Correspondance inédite/Lettres à Fet

La bibliothèque libre.
Texte établi par J.-Wladimir BienstockE. Fasquelle (p. 11-146).

LETTRES À FET


Le grand poète russe Fet (de son vrai nom Afanassi Afanassiévitch Chinchine, né en 1820, mort en 1892) fut l’ami le plus intime de L. N. Tolstoï. Leur correspondance qui embrasse une longue période (1858-1881) est d’un caractère tout à fait intime ; mais par instants l’abandon de l’intimité laisse deviner le futur penseur et apôtre russe, en même temps qu’elle nous initie aux procédés de travail de l’auteur de Guerre et Paix et d’Anna Karénine.

Les lettres de Tolstoï à Fet paraissent en français pour la première fois. — N. T.


12 mai 1858.

Mon cher petit oncle ! Je vous écris deux mots seulement pour vous dire que je vous embrasse de toutes mes forces, que j’ai reçu votre lettre, que je baise la main de Mme Fet, et salue tous les vôtres. Petite tante vous remercie beaucoup pour votre souvenir et vous salue. Quel merveilleux printemps nous avons eu et avons encore ! Moi, dans la solitude, j’en jouis admirablement. Notre frère Nicolas doit être à Nikolskoié ! Saisissez-le et ne le lâchez pas. Moi aussi je veux aller chez vous. Tourgueniev est parti pour Vintzig jusqu’au mois d’avril, réparer sa vessie. Que le diable l’emporte ! Ça m’embête à la fin de l’aimer. Il ne guérira pas sa vessie et il nous prive de sa société.

Ensuite, au revoir, cher ami ; si avant mon arrivée il n’y a pas un poème, je l’extirperai de vous.

Vôtre,
Comte L. Tolstoï.


Quelle Pentecôte hier ! quel service ! Des lilas fanés, des cheveux blancs, de l’indienne cramoisie et le soleil chaud !




16 mai 1858.

Ouais ! petit oncle ! Ouais ! D’abord on n’entend rien de vous malgré le printemps arrivé, et vous savez que tous pensent à vous, et que moi, comme Prométhée, suis attaché à un rocher ; et tout de même, j’ai soif de vous voir et de vous entendre. Du moins si vous veniez vous-même ou m’invitiez instamment chez vous. Et, deuxièmement, vous avez séquestré un frère et un très bon frère, Ferducie[1]. Je pense que la principale coupable, c’est Marie Petrovna[2] que je salue très bas et à qui je demande de me rendre mon frère. Sans plaisanterie, il a fait dire qu’il viendrait cette semaine. Droujinine viendra également. Venez aussi cher oncle.

Vôtre,

L. Tolstoï.




24 octobre 1858.

Ma petite âme, mon petit oncle Fétinka ! Je vous jure, mon petit, que je vous aime beaucoup, beaucoup. Et voilà tout ! C’est sot et ridicule d’écrire des nouvelles. Écrire des vers… écrivez si vous voulez… mais aimer un brave homme, c’est très agréable. Et peut-être est-ce contre ma volonté, contre ma raison, peut-être n’est-ce pas moi, mais une nouvelle qui est en moi et n’est pas encore mûre, qui me fait vous aimer.

Parfois cela me semble quelque chose de pareil. On peut faire n’importe quoi, et entre le fumier et le chaume, malgré tout on compose quelque chose. C’est encore heureux que je ne me permette pas d’écrire. Droujinine me demande de lui écrire, par amitié, une nouvelle ; en vérité j’en veux écrire une, et de telle sorte qu’après cela il n’y ait rien à dire. Le schah de Perse fume du tabac et moi je t’aime. Voilà ! Plaisanterie à part, comment va votre Gaphise ? On peut faire n’importe quoi ; mais pour moi c’est la suprême fermeté, la suprême sagesse, de se réjouir des poèmes d’un autre, et son propre poème, de ne le pas laisser sortir en habits déchirés, mais de le garder chez soi. Parfois, tout d’un coup, on désire tant être un grand homme, et on a tant de dépit de ne l’être pas encore ! Même on se lève avec plus de hâte, on dîne plus vite, pour commencer. On dit sans cesse des sottises, mais c’est agréable d’en dire au moins une à un petit oncle comme vous, qui ne vit que par ces seules et mêmes bêtises. Envoyez-moi un seul poème de Gaphise, mais le meilleur, traduit par vous. C’est me faire venir l’eau à la bouche ; et moi je vous enverrai un échantillon de froment. La chasse m’ennuie mortellement. Le temps est superbe, mais seul je ne chasse pas. Vos chiens et Ivan Pétrovitch sont bien portants, ainsi que Prokofi et le vieil hongre. Je vous remercie beaucoup de la permission ; j’en profiterai. Ces jours-ci je vous écrirai ; pour le moment je vous remercie seulement pour vos démarches et vous embrasse bien fort. Envoyez-moi l’encyclopédie. Ma tante vous remercie beaucoup des souvenirs, et ce n’est pas une phrase banale, mais chaque fois que je lui lis votre post-scriptum, elle sourit, branle la tête et dit : « Cependant (pourquoi cependant ?), quel brave homme ce Fet ! » Et moi je sais pourquoi il est si brave : elle pense qu’il m’aime beaucoup.

