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Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1087

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 193-194).

1087. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
27 février[1].

Je vous envoie, mon cher ange gardien, qui libéras nos a malo, la correction pour l’Épître sur l’Envie. Je vous sacrifie le plus plaisant de tous mes vers :

Tout fuit, jusqu’aux enfants, et l’on sait trop pourquoi.

Je ne suis pas né fort plaisant, et ce vers me faisait rire quelquefois ; mais qu’il périsse, puisque vous ne croyez pas que je puisse rendre, comme dit Rabelais :

Fèves pour pois, et pain blanc pour fouace.

L’endroit du charlatan est un peu lourd chez notre cher d’Olivet, et son petit Scazon est horridus. Figurez-vous ce que c’est qu’une indigestion de Cerbère ; et c’est du résultat de cette indigestion qu’on a formé le cœur de Desfontaines.

On me mande que ce monstre est partout en exécration, et cependant, quoi qu’en dise d’Olivet, le traître a des amis. M. de Lezonnet m’écrit qu’il veut faire un accommodement entre Desfontaines et moi, et les jésuites aussi. Hélas ! qu’ai-je fait à M. de Lezonnet pour me proposer quelque chose de si infâme ? Il a lu, je le sais, sa Voltairomanie chez M. de Locmaria, en présence de MM. de La Chevaleraie, Algarotti, l’abbé Prévost. J’ai écrit à M. de Locmaria, et je n’ai point eu de réponse. Il y a encore un avocat du conseil qui est son confident ; mais j’ai oublié son nom.

Ce que je n’oublie pas, c’est vos bontés. Cet ardent chevalier de Mouhy a vite imprimé mon Mémoire, quitte à le supprimer ; il faudra que j’en paye les frais. Je me console si on me fait quelque réparation.

Je voulais faire imprimer ce Mémoire, avec les Épîtres, au commencement de l’Histoire du Siècle de Louis XIV. Il y a près d’un mois que Thieriot, ou l’abbé d’Olivet, avaient dû vous remettre ce commencement d’histoire ; mais Thieriot ne se presse pas de remplir ses devoirs. Je suis, je vous l’avoue, très-affligé de sa conduite. Il devait assurément prendre l’occasion du libelle de Desfontaines pour réparer, par les démonstrations d’amitié les plus courageuses, tous les tours qu’il m’a joués, et que je lui ai pardonnes avec une bonté que vous pouvez appeler faiblesse. Non-seulement il avait mangé tout l’argent des souscriptions[2] qu’il avait en dépôt, non-seulement j’avais payé du mien et remboursé tous les souscripteurs petit à petit ; mais il me laissait tranquillement accuser d’infidélité sur cet article, et il jouissait du fruit de sa lâcheté et de mon silence. Le comble à cette infâme conduite est d’avoir ménagé Desfontaines, dont il avait été outragé, et qu’il craignait, afin de me laisser accabler, moi, qu’il ne craignait pas. Ce que j’ai éprouvé des hommes me met au désespoir, et j’en ai pleuré vingt fois, même en présence de celle qui doit arrêter toutes mes larmes. Mais enfin, mon respectable ami, vous qui me raccommodez avec la nature humaine, je cède au conseil sage que vous me donnez sur Thieriot. Il faut ne me plaindre qu’à vous, lui retirer insensiblement ma confiance, et ne jamais rompre avec éclat.

Mais, mon cher ami, qu’y a-t-il donc encore dans ce morceau de Rome[3], et dans le commencement de cet Essai, qui ne soit pas plus mesuré mille fois que Fra-Paolo, que le Traité du Droit ecclésiastique, que Mézerai, que tant d’autres écrits ? S’il y a encore quelques amputations à faire, vous n’avez qu’a dire ; ce morceau-là a déjà été bien tailladé, et le sera encore quand vous voudrez.

Je ne perds pas Zulime de vue, et mon respectable et judicieux conseil aura bientôt les écrits de son client.

Émilie vous regarde toujours comme notre sauveur[4].

  1. C’est à tort que cette lettre a toujours été datée jusqu’ici du 21 janvier.
  2. Celles de la Henriade.
  3. Voyez le passage intitulé de Rome, dans le chapitre ii du Siècle de Louis XIV.
  4. À propos de l’affaire Desfontaines.