amitié vous y oblige.

Je compte pour un des plus grands bonheurs de ma vie d’être né contemporain d’un homme d’un mérite aussi distingué que le votre ; mais mon bonheur ne peut être parfait si je ne vous possède, et si je n’ai pas satisfaction de vous voir un jour. Vous m’envoyez vos ouvrages ; ils n’on point de prix, et ne mettent aucune borne à ma reconnaissance. Je vous prie, monsieur, de marquer à la divine Émilie toute l’estime que j ai pour elle : je suis pénétré de la façon dont elle a reçu mon petit plénipotentiaire. Vous avez été tous les deux dignes de mon admiration, mais à présent vous m’enlever le cœur.

Si j’étais envieux, je le serais de Césarion. Je supporterais volontiers sa goutte pour avoir vu et entendu ce qu’il vient de voir et d’entendre.

L’antiquité, en nous vantant ces merveilles du monde, nous les représente éloignées les unes des autres. À Cirey, on en trouve deux d’un prix bien supérieur à ces masses de pierre qui, d’elles-mêmes, n’avaient aucune vertu L’esprit mâle et solide d’une femme, et le génie vif et universel, et toutefois réglé, d’un poëte, me paraissent plus merveilleux.

Vous ne me devez aucune reconnaissance de ce que je vous rends justice. Je voudrais, monsieur, pouvoir vous témoigner mon estime par des marques plus réelles que des portraits. Contentez-vous de ces types et attendez-en l’accomplissement. Je suis à jamais, monsieur, votre tres-affectionné ami,

Fédéric