Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2633

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Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 109-110).

2633. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Schwetzingen, près de Manheim.

Madame, je m’approche du midi à pas lents, en regrettant cette Thuringe que Votre Altesse sérénissime embellissait à mes yeux, et où elle faisait naître de si beaux jours. Il semble que vos bontés aient donné l’exemple : j’ai trouvé à la cour de Manheim une image de ces bontés dont j’ai été comblé à Gotha. Cela ne sert qu’à redoubler mes regrets ; je les porterai partout. Il faut enfin aller à Plombières, suivant les ordres des médecins et des rois, deux espèces très-respectables avec lesquelles on prétend que la vie humaine est quelquefois en danger. Mais je supplie Votre Altesse sérénissime de considérer combien je lui suis fidèle. Il n’y a point d’ancien chevalier errant qui ait si constamment tenu sa promesse.

J’ai achevé Charles-Quint tantôt à Mayence, tantôt à Manheim ; j’ai été jusqu’au chimiste Rodolphe Second, J’ai songé de cour en cour, de cabaret en cabaret, que j’avais des ordres de Mme la duchesse de Gotha. Je voyage avec des livres, comme les héroïnes de romans voyageaient avec des diamants et du linge sale. Je trouverai à Strasbourg des secours pour achever ce que mon obéissance à vos ordres a commencé. Mais, madame, qu’il sera dur de vous obéir de si loin ! Je ne ferai jamais qu’une seule prière à Dieu ; je lui dirai : Donnez-moi la santé, pour que je retourne à Gotha.

Je me flatte que la grande maîtresse des cœurs me conserve toujours ses bontés, qu’elle me protège toujours auprès de Votre Altesse sérénissime. Je me mets à vos pieds, madame, avec quarante empereurs, préférant assurément la vie heureuse de Gotha à toutes leurs aventures. Je serai attaché, le reste de ma vie, à Votre Altesse sérénissime avec le plus profond respect et une reconnaissance inaltérable.

Permettez-moi, madame, de présenter les mêmes sentiments il monseigneur le duc et à votre auguste famille.

  1. Voltaire et Rousseau, par Henry lord Brougham. Paris, Amyot, 1845, paire 328.