Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5415

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Correspondance de Voltaire/1763
Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 577-578).

5415. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].

Je songe qu’une inscription[2] ne peut être salée, c’est un grand malheur ; elle ne doit point être, à mon gré, en prose latine pour un roi de France ; elle ne peut être en prose française ; le style lapidaire ne convient point à notre langue chargée d’articles, qui rendent sa marche languissante ; il faut deux vers, mais deux vers français détachés sont toujours froids : c’est alors que la rime parait dans toute sa misère. Pourriez-vous souffrir ce distique :


Il chérit ses sujets comme il est aimé d’eux :
C’est un père entouré de ses enfants heureux ;


ou bien :

Heureux père, entouré de ses enfants heureux ?


Dites-moi, je vous en supplie, s’il est vrai que M. le duc de Praslin a la bonté d’être notre rapporteur[3]. L’affaire parait être du ressort de M. le comte de Saint-Florentin, qui a le département de l’Église, mais M. le duc de Praslin a le département des traités et de la bienfaisance ; ainsi nous devons être entre ses mains. Pour moi, je me mets toujours sous vos ailes ; il n’y a que là où je suis bien.

Que faites-vous de mes roués ? Quand je vous dis qu’il y a des vers raboteux, n’allez pas, s’il vous plaît, me prendre si fort au mot.

Toute notre petite famille se met aux ailes de mes anges.


Le Patriarche du Jura.

P. S. Pont-de-Veyle est toujours très-aimable ; on voit bien qu’il est de la famille céleste, car il se distingue aussi par le bout de ses ailes légères ; mais il est trop indifférent avec les gens qui l’aiment. Il me donne toujours des inquiétudes : je tremble qu’il ne me traite comme une de ses passions. La mienne sera de vous aimer toujours ; je ne connais point de bonheur sans elle, mais avec elle tout m’est égal.

  1. Ce fragment de lettre avait été cousu à d’autres morceaux, et publié sous la forme d’une seule et même lettre, à la fin de l’année 1762.
  2. Pour la statue de Louis XV à Reims.
  3. Pour l’affaire des dîmes.