Eh bien, au revoir.

L. Tolstoï.




23 février 1860.
Cher ami Afanassi Afanassiévitch,

Votre lettre m’a beaucoup réjoui. Votre régiment augmentera, et c’est une excellente recrue qui vous arrive. Je suis sûr que vous en serez un admirateur.

À la question, que devez-vous acheter ?

Le domaine dont je vous ai parlé et qui se trouve près de Mstzensk est loin de moi, et, autant que je me souvienne, vaudrait environ 16.000 roubles. Je n’en sais rien de plus. Mais à côté de moi, il y a un magnifique domaine de 400 déciatines de très bonne terre, avec, malheureusement, soixante-dix âmes de très mauvais paysans. Cependant ce n’est pas un très grand malheur. Les paysans paieront volontiers la redevance comme chez moi, 30 roubles, ce qui donnera 2.000 roubles de revenus. On demande pour ce domaine 24.000 roubles, sans déduction de l’hypothèque qui doit être d’environ 5.000 roubles. Par la beauté et la proximité de la grande route de Toula, c’est très avantageux. La propriété est en ruines, c’est-à-dire que la maison des maîtres est délabrée ; cependant il y a maison et jardin, et tout doit être refait à neuf. Malgré tout, à 20.000 roubles ce serait un excellent marché. Un avantage particulier, c’est qu’en ma personne vous avez un surveillant de tous les instants. Du reste je ne dis rien. Si cela ne vous plaît pas je vous vendrai une centaine de déciatines de ma propriété, ou demandez à mon frère Nicolas s’il ne vendrait pas son Alexandrovka. Mais vraiment, abstraction faite de tout avantage personnel, le mieux serait d’acheter Téliatenki (le domaine voisin du mien). Le vendeur est un vieux ruiné qui veut vendre le plus vite possible pour se débarrasser de son gendre, et voilà deux fois qu’il envoie chez moi.

Le premier calcul que j’aie fait, c’est de savoir combien peut rapporter cette propriété si l’on y met 5.000 roubles de capital et deux années de travail. Même dans l’état actuel on peut en tirer au moins 1.500 roubles, c’est-à-dire plus de 7 pour 100. Il y a encore mon hameau à dix verstes de chez moi, 120 déciatines, mais là-bas ce n’est pas très agréable à vivre : il n’y a ni eau ni bois.

Répondez-moi le plus vite possible et en détail quelle somme vous avez l’intention de mettre dans cette propriété ; c’est le principal.

J’ai lu Nakanounié (La Veille)[3]. Voici mon opinion : c’est, en général, tout à fait inutile d’écrire des nouvelles, surtout pour les hommes qui sont tristes et ne savent pas bien ce qu’ils veulent de la vie. Cependant Nakanounié est beaucoup mieux que le Nid des gentilshommes[4] et il y a dans cette nouvelle quelques types négatifs merveilleux : le peintre et le père. Quant aux autres, non seulement ce ne sont pas des types, mais même leur situation n’est pas typique, sans compter qu’ils sont tout à fait vulgaires.

D’ailleurs, c’est toujours le défaut de Tourgueniev.

La jeune fille est tout à fait mauvaise. « Ah ! je t’aime ! » « Ses cils étaient longs… »

En général je suis toujours étonné que Tourgueniev, avec son esprit et son flair poétique, ne sache pas se garder de la banalité, même dans ses moindres procédés.

