Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5483

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 50-51).

5483. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
15 décembre, jeudi au soir.

Je reçois une lettre céleste et bien consolante de mes anges, du 8 décembre. Je ne me plains plus, je ne crains plus ; mais je n’ai plus de Quaker[1]. Il faudrait engager quelque honnête libraire à imprimer ce salutaire ouvrage à Paris.

Je rêverai à Olympie. Je demande quinze jours ou trois semaines, car actuellement je suis surchargé, et les yeux me font beaucoup de mal.

J’avertis par avance que maman[2] n’est point de l’avis de M. de Thibouville ; mais je prierai Dieu qu’il m’inspire, et s’il me vient quelque bonne pensée, je la soumettrai à votre hiérarchie.

Songeons d’abord aux conjurés et aux roués. Je commence à n’être pas si mécontent de cette besogne, et je crois que si Mlle Dumesnil jouait bien Fulvie, et Mlle Clairon pathétiquement Julie, la pièce pourrait faire assez d’effet. Cependant j’ai toujours sur le cœur l’ordre qu’on donne à Julie, au quatrième acte, d’aller prier Dieu dans sa chambre : c’est un défaut irrémédiable. Mais où n’y a-t-il pas des défauts ? Peut-être cet endroit défectueux rebutera Mlle Clairon ; elle aimera mieux le rôle de Fulvie : en ce cas, Julie serait, je crois, à Mlle Dubois, et cet arrangement vaudrait peut-être bien l’autre.

Je suis enchanté que l’affaire de la Gazette littéraire soit terminée[3] ; mais je crains bien d’être inutile à cette entreprise ; il faut lire plusieurs livres, et je deviens aveugle ; heureusement un aveugle peut faire des tragédies, et si les roués ne me découragent pas, vous entendrez parler de moi l’année prochaine.

Laissons là Icile, je vous en supplie ; c’est un point sur un i. Ne me parlez point d’une engelure, quand le renvoi de Julie dans sa chambre me donne la fièvre double tierce.

Le Corneille est entièrement fini depuis longtemps ; on l’aura probablement sur la fin de janvier. La petite-nièce à Pierre avance dans sa grossesse, tantôt chantant, tantôt souffrant. Notre petite famille est composée d’elle, de son mari, d’une sœur, et d’un jésuite ; voilà un plaisant assemblage ; c’est une colonie à faire pouffer de rire. Je souhaite que celle de M. le duc de Choiseul, à la Guyane (qui est, ne vous déplaise, le pays d’Eldorado[4]), soit aussi unie et aussi gaie. La nôtre se met toujours à l’ombre de vos ailes, et je vous adore du culte d’hyperdulie ; et si les roués réussissent, j’irai jusqu’à latrie. Mettez-moi, je vous en conjure, aux pieds de M. le duc de Praslin pour l’année prochaine, et pour toutes celles où je pourrai exister.

  1. Lettre d’un Quaker, tome XXV, page 5.
  2. Mme Denis, sa nièce.
  3. Les auteurs du Journal des Savants, protégés par le duc de Choiseul, s’opposaient à la publication de la Gazette littéraire, protégée par le duc de Praslin.
  4. Voyez tome XXI, page 172.