Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5414

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1763
Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 576-577).

5414. — À M. DAMILAVILLE.
À Ferney, 21 septembre.

Je me flatte, mon cher frère, que vous avez reçu de la cire du conseil d’État pour M. Mariette, avec quelques pancartes concernant nos malheureuses dîmes. Si M. le duc de Praslin est notre rapporteur, c’est pour nous un très-grand avantage : il connaît les traités sur lesquels notre droit est fondé, et le rapporteur est toujours le maître de l’affaire.

Je conviens que ce vers[1]


En faisant des heureux, un roi l’est à son tour,

figurerait très-bien au bas de la Statue de Louis XV ; mais je ne

saurais me résoudre ni à me citer, ni à me piller. Si vous n’êtes pas content des quatre vers que je vous ai envoyés[2], aimeriez-vous mieux ces deux-ci :


Il chérit ses sujets comme il est aimé d’eux :
C’est un père entouré de ses enfants heureux ;


ou bien :

Heureux père entouré de ses enfants heureux ?

Je ne suis point de l’avis de frère Thieriot, qui veut de la prose : notre prose française est l’antipode du style lapidaire. Je ne haïrais pas les deux vers, et surtout le dernier, et surtout Heureux père, etc. Ils jurent un peu avec les remontrances des parlements ; mais je crois que le roi en serait assez content.

Si vous avez encore de ces ouvrages édifiants[3] dont vous me parlez, je vous prie toujours d’en envoyer à Mlle Clairon ; elle est intéressée, plus que personne, à l’avilissement de ceux qui osent condamner son art. On jugera de la sorte d’esprit de Mme la duchesse de Choiseul par l’effet que ces petits ouvrages feront sur elle ; si on peut trouver encore quelques exemplaires, on ne manquera pas de les adresser à mon cher frère : il est fait pour rendre service au genre humain.

Je suppose que personne n’est assez hardi pour débiter le Caloyer publiquement ; c’est bien là le cas de piscis hic non omnium[4].

J’attends que le philosophe d’Alembert soit revenu de chez Denys de Syracuse pour lui écrire. J’embrasse tendrement mon cher frère Thieriot et tous les frères. Écr. l’inf…

  1. De Mariamne, acte III, scène iv ; voyez tome II, page 194.
  2. Voyez la lettre 5394.
  3. Le Catéchisme de l’Honnête Homme.
  4. C’est l’épigraphe des Pensées philosophiques de Diderot, 1746, in-12.