Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3344

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 199-200).
3344. — DE M. D’ALEMBERT.
Paris[1].

J’ai reçu et lu, mon cher et illustre philosophe, l’article Liturgie. Il faudra changer un mot dans les Psaumes, et dire : « Ex ore sacerdotum perfecisti laudem[2], Domine. » Nous aurons pourtant bien de la peine à faire passer cet article, d’autant plus qu’on vient de publier une déclaration qui inflige la peine de mort[3] à tous ceux qui auront publié des écrits tendants à attaquer la religion ; mais, avec quelques adoucissements, tout ira bien, personne ne sera pendu, et la vérité sera dite. J’ai fait vos compliments à mon camarade, qui vous remercie de tout son cœur, et qui compte vous faire lui-même les siens en vous écrivant incessamment. Je suis charmé que vous ayez quelque satisfaction de notre ouvrage. Vous y trouverez, je crois, presque en tout genre d’excellents articles. Il y en a dont nous ne sommes pas plus contents que vous ne le serez ; mais nous n’avons pas toujours été les maîtres de leur en substituer d’autres. À tout prendre, je crois que l’ouvrage gagne à la lecture, et je compte que le volume septième, auquel nous travaillons, effacera tous les précédents. Je renverrai aujourd’hui à Briasson sa Religion vengée, et je n’aurai pas le même reproche à me faire que vous, car je ne l’ouvrirai pas. Je vous recommande Garrasse-Berthier, qui, à ce qu’on m’a assuré, vous a encore harcelé dans son dernier journal. Voilà les ouvrages qui auraient besoin d’être réprimés par des déclarations. Je gage que le nouveau règlement contre les libelles n’empêchera pas la gazette[4] janséniste de paraître à son jour. À propos de jansénistes, savez-vous que l’évêque de Soissons[5] vient de faire un mandement où il prêche ouvertement la tolérance, et où vous lirez ces mots : « Que la religion ne doit influer en rien dans l’état civil, si ce n’est pour nous rendre meilleurs citoyens, meilleurs parents, etc. ; que nous devons regarder tous les hommes comme nos frères, païens ou chrétiens, hérétiques ou orthodoxes, sans jamais persécuter pour la religion qui que ce soit, sous quelque prétexte que ce soit ? » Je vous laisse à penser si ce mandement a réussi à Paris. Adieu, mon cher confrère ; je vous embrasse de tout mon cœur.

  1. Cette lettre est, au plus tôt, de la fin de mars, le mandement dont on y parle étant du 21 mars 1757.
  2. « Ex ore infantium et lactenlium perfecisti laudem, propter inimicos tuos, ut destruas inimicum et ultorem. » (Psaume viii, v. 3.)
  3. Le parlement demandait une loi pour punir de mort les auteurs de brochures contre les jésuites ; et l’avocat général Joly de Fleury attendait très-impatiemment cette loi, si digne de son aveugle intolérance. Grimm en dit un mot dans sa Correspondance littéraire du 1er mai 1757. (Cl.)
  4. Les Nouvelles ecclésiastiques, connues sous le titre de Gazette ecclésiastique, et rédigées alors par des jansénistes, du nombre desquels était Fontaine de La Roche. (Cl.)
  5. Fitz-James, dont Voltaire a souvent parlé ; voyez tome XXV, page 104.