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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5244

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 434-435).

5244. — À M. LE CONSEILLER LE BAULT[1].
Aux Délices, 23 mars 1763.

Vous faites de moi, monsieur, un petit Noé. Grâces à vos bontés je plante des vignes dans ma vieillesse. Si je ne bois pas du vin qu’elles produiront, ceux qui viendront après moi le boiront à ma santé. Agréez, je vous prie, mes très-humbles remerciements.

Je crois que vous avez à présent plus d’une affaire ; vous devez être surchargé. Les jésuites vont surtout vous occuper : vous ne pourrez guère vous dispenser de leur donner un habit court, et d’en faire des citoyens ; mais après tout, ils ne font point de marché pour bâtir des palais de dix-sept cent mille livres, comme dom L’enfant trouvé. On lapide aujourd’hui les fils de Loyola avec les pierres de Port-Royal. Ils ont été persécuteurs, et ils sont persécutés ; ils recueillent ce qu’ils ont semé : rien n’est plus juste. Puisse ce premier pas apprendre à la France que nous avons plus besoin de cultivateurs que de moines.

Vous me feriez un très-grand plaisir, monsieur, de vouloir bien m’apprendre si on peut compter que les tailleurs bourguignons rogneront, comme ailleurs, les robes des jésuites. Ils ont un petit bien, un domaine rural, dans le pays de Gex, qui pourrait faire quelque bien au canton, en étant remis dans la circulation, et en n’étant plus mainmortable ; il se trouverait des voisins qui payeraient la valeur de ce domaine, et on prendrait, dès à présent, des mesures pour rassembler la somme nécessaire, que l’on déposerait ensuite, ainsi qu’il serait ordonné par le parlement. Si cette affaire n’est pas encore mûre, j’ose pourtant vous demander ce que vous en prévoyez, et je vous promets le secret.

J’ai l’honneur d’être, avec l’attachement le plus respectueux, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

Permettez-moi d’en dire autant à Mme Le Bault.

  1. Éditeur, de Mandat-Grancey. — Cette lettre est signée seulement de Voltaire, qui l’a dictée.