Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2634

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Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 110-111).

2634. — À M. ***[1].
À Schwetzingen près de Manheim, 5 août 1753.

Monsieur, M. le chevalier de La Touche me mande que vous l’avez assuré que la malheureuse affaire de Francfort était finie. Je ne doute pas qu’en effet Votre Excellence n’ait fait ce qui dépendait d’elle pour faire rendre justice. Sa Majesté le roi votre maître ayant désavoué l’abus que les sieurs Freytag et Smith ont fait de son nom, nous ne pouvons douter qu’ils ne rendent au moins l’argent qu’ils ont pris dans les poches du sieur Colini et dans les miennes. L’Europe serait trop étonnée si, après de tels excès, il n’y avait aucune réparation. Un nommé Dorn, qui n’a d’autre fonction que de servir quelquefois aux expéditions du sieur Freytag, a traîné dans les rues de Francfort, au milieu de la populace, une femme respectable qui voyageait avec les passeports du roi de France ; on lui a ôté sa femme de chambre, ses domestiques. Le nommé Dorn a eu l’insolence de passer la nuit seul dans sa chambre. Votre Excellence peut sentir à quel point ces atrocités ont excité l’indignation universelle. Pourra-t-on s’imaginer que ce soit au nom d’un monarque aussi bienfaisant et aussi juste que le roi votre maître qu’on ait violé ainsi les lois, les bienséances et l’humanité ? et qu’après tant d’indignités Freytag ose exiger encore de cette dame le payement exorbitant d’un emprisonnement qui crie vengeance, et pour lequel il doit demander pardon ?

Votre Excellence ignore-t-elle quel est Freytag ? ignore-t-elle les extorsions publiques qui l’ont rendu l’horreur de Fraucfort, et de tous les environs ? ignore-t-elle qu’ayant fait payer au comte de Vasco l’espérance d’un régiment au service du roi qu’il avait osé lui promettre, le comte de Vasco ne put retirer de lui une partie de l’argent que Freytag avait extorqué qu’en le battant publiquement ? Vingt aventures pareilles l’ont fait trop connaître. On sait assez que ces excès si odieux commis contre une dame, contre le sieur Colini et contre moi, n’avaient pour but que de nous voler. Nous l’avons été en effet d’une manière bien violente. Presque tous nos effets ont été dissipés comme dans un pillage. Les sieurs Dorn, Freytag et Smith, nous ont pris l’argent que nous avions dans nos poches, et ce qu’on a pris au sieur Colini est tout son bien. Et c’est au nom d’un roi juste qu’on a commis tous ces attentats ! Certainement il les aurait punis si nos lettres n’avaient été interceptées. Nous espérons au moins, monsieur, que le roi ordonnera qu’on nous rende l’argent qu’on nous a pris, et dont le compte est entre les mains des magistrats de Francfort. Nous l’espérons de l’équité du roi et de vos bons offices. Nous oublierons un traitement si cruel, et nous ne nous souviendrons que de la réparation.

Je suis avec des sentiments respectueux, monsieur, de Votre Excellence, le très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire,
gentilhomme de la chambre du roi de France.

  1. Éditeur, Varnhagen von Ense. — La lettre 2629 peut faire supposer que celle-ci est adressée au comte de Podewilz.