Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7431

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 208-209).
7431. — À M. LE BARON GRIMM.
27 décembre.

L’affligé solitaire des Alpes a reçu la lettre consolante du prophète[1] de Bohême. Ils pleurent ensemble, quoique à cent lieues l’un de l’autre ; le défenseur intrépide de la raison et le vertueux ennemi du fanatisme, Damilaville, est mort, et Fréron est gros et gras ; mais que voulez-vous, Thersite a survécu à Achille, et les bourreaux du chevalier de La Barre sont encore vivants. On passe sa vie à s’indigner et à gémir.

Il y a des barbares qui imputent la traduction de l’A, B, C à l’ami du prophète bohémien ; c’est une imputation atroce. La traduction est d’un avocat nommé La Bastide-Chiniac, auteur d’un Commentaire sur les discours de l’abbé Fleury[2]. L’original anglais fut imprimé à Londres en 1761, et la traduction en 1762, chez Robert Freemann[3], où tout le monde peut l’acheter. Voilà de ces vérités dont il faut que les adeptes soient instruits, et qu’ils instruisent le monde. Les prophètes doivent se secourir les uns les autres, et ne se pas donner des soufflets, comme Sédéchias en donnait à Michée[4].

Je prie le prophète de me mettre aux pieds de ma belle philosophe[5].

On dit du bien de Mlle Vestris : mais il faut savoir si ses talents sont en elle, ou s’ils sont infusés par Lekain ; si elle est ens per se ou ens per aliud.

Vous reconnaîtrez l’écriture d’Élisée[6] sous la dictée du vieil Élie : je lui laisserai bientôt mon manteau[7] ; mais ce ne sera pas pour m’en aller dans un char de feu.

Adieu, mon cher philosophe ; je vous embrasse en Confucius, en Épictète, en Marc-Aurèle, et je me recommande à l’assemblée des fidèles.

  1. Grimm est auteur du Petit prophète de Boehmischbroda, 1753, iu-8°.
  2. Voyez page 40.
  3. Voyez la note I, page 188.
  4. III, Rois, xxii, 24.
  5. Mme d’Épinai.
  6. De Wagnière.
  7. IV, Rois, ii, 13.