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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6215

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 166-167).

6215. — À M. DAMILAVILLE.
Ferney, 3 janvier.

M. le duc de Choiseul m’a écrit, mon cher frère, qu’il avait parlé pour la pension de M. d’Alembert, qu’il n’y avait nul mérite, et qu’il n’avait été qu’un enfonceur de portes ouvertes. Voilà ses propres paroles ; je vous prie instamment de les rapporter à notre cher philosophe.

Avouons donc que M. le duc de Choiseul a une belle âme. Ce qu’il a fait pour les Calas le prouve assez : rendons-lui justice. Il y a eu du malentendu dans la protection qu’il a donnée à l’infâme, pièce de Palissot[1]. Il lui avvait fait entendre que les philosophes décrieraient le ministère. Nous ne devons point avoir de meilleur protecteur que ce ministre généreux, qui a de l’esprit comme s’il n’était point grand seigneur ; qui a fait de très-beaux vers[2], même étant ministre ; qui a sauvé bien des chagrins à de pauvres philosophes ; qui l’est lui-même autant que nous ; qui le paraîtrait davantage si sa place le lui permettait.

Mon cher frère, tout est tracasserie, et personne ne s’entend. On m’a rendu un compte très-fidèle de la présente[3] lettre à Mme du Deffant, dont quelques fragments ont couru sous mon nom. Elle n’en à point donné de copies, quelsues indiscrets en ont retenu des bribes. Il s’agissait d’une mauvaise plaisanterie que je reprochais à Mme du Deffant : vous savez en pareil cas combien on altère le texte.

Lisez ces vers[4] avec vos amis, mais n’en laissez point prendre de copie. Je ne veux pas me brouiller avec les moines de Sainte-Geneviève ; Soufflot[5] trouverait mes vers mauvais. Je vous embrasse tendrement.

  1. Les Phliosophes, comédie jouée en 1760.
  2. Le duc fie Choiseul s’était donné pour l’auteur de l’ode contre le roi de Prusse. Voyez tome XL, page 419.
  3. C’est dans la Correspondance de Grimm (mars 1766) qu’a été publiée la lettre à Damilaville, du 3 janvier, et on y lit « présente lettre à Mme du Deffant ». Il est évident que le mot présente est une faute. Un éditeur récent a mis prétendue, correction qui ne rend pas la phrase plus claire. Je n’ose affirmer que la lettre à Mme du Deffant, dont il est question ici, soit celle du 27 janvier 1764 (voyez n° 5540), que des indiscrets avaient fuit imprimer. (B.)
  4. l’Épître à Henri IV, dont il est parlé page 165.
  5. Jacques-Germain Soufflot, architecte, né à Irancy, près d’Auxerre, en 1714, mort en 1781, constructeur de la salle de spectacle et de quelques autres monuments à Lyon, était chargé de la construction de la nouvelle église Sainte-Geneviève, aujourd’hui le Panthéon, à Paris. (B.)