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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5299

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 486-487).

5299. — À M. VERNES.
Aux Délices, 24 mai.

Non, assurément, Jean-Jacques n’est pas ce que vous savez, et peu d’êtres pensants sont ce que vous savez. S’il y a une bonne morale dans les Mille et une Nuits, on adopte cette morale, et on rit des contes bleus. Les uns rient tout bas, les autres rient tout haut ; ceux qui rient sous cape persécutent quelquefois ceux qui ont ri trop fort, et qui ont réveillé leurs voisins par leurs éclats. Voilà le monde, mon très-cher curé ; et vous savez bien… (Je raye ceci par excès de discrétion.)

On dit que Jean-Jacques fait actuellement des fagots, comme le Médecin malgré lui[1] ; il en a tant conté qu’il est bien juste qu’il en fasse. À l’égard de son abdication, il se croit un Charles-Quint qui abdique l’empire.

La tolérance ne servira de rien, à moins qu’on ait des protections très-fortes. Il est difficile de persuader de si loin des âmes occupées de leurs intérêts, et entraînées par le torrent des affaires. Je ferai mes efforts, mais j’ai peu d’espérance ; je n’ai qu’un violent désir, parce qu’à Pékin et à Méaco ce serait une bonne œuvre.

C’est bien dommage qu’on n’ait pas fait une histoire des conciles, dans le goût naïf du Précis du Concile de Trente[2] : il faut espérer que quelque bonne âme rendra ce service aux honnêtes gens. Tout vient dans son temps, et un temps arrivera où l’on n’enseignera aux hommes que la morale, qui vient de Dieu, et qu’on laissera là les dogmes, qui viennent des Pères : car quels enfants que ces Pères ! ou quels radoteurs !

Enfin l’infâme procédure des infâmes juges de Toulouse est partie ou part cette semaine. Nous espérons que l’affaire sera jugée au grand conseil, où nous aurons bonne justice, après quoi je mourrai content.

N. B. Le parlement de Toulouse ayant roué le père a écorché la mère. Il a fallu payer cher l’extradition des pièces ; mais tout cela est fait par la justice. Ah, manigoldi !

  1. Acte Ier, scène vi.
  2. Voyez tome XII, j) page 512.