Cette banalité se montre surtout dans les procédés négatifs qui rappellent Gogol. Il n’y a pas d’humanité, pas de sympathie pour la personne : il présente des monstres qu’il injurie mais ne plaint pas. Cela sonne mal avec le ton et le sens de libéralisme de tout le reste. C’était bien au temps du roi de Thulé et de Gogol (et encore, il faut dire que si on ne plaint pas ses personnages même les plus minimes, il faut alors les insulter de telle façon que le ciel en ait chaud, ou se moquer d’eux jusqu’à ce que le ventre en éclate, et non comme le fait Tourgueniev, qui est saisi de mélancolie et de dyspepsie). Toutefois, il faut reconnaître que personne ne serait actuellement capable d’écrire une pareille nouvelle, bien qu’elle ne doive pas avoir de succès.

L’Orage, d’Ostrovsky, est, selon moi, une œuvre très triste, mais qui aura du succès. Ce n’est ni Ostrovsky ni Tourgueniev qui sont coupables, mais l’époque. Maintenant, de longtemps ne naîtra pas cet homme qui fera dans le monde poétique ce qu’a fait Boulgarine. Quant aux amateurs du classique, desquels je suis, personne ne les empêchera de lire sérieusement des vers et des nouvelles et de les discuter sérieusement. Maintenant il faut autre chose. Ce n’est pas nous qui devons nous instruire, mais nous devons apprendre un peu à Marfoutka et à Tarasska ce que nous savons.

Au revoir, cher ami.


Un million de commissions : j’ai oublié le nom du libraire allemand dont le magasin est au pont des Maréchaux, en haut, à gauche (en montant). C’est lui qui m’envoie des livres. Allez chez lui et demandez-lui : 1o ce que je lui dois, 2o pourquoi depuis si longtemps il ne m’a rien envoyé de nouveau, et faites un choix chez lui. Ensuite, après avoir pris conseil de Pikouline, envoyez-moi ce qu’il y a de meilleur comme traité de médecine domestique et vétérinaire (jusqu’à dix roubles). Demandez à mon frère Serge s’il m’a commandé des charrues ? Sinon, allez chez Vilson et demandez-lui quand il pourrait livrer six charrues. Informez-vous dans le magasin de grains de Mayer, à Loubianka, du prix des graines de trèfle ; j’en ai à vendre. Que coûte une paire de bistouris, pour hommes, et des ventouses ? Une partie de ces commissions peut être faite par notre charmant Ivan Pétrovitch, que j’embrasse. Je baise la main de Mme Fet. Ma tante vous remercie et vous salue.

Vôtre,

L. Tolstoï.




27 mars 1860.

Quelle joie m’ont fait vos projets, mon cher petit oncle, je ne puis vous le dire. Et ce n’est pas à moi seul que vous avez fait plaisir, mais à tous les miens, à commencer par la tante jusqu’au moine ivrogne. Maintenant, je n’ai peur que d’une chose : que tous ces plans ne s’écroulent par une bêtise quelconque. Les conditions réelles de votre séjour à Iasnaia existent toutes. Mon désir que cela se réalise est si fort que, si ces conditions n’existaient pas, je les ferais naître. Je percerais encore trois murs et moi-même m’installerais dans la cheminée. Alors cela doit être. Naturellement, il y a une foule de petits détails qu’il faut examiner d’avance : dans quelle maison et quelles chambres préférera vivre Marie Pétrovna ? par où entrera et sortira Maruchka, votre femme de chambre, etc. ? Et encore, où placer les chevaux : dans une écurie à part, ou chez un paysan à trois verstes de la propriété, ou chez mon frère, à Pirogovo ? Moi je tiens mes chevaux à Iasnaia, mais il faudra installer les vôtres autrement. En général, il faut causer de tout cela.

Venez sans faute quand vous irez à Serpoukov. Quelles promenades nous ferons avec Marie Pétrovna ! Elle sera contente du jardin. De quelles bonnes choses, pédagogie, agriculture et même poésie, nous causerons avec vous et Ferducie ! J’attends votre réponse et votre personne. Je baise la main de Marie Pétrovna et lui demande, en cas de difficultés, de vous aider à trancher le nœud gordien.

Il est probable que je n’irai pas maintenant à Moscou.

Au revoir.

L. Tolstoï.




20 juin 1860.

Non seulement je ne me suis pas réjoui et n’ai pas été fier de votre lettre, cher Afanassi Afanassiévitch, mais si je l’avais crue, j’en eusse été très attristé. C’est sans phrase. Vous êtes un écrivain et seulement un écrivain, et que Dieu vous aide. Mais qu’en plus vous vouliez trouver une place et y fouiller comme une fourmi, cette idée, non seulement devait vous venir en tête, mais vous devez la réaliser mieux que moi. Vous devez le faire parce que vous êtes bon et plein de bon sens. D’ailleurs, même maintenant, ce n’est pas à moi de vous encourager ou décourager d’un ton doctoral. Je serais en désaccord avec moi-même. L’exploitation sur l’échelle où elle se fait chez moi m’accable. L’Ufanstvo[5], je ne la vois que quelque part, de loin.

