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Correspondance de Voltaire/1751/Lettre 2192

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Correspondance de Voltaire/1751
Correspondance : année 1751, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 246-247).

2192. — À M. DARGET.
À Berlin, samedi au soir, 1751.

Voici, mon cher ami, ce que le médecin des eaux de Clèves m’envoie. En qualité de malade, cette affaire est de mon département : faites-en l’usage que vous voudrez. Je suis. Dieu merci, débarrassé de ma querelle avec l’Ancien Testament, et je suis au désespoir de l’avoir eue ; mais on est homme : les affaires s’enfournent, je ne sais comment. J’ai fait une folie, mais je ne suis pas fou. Je voudrais guérir aussi vite que j’oublie tout cela. Ma foi, il faut aussi que Frédéric le Grand l’oublie, car je défie tous les juifs, et même leurs prophètes, d’être plus sensibles que moi à ses beaux vers et à son beau génie.

Je vous avoue que je serais bien content d’aller travailler, tous les matins, dans la bibliothèque de Sans-Souci, où il y a des livres dont je peux faire usage. Ce n’est pas l’unique objet de mes désirs, comme vous le jugez bien ; et le maître me tient plus au cœur que sa bibliothèque. J’ai des chevaux ; quand vous voudrez venir manger le potage du malade, nous philosopherons comme nous pourrons, et nous jouirons, dans le jardin, du premier rayon de soleil. Bonsoir, mon cher ami.

À propos, je prends la liberté d’écrire à Frédéric le Grand, dans l’effusion de mon cœur ; j’ai mis la lettre dans le paquet de M. Fredersdorff. P. S. Je reçois votre lettre. Je suis bien inquiet pour vos yeux : voici le temps des fluxions. Je compte être votre voisin au 5 de mars, et cela me console. Me voici comme le meunier de La Fontaine ; tout le monde me disait ici : Envoyez faire f… ce juif généreusement, après l’avoir confondu ; je l’ai fait, et à présent on dit : Pourquoi vous êtes-vous accommodé ? Mon ami, j’en ai usé avec une générosité sans exemple dans l’Ancien Testament. Mea me virtute involvo.

Le 8 février[1], le procès du juif Abraham Hirschell, négociant à Berlin, a été jugé définitivement par-devant Son Excellence monseigneur le grand chancelier.

Abraham Hirschell a été condamné à restituer dix mille écus de lettres de change sans répéter aucuns frais ; la saisie de sa personne déclarée bonne et juste. Les diamants, par lui fournis, seront prisés à leur juste valeur intrinsèque, par des experts que les juges nommeront ; il est condamné à dix écus d’amende.

  1. Le 18.