Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2825

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 295).
2825. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
De mon lit, à Lyon, le 4 décembre.

Mon cher ange, votre consolante lettre, adressée à Colmar, est venue enfin à Lyon calmer une partie de mes inquiétudes. Vous aurez tout ce que vous daignez demander, et je ferai tout transcrire pour vous, dès que je serai quitte d’une goutte sciatique qui me retient au lit. J’éprouve tous les maux à la fois, et je perds dans les voyages et dans les souffrances un temps précieux que je voudrais employer à vous amuser, il me semble que je suis las du public, et que vous êtes ma seule passion. Je n’ai plus le cœur au travail que pour vous plaire ; mais comment faire, quand on court et quand on souffre toujours ? On veut à présent que j’aille aux eaux d’Aix en Savoie, pour rhumatisme goutteux qui me tient perclus. On m’a prêté une maison charmante[1], à moitié chemin ; il faudrait être un peu plus sédentaire ; mais je suis une paille que le vent agite, et Mme Denis s’est engouffrée dans mon malheureux tourbillon. J’attends toujours de vos nouvelles à Lyon. On dit qu’on va jouer enfin le Triumvirat d’un côté, et Pandore de l’autre : ce sont deux grands fléaux de la boîte. Hélas ! mon cher et respectable ami, si j’avais trouvé au fond de la boîte l’espérance de vous revoir, je mourrais content. Mme Denis vous fait mille compliments. Je baise, en pleurant, les ailes de tous les anges,

  1. Le château de Prangins ; voyez les notes des lettres 2828 et 2856.