Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7507

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 288-289).
7507. — À M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
15 mars.

Vous me mandez, par votre lettre du 25 février, que ma dernière lettre tenait un peu de l’aigre-doux. S’il y a du doux, mon cher marquis, il est pour vous : s’il y a de l’aigre, il est pour toutes les sottises de Paris, pour le mauvais goût qui y règne, pour les plates pièces qu’on y donne, pour les plats auteurs qui les font, et pour les plats acteurs qui les jouent ; pour la décadence en toutes choses, qui fait le caractère de notre siècle.

Je sens pourtant que j’aimerais encore le tripot de la Comédie, si j’étais à Paris ; mais je vous aimerais bien davantage : ce serait une consolation pour moi de parler avec vous des impertinences qu’on a la bêtise d’applaudir sur le théâtre où Mlle Lecouvreur a joué Phèdre.

À l’égard des autres bêtises, je ne vous en parle point, parce que je les ignore, Dieu merci. Je suis encore enterré sous la neige au mois de mars. Je me réchauffe dans une belle fourrure de martre zibeline que l’impératrice Catherine m’a envoyée, avec son portrait enrichi de diamants, et une boîte tournée de sa main, avec le recueil des lois qu’elle a données à son vaste empire. Tout cela m’a été apporté par un prince qui est capitaine de ses gardes. Je doute qu’une lettre d’un bureau de ministre puisse être plus agréable. Une partie de l’Europe me console d’être né Français, et de n’être plus que Suisse.

Je vous embrasse bien tendrement.