Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7250

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7250. — AU GAZETIER D’AVIGNON.

J’ai lu, monsieur, dans votre gazette, l’histoire de ma conversion, opérée par la grâce et par un ex-jésuite, qui m’a, dit-on, confessé et traîné au pied des autels. Plusieurs autres papiers publics y ont ajouté que j’avais une lettre de cachet pour pénitence ; d’autres sont entrés dans des détails de ma famille ; d’autres ont parlé d’un beau sermon que j’ai fait dans l’église. Tout cela pourrait servir à établir le pyrrhonisme de l’histoire. Ceux qui écrivent de Paris ces nouvelles, très-ignorées dans mon pays, ne sont pas apparemment mes amis ; et vous savez que des succès vains et passagers dans les belles-lettres attirent toujours beaucoup d’ennemis très-implacables.

Je puis assurer que l’ex-jésuite retiré chez moi n’a jamais été mon confesseur ; que je n’ai jamais eu la moindre part à la foule d’écrits qu’on se plaît à m’attribuer ; que je n’ai parlé dans ma paroisse, en rendant le pain bénit, que pour avertir d’un vol qu’on faisait dans ce temps-là même à mes paroissiens, et surtout pour avertir qu’il fallait prier tous les dimanches pour la santé de la reine, dont on ignorait la maladie dans mes déserts.

Enfin, monsieur, pour vous prouver la fausseté de tout ce qu’on a imprimé dans vingt gazettes, d’après les bulletins de Paris, je me vois forcé de publier l’attestation ci-jointe[1], que j’ai eu la précaution d’accepter depuis trois ans, pour confondre les calomniateurs qui me persécutent depuis plus de trente.

Le tout signé par deux curés, par les syndics de la noblesse et de la province, par des prêtres, des gradués ; par les habitants, etc. ; collationné par un notaire royal, et déposé au contrôle de Gex.

Je ne publie pas cette déclaration dans l’espérance de désarmer l’envie et l’imposture ; mais je la dois à la vérité, à mes amis, à ma famille qui sert le roi dans ses armées et dans les premiers tribunaux du royaume, et à la charge que Sa Majesté a bien voulu me conserver auprès de sa personne.

J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Elle est page 34.