Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7532

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 313-314).
7532. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
15 avril 1769.

Hâtez-vous, hâtez-vous, monsieur, de me rendre raison de la nouvelle qu’on débite, et qui a fait tomber tous les autres sujets de conversation. M. de Voltaire, dit-on, a communié en présence de témoins, et il en a fait passer un acte par-devant notaire. Le fait est-il vrai ? À quoi cet acte vous servira-t-il ? Sera-ce devant les tribunaux de la justice humaine ou de la justice divine ? Le produirez-vous en Sorbonne, au parlement, ou à la vallée de Josaphat ? Sont-ce les billets de confession qui vous ont fait naître cette idée ? Que voulez-vous que vos amis pensent ? doivent-ils garder leur sérieux ? peuvent-ils se laisser aller à l’envie de rire ? Pourquoi ne les avez-vous pas avertis ? Pourquoi ne leur avez-vous pas dicté leur rôle ? Ce trait est si nouveau, si ineffable, que je ne puis comprendre quel a été votre dessein.

Je me sais mauvais pré de me détourner, par cette curiosité, de vous parler de ce qui m’intéresse bien davantage, de votre charmante lettre. Vous nous faites passer des moments bien agréables. La grand’maman ne veut laisser à personne le soin de vous lire, elle s’en acquitte supérieurement, avec un son de voix qui va au cœur, une intelligence qui fait tout sentir, tout remarquer ; elle veut, à la vérité, marmotter les articles qui la regardent, mais je ne le souffre pas, et je la force à les articuler plus distinctement que tout le reste ; ce sont ceux qui sont les plus applaudis, parce qu’ils sont les plus vrais et les plus justes.

Vous voulez savoir qui compose nos petits comités ; quand je vous les nommerais, vous ne les connaîtriez point. Leurs noms ne seront peut-être pas dans les fastes de notre siècle ; ils n’ambitionnent aucune sorte de gloire : ils la révèrent en vous, parce qu’elle est méritée, et puis, par un esprit de tolérance (qu’ils portent sur tout), ils ne la disputent point à ceux qui l’usurpe ; ils se contentent d’être aimables, ils ne veulent point être célèbres.

Répondez-moi incessamment, et mandez-moi des nouvelles de votre corporelle et spirituelle, et croyez que de tous vos amis, tant anciens que modernes, aucun ne vous admire et ne vous aime autant que je fais.

Le président reçoit avec plaisir ce que je lui dis de votre amitié pour lui : sa santé n’est pas mauvaise, sa tête n’est point dérangée, mais elle est bien faible.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.