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Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3704

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 538-539).

3704. — DE M. LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
À Montfalcon, le 27 novembre.

Comme notre droit féodal, monsieur, est tant soit peu barbaresque, il ne se déduit pas si bien que la jurisprudence papinienne des principes de la droite raison éternelle et universelle, surtout dans les points où les premières pierres, n’étant pas posées bien droit, les conséquences gauchissent de plus en plus quand le cas devient anomal et singulier comme celui-ci.

Il n’y a rien de prévu par la loi pour les ventes à vie, chose très-inconnue autrefois et dont l’usage ne s’est introduit que depuis fort peu de temps. La règle générale de notre pays savoyard est que les lods sont dus ex translatione dominii per emptionem. L’usage pour les ventes à réachat, auxquelles les ventes à vie pourraient s’équiparer, est que le lod est dû de la première vente, et non du retrait, parce que, disent les docteurs, est resolutio et distractus, polius quam contractus. Concluez de là que les princes, à qui vous êtes las de faire des libéralités, ne manqueront pas de prétexte pour vous demander, et que vous aurez à leur répondre que vous n’avez rien à leur offrir, puisque ce n’est qu’une vente d’usufruit, où il manque translalio dominii et proprietatis ; que, dans le réachat ordinaire, l’aliénation est certaine et le retour incertain, car il n’est que faculté et peut n’avoir jamais lieu, au lieu qu’il est certain et de nécessité dans la vente viagère. Mais à quoi bon laisser matière à contestation ? Il ne faut jamais avoir d’affaire où l’on soit défendeur, c’est le mauvais rôle. Pourquoi ne vous en pas tenir au plan projeté d’un bail apparent suivi d’une vente réelle ? Ne serez, vous pas parfaitement le maître chez vous et sans embarras, quand, deux jours après le bail à ferme, nous passerons un acte de vente où il sera rescindé du consentement de toutes les parties et converti en vente viagère ? N’ayez pas peur pour votre acquisition. Je vous puis assurer que vous ne risquez rien. D’ailleurs il ne me serait pas possible d’adopter aucune formule publique qui pût mettre en risque les franchises de ma terre, qui se perdraient par aliénation à un Français ; et vous avez à ceci le même intérêt que moi.

Or sus, tant sur cet article-ci que sur beaucoup d’autres, on s’égosille à parler de loin, et l’on ne termine rien. Il faut faire en sorte de nous voir. Nous en dirons plus en une demi-heure qu’en cent pages. J’attends ici, sur la fin de la semaine, un ecclésiastique de mes amis, fort honnête évêque. Voulez-vous que j’aille avec lui jusqu’à Belley ? Voulez-vous avoir la bonté d’y venir passer 24 heures ? Nous en ferons l’île de la Conférence ; et je m’assure qu’en un moment nous aurons tout réglé et terminé de fort bonne grâce ; beaucoup mieux probablement que nous ne ferions sur la place même, dans un pays, soit dit entre nous, de grand bavardage. Je serai à Belley au milieu de la semaine prochaine, vers le mardi. Faites-moi l’honneur de m’y écrire sans aucun retard un petit mot à l’évêché pour m’apprendre votre résolution. Vous ne doutez pas de l’empressement extrême que j’aurais de vous voir, de vous embrasser, de finir avec vous une affaire qui nous mettrait encore plus en liaison. De votre côté, vous ne serez pas fâché de faire connaissance avec un voisin homme d’esprit et de beaucoup de mérite<ref<M. Cortois de Quincy, évêque de Belley. </ref>. À demain donc les affaires, disait le roi Antigone. Mais, tous les jours de ma vie, elle vous est entièrement dévouée par tous les sentiments imaginables d’estime et d’attachement.

Vous me mettez en colère contre l’ennemi qui a suscité ce maudit Chouet pour semer de l’ivraie dans mon champ admirable, où il n’a jamais crû du blé que pour les élus. L’ivrogne qu’il est n’a donc pas assez de s’enivrer de mon vin, il veut encore s’enivrer de mon blé.

  1. Éditeur. Th. Foisset.