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Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3709

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 543).

3709. — DE M. HELVÉTIUS[1].

Vous ne doutez pas, monsieur, que je ne vous eusse adressé un exemplaire de mon ouvrage le jour même qu’il a paru, si j’avais su où vous prendre ; mais les uns vous disaient à Manheim, les autres à Berne, et je vous attendais aux Délices pour vous envoyer ce maudit livre qui excite contre moi la plus violente persécution. Vous saurez qu’il est supprimé, que je suis dans une de mes terres à trente lieues de Paris, que dans ce moment il ne m’est pas possible de vous en envoyer, parce qu’on est trop animé contre moi. J’ai fait les rétractations qu’on a voulues, mais cela n’a point paré l’orage, qui gronde maintenant plus fort que jamais. Je suis dénoncé à la Sorbonne, peut-être le serai-je à l’assemblée du clergé ; je ne sais pas trop si ma personne est en sûreté, et si je ne serai pas obligé de quitter la France. Rappelez-vous donc en me lisant le mot d’Horace : Res est sacra miser. Je souhaiterais que mon livre vous parût digne de quelque estime ; mais quel ouvrage peut mériter de trouver grâce devant vous ? L’élévation qui vous sépare de tous les autres écrivains ne doit vous laisser apercevoir aucune différence entre eux. Dès que je le pourrai, je vous enverrai mon ouvrage comme un hommage que tout auteur doit à son maître, en vous conseillant toutefois de relire plutôt la moindre de vos brochures que mon in-4o.

  1. Correspondance de Grimm, tome X, page 103 ; édition Maurice Tourneux.