Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3633

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 469-470).

3633. — À M. DARGET.
À Schwetzingen, près Manheim, 17 juillet 1758.

Mon ancien ami, mon ancien camarade de Potsdam, me voilà confondu. J’ai été obligé de faire un petit voyage à la cour de monseigneur l’électeur palatin, à qui j’ai les plus grandes obligations. On voyage quelquefois chez les princes par intérêt. J’ai fait cent trente lieues par reconnaissance, et c’est un grand effort d’avoir quitté pour quelques jours mes petites Délices, où ma famille est rassemblée. Adressez, je vous prie, à ces Délices votre réponse sur ce qui me confond si terriblement. Le voici : je répondis[1] le 8 janvier, à une de vos lettres. Vous m’aviez écrit avec confiance, et je vous écrivis de même. On m’apporte le Journal encyclopédique de Liège (mois de juillet), et j’y trouve ma lettre tout du long. Quel démon vous a dérobé cette lettre, qui, assurément, n’était pas faite pour être rendue publique ? J’ai grand’peur qu’elle ne fasse un très-mauvais effet. À qui donc en avez-vous laissé prendre copie ? Pourquoi est-elle imprimée ? Quel est l’auteur du Journal encyclopédique[2] ? Instruisez-moi de tout. Mettez un peu de baume sur la blessure que vous m’avez faite, et continuez-moi votre amitié. Elle a toujours été prudente, et je me flatte qu’elle empêchera que la publication de cette lettre n’ait des suites désagréables pour moi.

Vous savez, mon ancien ami, que nous sommes dans un temps de jalousies et d’ombrages. Il serait bien triste que mon repos fût troublé par une lettre que je vous ai écrite dans l’effusion de mon cœur. Ce cœur est toujours à vous ; il est toujours français, et ne cessera d’aimer ses anciens amis. Je suis persuadé que vous irez au-devant de tout ce qui pourrait me faire de la peine. Rassurez et aimez votre compagnon de Potsdam, votre bon Suisse V.

Écrivez-moi, je vous prie, aux Délices, où je retournerai bientôt.

  1. Voyez la lettre 3514.
  2. Voltaire le savait bien.