Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6214
Eh mon Dieu ! mon ange tutélaire, pourquoi ne serait-ce pas vous qu’on nommerait médiateur[1] ? Votre ministère parmesan y mettrait-il obstacle ? Il me semble que non. Ce ministère ne vous empêche pas d’être conseiller d’honneur au parlement, et je vous avertis que nos Genevois désirent passionnément un magistrat.
Vous verrez, par l’imprimé ci-joint[2], qui m’est tombé entre les mains, que les perruques de Genève ne doivent point être ébouriffées de la façon dont on parle des affaires et des miracles de Jean-Jacques : je sais que quelques personnes m’ont attribué plusieurs de ces brimborions ; mais, Dieu merci, on ne me convaincra jamais d’y avoir eu la moindre part. J’en suis aussi innocent que du Dictionnaire philosophique, qu’on m’a si indignement imputé. Il y a dans Neuchâtel, à Lausanne, et dans Genève, des gens de beaucoup d’esprit qui se plaisent à écrire sur ces matières. On en avait un très-grand besoin. Ces cantons et une grande partie de l’Allemagne étaient plongés dans la plus horrible superstition : on sort à présent de cette fange ; mais, croyez-moi, il y a encore en France bien des gens embourbés, qui, tout couverts d’ordures, ne veulent pas qu’on les nettoie. L’opinion gouverne les hommes, et les philosophes font petit à petit changer l’opinion universelle.
Voici des vers[3], mes divins anges, que j’ai faits tout d’une tire sur un sujet qui m’a paru en valoir la peine ; voyez si les vers ne sont pas trop indignes du sujet.
Ah ! si vous pouviez être plénipotentiaire à Genève !
Je vous supplie de vouloir bien engager M. Marin à empêcher les libraires d’imprimer les tristes vers que j’ai faits sur un événement fort triste. J’ai assez parlé de Henri IV en ma vie, sans ennuyer encore ses mânes.
Puis-je présenter par vous mes respects à M. le duc de Praslin et à M. le marquis de Chauvelin ? Je me mets sous vos ailes.
- ↑ Dans sa lettre du 21 décembre 1765, n° 6194, Voltaire proposait de nommer médiateur Hennin, déjà résident à Genève. Cette idée ayant été rejetée, Voltaire pensait à d’Argrental. Ce fut le chevalier de Beauteville, ambassadeur de France en Suisse, qui fut nommé médiateur pour la France dans les affaires de Genève.
- ↑ La Collection des Lettres sur les miracles.
- ↑ Épître à Henri IV, sur ce qu’on avait écrit à l’auteur que plusieurs citoyens de Paris s’étaient mis à genoux devant la statue équestre de ce prince pendant la maladie du dauphin (voyez tome X).