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Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3656

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 493-494).

3656. — À M. LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
Aux Délices, près de Genève, 9 septembre 1758.

J’ai lu avec un extrême plaisir ce que vous avez écrit sur les Terres australes ; mais serait-il permis de vous faire une proposition qui concerne le continent ? Vous n’êtes pas homme à faire valoir votre terre de Tournay. Votre fermier Chouet en est dégoûté, et demande à résilier son bail. Voulez-vous me vendre votre terre à vie ? Je suis vieux et malade. Je sais bien que je fais un mauvais marché ; mais ce marché vous sera utile et me sera agréable. Voici quelles seraient les conditions que ma fantaisie, qui m’a toujours conduit, soumet à votre prudence.

Je m’engage à faire bâtir un joli pavillon des matériaux de votre très-vilain château, et je compte y mettre vingt-cinq mille livres. Je vous payerai comptant vingt-cinq autres mille livres. Tous les embellissements que je ferai à la terre, tous les bestiaux et les instruments d’agriculture dont je l’aurai pourvue, vous appartiendront. Si je meurs avant d’avoir achevé le bâtiment, vous aurez par devers vous mes vinq-cinq mille livres, et vous achèverez le bâtiment si vous voulez. Mais je tâcherai de ne pas mourir de deux ans, et alors vous serez joliment logé sans qu’il vous en coûte rien. De plus, je m’engage à ne pas vivre plus de quatre ou cinq ans.

Moyennant ces offres honnêtes, je demande la pleine possession de votre terre, de tous vos droits, meubles, bois, bestiaux, et même du curé, et que vous me garantissiez tout jusqu’à ce que ce curé m’enterre. Si ce plaisant marché vous convient, monsieur, vous pouvez, d’un mot, le rendre sérieux : la vie est bien courte pour que les affaires soient longues.

J’ajoute encore un petit mot ; j’ai embelli mon trou intitulé les Délices. J’ai embelli une maison à Lausanne. Ces deux effets, grâce à ma façon, valent actuellement le double de ce qu’ils valaient. Il en sera autant de votre terre. Voyez ce que vous en pensez. Vous ne vous en déferez jamais dans l’état où elle est.

Quoi qu’il en soit, je vous demande le secret, et j’ai l’honneur d’être, d’ailleurs, avec la plus respectueuse estime, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

  1. Éditeur, Th. Foisset.