Les affaires de famille, la maladie de Nicolas, dont nous n’avons pas encore de nouvelles de l’étranger, le départ de ma sœur (elle nous quitte dans trois jours), me tourmentent de tous côtés. La vie célibataire, c’est-à-dire l’absence de femme, et l’idée qu’il devient déjà tard, me tourmente encore. En général, tout n’est pas rose pour moi, pour le moment. À cause de la maladie de ma sœur et du désir de voir Nicolas, demain, en tout cas, je prends un passeport pour l’étranger, et peut-être partirai-je avec eux, surtout si je ne reçois pas de nouvelles de Nicolas, ou si j’en reçois de mauvaises. Je passerai vous voir avant le départ. Je voudrais vous dire tant de choses et vous questionner, mais maintenant ce n’est pas possible. Cependant si cette lettre arrive vite, sachez que nous quittons Iasnaia, jeudi, ou plutôt vendredi. Maintenant, à l’exploitation.

Le prix qu’on vous demande n’est pas trop élevé, et si l’endroit vous plaît, il faut acheter. Une seule question : Pourquoi vous faut-il tant de terre ? Par trois années d’expérience je suis arrivé à cette conviction qu’avec l’activité la plus grande possible on ne peut exploiter convenablement que de 60 à 70 déciatines. Ce n’est que dans ces conditions qu’on peut ne pas trembler à chaque faute : parce qu’on n’a pas labouré deux fois mais trois ou quatre, pour chaque heure perdue par un ouvrier, pour chaque rouble de trop par mois qu’on lui donne.

On peut traiter 15 déciatines de façon qu’elles donnent de 30 à 40 p. 100 du capital fondamental ; mais avec 80 ou 100 déciatines, c’est impossible. Je vous prie, faites attention à ce conseil. Ce n’est pas un bavardage en l’air, mais la conclusion à laquelle je suis arrivé à mes dépens. Qui vous dira le contraire est un menteur ou un ignorant. Même avec 15 déciatines, il faut déployer une activité qui absorbe tout, mais alors on peut en avoir une agréable récompense, tandis qu’avec 90 déciatines, c’est un travail de cheval de poste et on ne peut avoir aucun succès. Je ne trouve pas de mots pour m’injurier de ne pas vous avoir écrit auparavant ; alors sûrement vous viendriez. Maintenant, au revoir. Mon salut cordial à Marie Pétrovna et à Borissov.


L. Tolstoï.




Hyères, 17 octobre 1860.

Je pense que vous savez déjà ce qui est arrivé. Le 20 septembre, il est mort, littéralement dans mes bras. Jamais rien ne m’a fait une impression pareille. Il disait vrai qu’il n’y a rien de pire que la mort. Et quand on réfléchit bien qu’elle est la fin de tout, il n’y a rien de pire que la vie. Pourquoi travailler, s’esquinter, si de ce qui était Nicolas Nikolaievitch Tolstoï rien n’est resté ? Il ne disait pas qu’il sentait la mort venir, mais moi je savais qu’il la suivait pas à pas, et il savait certainement combien il lui restait à vivre. Quelques minutes avant de mourir il s’assoupit. Tout à coup il s’éveilla ; il se mit à murmurer avec horreur : « Mais qu’est-ce que c’est ? » Il l’avait aperçu cet engloutissement de son être dans le néant. Et si lui n’a rien trouvé où s’accrocher, que trouverai-je moi ? Encore moins. Et certainement que ni moi, ni personne, ne luttera autant que lui contre elle, jusqu’au dernier moment. Deux jours avant sa mort je lui disais : « Il faut te mettre les commodités dans ta chambre. »

— « Non, dit-il, je suis faible, mais pas à ce point. Nous lutterons encore. »

