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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6380

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 323-324).

6380. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT,
lieutenant des gardes du corps.
1er juillet.

Vous n’êtes pas, monsieur, comme ces voyageurs qui viennent à Genève et à Ferney pour m’oublier ensuite et être oubliés. Vous êtes venu en vrai philosophe, en homme qui a l’esprit éclairé et un cœur bienfaisant. Vous vous êtes fait un ami d’un homme qui a renoncé au monde ; j’ai senti tout ce que vous valez ; vous m’avez laissé bien des regrets. Comptez, monsieur, que votre souvenir est la plus douce de mes consolations.

Je vous suis très-obligé de ces Ruines de la Grèce[1]. Je crois qu’on est actuellement à Paris dans les ruines du bon goût, et quelquefois dans celles du bon sens : mais de bons esprits, tels que vous et vos amis, soutiendront toujours l’honneur de la nation. Il est vrai qu’ils seront en petit nombre : mais à la longue le petit nombre gouverne le grand.

J’ai vu depuis peu un ouvrage posthume de M. Fréret[2], secrétaire de l’Académie des belles-lettres. Ce livre mérite d’entrer dans votre bibliothèque : il ne paraît pas fait pour être lu de tout le monde ; mais il y a d’excellentes recherches, et si l’on y trouve quelque chose de dangereux, vous en savez assez pour le réfuter. J’aurai l’honneur de vous l’envoyer par la diligence de Lyon, à l’adresse qu’il vous plaira de m’indiquer.

Mme Denis est très-touchée de votre souvenir. Agréez, monsieur, mes tendres respects, que je vous présente du fond de mon cœur.

P. S. Si vous aimez Henri IV, comme je n’en doute pas, je vous exhorte à lire la justification du président de Thou[3] contre le sieur de Bury, auteur d’une nouvelle Vie de Henri IV.

  1. Les Ruines des plus beaux monuments de la Grèce, considérés du côté de l’histoire et de l’architecture, par Julien-David Leroy, 1758, in-folio. Il y a une édition de 1769.
  2. Examen critique, etc. ; voyez lettre 6306.
  3. Le Président de Thou justifié, etc ; voyez tome XXV, page 477.