Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7021

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 382-383).
7021. — À M. GUYOT.
À Ferney, 25 septembre.

J’ai enfin reçu, monsieur, les deux premiers volumes de votre Vocabulaire. Tout ce que j’en ai lu m’a paru exact et utile : rien de trop ni de trop peu ; point de fades déclamations. J’attends la suite avec impatience ; votre entreprise est un vrai service rendu à toute la littérature.

Vous me feriez plaisir de m’apprendre les noms des auteurs à qui nous aurons tant d’obligations.

J’ai l’honneur d’être bien véritablement, monsieur, votre, etc.

P. S. Il ne serait pas mal de mettre, dans votre errata, que nous prononçons auto-da-fé par corruption, et que les Espagnols disent auto-de-fé. Il y a une grosse faute à la page 423 :

Les Dieux mêmes, éternels arbitres[1].


Il faut lire les dieux même, sans s. Cet s donne une syllabe de trop au vers.

Il y a une plus grande faute à la page 422 :

Plaçât tous bienfaiteurs au rang des immortels[2] ;


c’est un barbarisme. On dit tous les bienfaiteurs, et non tous bienfaiteurs. On n’entendrait pas un homme qui dirait : J’ai mis tous saints dans le catalogue. D’ailleurs il faut tâcher, dans un dictionnaire, de ne citer que de bons vers, et ne point imiter en cela l’impertinent Dictionnaire de Trévoux. Les vers cités en cet endroit sont trop mauvais : bonté fertile[3] est ridicule.

Priez vos auteurs de ne citer que des faits avérés. Le viol d’une dame par un marabout, à la face et non en face de tout un peuple, est un conte à dormir debout[4], digne de Léon d’Afrique[5].

  1. Vers de J.-B. Rousseau, livre III, ode ii, vers 191.
  2. Rousseau a dit (livre IV, ode ii, vers 78) :

    Plaçât leurs bienfaiteurs au rang des immortels.

  3. Expression de J.-B. Rousseau, livre III, ode ii, vers 188.
  4. Cette histoire est rapportée dans le Grand Vocabulaire français, tome Ier, page 498. Ce premier volume ayant eu une seconde édition, on y corrigea les fautes sur les deux vers de Rousseau, on supprima la citation de bonté fertile. L’histoire du viol ne fut pas retranchée, et l’expression en face resta même dans le texte ; mais elle est corrigée dans l’erratum. (B. )
  5. Lettre de Voltaire (dictée à Wagnière), à M. Éthis, commissaire provincial des guerres à Besançon, Ferney, 25 septembre 1767, signalée dans un catalogue d’autographes. Voltaire exprime le désir que de dix en dix arpents tout fût haïe ou plantation dans toute l’Europe, afin d’empêcher les batailles rangées. « On aurait plus de cultivateurs et moins de soldats. »