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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5393

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 559-560).

5393. — À M. DAMILAVILLE.
1er septembre.

J’ai reçu la tragédie hébraïque[1] dont mon cher frère a bien voulu me régaler : cet ouvrage est sans doute de quelque jeune prêtre gaillard, tout plein de sa sainte Écriture, lequel a travaillé dans le goût du révérend père Berruyer. L’éditeur est aussi un plaisant ; les noms des personnages sont à faire mourir de rire : la Pythonisse fameuse sorcière en Israël, etc.

Mais l’éditeur a un peu manqué à la probité en fourrant là mon nom ; il m’a toujours paru que messieurs les libraires avaient, pour la probité, une extrême négligence.

Je ne crois pas qu’on soit assez bête à Paris pour traiter sérieusement les amours du bon roi David. Je voudrais bien savoir si Lefranc de Pompignan a traduit en vers magnifiques la belle chanson de l’oint du Seigneur : Beatus qui tenebit et allidet parvulos ad petram[2]. L’oint du Seigneur était furieusement vindicatif.

Vous avez raison, mon cher frère, il n’y a rien de si difficile que de faire une bonne inscription en deux vers pour une statue, et surtout dans le temps présent.

Si on envoie des troupes en Normandie, cela gâtera les deux vers[3] : je vous demande encore en grâce, mon cher frère, de vouloir bien faire parvenir à M. Mariette ces questions pour mon affaire temporelle et spirituelle.

À l’égard de mes trois vingtièmes, je crois que M. de Marinval vérifie les états du receveur de Gex : en tout cas, j’ai payé ; et si le parlement de Dijon rend un arrêt contre les vingtièmes, il ne me fera pas rendre mon argent.

Vous devez avoir des Honnêtes gens[4] de reste. Vous en êtes-vous défait pour le bien des âmes ? J’ai grand’peur que cette tragédie de Saül ne fasse grand tort à l’Ancien Testament, car enfin tous les traits rapprochés du bon roi David ne forment pas le tableau d’un Titus ou d’un Trajan. M. Hut, qui a fait imprimer à Londres l’Histoire de David, l’appelle sans façon le Néron de la Palestine[5]. Personne ne l’a trouvé mauvais : voilà un bien abominable peuple ! Tendresse aux frères. Écr. l’inf…

  1. Saül ; voyez tome V, page 571.
  2. Psaume cxxxvi, verset 9.
  3. Pour la statue de Louis XV ; voyez lettre 5364.
  4. Catéchisme de l’Honnête Homme ; voyez tome XXIV, page 523.
  5. Dans la traduction de David, ou l’Histoire de l’homme selon le cœur de Dieu, David est, page 70, appelé ce Néron des Hébreux. (B.)