Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7243

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7243. — À M. LE COMTE DE LA TOURAILLE.
À Ferney, le 20 avril.

Je vois, monsieur, que les Parisiens jouissent d’une heureuse oisiveté, puisqu’ils daignent s’amuser de ce qui se passe sur les frontières de la Suisse, au pied des Alpes et du mont Jura. Je ne conçois pas comment la chose la plus simple, la plus ordinaire, et que je fais tous les ans, a pu causer la moindre surprise. Je suis persuadé que vous en faites autant dans vos terres, quand vous y êtes. Il n’y a personne qui ne doive cet exemple à sa paroisse ; et si quelquefois dans Paris le mouvement des affaires, ou d’autres considérations, obligent à différer ces cérémonies prescrites, nous n’avons point à la campagne de pareilles excuses. Je ne suis qu’un agriculteur, et je n’ai nul prétexte de m’écarter des règles auxquelles ils sont tous assujettis. L’innocence de leur vie champêtre serait justement effrayée si je n’agissais pas et si je ne pensais pas comme eux. Nos déserts, qui devraient nous dérober au public de Paris, ne nous ont jamais dérobés à nos devoirs. Nous avons fait à Dieu, dans nos hameaux, les mêmes prières pour la santé de la reine[1] que dans la capitale, avec moins d’éclat sans doute, mais non pas avec moins de zèle. Dieu a écouté nos prières comme les vôtres, et nous avons appris, avec autant de joie que vous, le retour d’une santé si précieuse[2].

  1. Marie Leczinska, morte le 24 juin 1768.
  2. La même lettre, donnée comme tirée de la collection d’autographes de M. le conseiller Desmaze et adressée à Quentin de La Tour, le célèbre miniaturiste, a été imprimée en 1878 d’abord, croyons-nous, dans un petit journal littéraire intitulé la Plume, puis reproduite comme inédite et inconnue jusqu’à ce jour », dans le Constitutionnel, dans le Journal de Paris, dans l’Événement, etc. ; elle fit alors le tour de la presse sans qu’aucun rédacteur s’aperçût qu’elle était, avec une autre adresse, dans toutes les éditions de la correspondance de Voltaire. — Les tables que nous donnons à la fin de chaque volume permettront d’éviter plus facilement ces méprises. Nous croyons que l’adresse au comte de La Touraille est la véritable, et que M. Desmaze n’a probablement qu’une copie.