Jusqu’au dernier moment il ne céda pas. Il faisait tout lui-même ; il tâchait de travailler, écrivait, m’interrogeait sur mes travaux, me donnait des conseils. Mais il me semble qu’il faisait tout cela non spontanément mais par principes. Une seule chose, la nature, resta jusqu’au bout. La veille, il alla dans sa chambre, et, de faiblesse, tomba sur son lit, près de la fenêtre ouverte. Je vins. Il me dit les larmes aux yeux : « Quelle jouissance j’ai eue maintenant, toute une heure ! » On le prit de la terre pour le remettre dans la terre. Il ne reste qu’une chose : l’espoir vague que là-bas, dans la nature dont on deviendra partie, dans la terre, quelque chose subsistera. Tous ceux qui ont été témoins de ses derniers moments disent : « Comme il a eu une belle mort, calme, douce ! » Mais moi je sais avec quelles souffrances il est mort, car pas un seul de ses sentiments ne m’a échappé. Mille fois je me suis dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts », mais il faut dépenser de quelque façon les forces qu’on possède encore. On ne peut pas commander à la pierre de tomber en haut au lieu de tomber en bas où elle est attirée. On ne peut pas rire d’une plaisanterie qui ennuie. On ne peut pas manger quand on n’a pas faim. Pourquoi tout cela, si demain doivent commencer les souffrances de la mort avec toute la lâcheté du mensonge, de la tromperie de soi-même ; si tout se termine par le néant, par le zéro ? Drôle de plaisanterie ! Sois utile, sois vertueux, sois heureux tant que tu vis, se disent les hommes, et toi, et le bonheur et la vertu et l’utilité consistent en la vérité. Et la vérité que j’ai acquise pendant les trente-deux années de mon existence c’est que la situation où nous sommes placés est horrible.

« Prenez la vie telle qu’elle est. Vous vous êtes placés dans cette situation », dit-on. Comment donc prendre la vie telle qu’elle est ! Dès que l’homme arrive au degré supérieur de son développement, il voit clairement que tout est gâchis, tromperie, et que la vérité qu’il aime cependant mieux que tout, est terrible, qu’aussitôt qu’on l’apercevra nettement on se réveillera et dira avec horreur, comme mon frère : « Mais qu’est-ce que c’est ? » Mais, sans doute, tant qu’existe le désir de savoir et de dire la vérité, on tâche de la connaître et de la dire. C’est la seule chose qui me soit restée de ma conception morale et au-dessus de quoi je ne puis me placer. C’est la seule chose que je ferai, seulement pas sous forme de votre art. L’art, c’est le mensonge, et moi, je ne puis déjà plus aimer le beau mensonge…

Je vivrai ici tout l’hiver pour cette raison qu’il m’est tout à fait égal de vivre n’importe où. Écrivez-moi je vous prie. Je vous aime comme mon frère vous a aimé et s’est souvenu de vous jusqu’au dernier moment.

L. Tolstoï.




Spasskoié[6], 19 mai 1861.

Je vous embrasse de tout cœur, cher ami Afanassi Afanassiévitch, pour votre amitié et parce que vous êtes Fet. Je désire voir Ivan Serguéiévitch, mais vous je le désire dix fois plus. Il y a si longtemps que nous ne nous sommes vus, et, depuis, il nous est arrivé à tous deux tant de choses ! Je suis très heureux de votre vie agricole ; quand j’en entends parler ou que j’y pense, je me sens un peu fier d’y avoir contribué. Ce n’est pas à moi de parler et à vous d’écouter. L’ami, c’est bien, mais il mourra, il s’en ira quelque part, et on n’aura pas le temps de le suivre, tandis que la nature à laquelle on s’est uni par l’acte de vente ou qu’on possède par héritage, c’est encore mieux. Ma nature à moi est froide, rebutante, exigeante, encombrante, mais c’est un ami qu’on gardera jusqu’à la mort, et quand on mourra on y entrera. D’ailleurs, maintenant je me donne moins à cet ami, je suis entraîné par d’autres affaires. Dieu fasse que vous réussissiez et que les succès de Stépanovka[7] nous réjouissent. Que vous écrivez et écrirez encore, je n’en doute pas.

Je serre la main de Marie Petrovna et lui demande de ne pas m’oublier. Il faudra un malheur quelconque pour m’empêcher de venir chez vous cet été ; mais quand, je n’en sais rien.




27 mai 1861.

Je n’ai pu me retenir et j’ai encore décacheté la lettre de M. Tourgueniev en réponse à la mienne[8]. Je vous souhaite tout le bien possible dans vos relations avec cet homme. Tant qu’à moi je le méprise ; je le lui ai écrit et termine par là toutes mes relations avec lui, sauf une réparation, s’il le désire.

Malgré tout mon calme extérieur, dans mon âme grondait quelque chose, et j’ai senti qu’il me fallait exiger de M. Tourgueniev des excuses plus positives. C’est ce que j’ai fait dans la lettre que je lui ai écrite de Novosiolky.

Voici sa réponse dont je me suis contenté, en lui répondant que les causes qui font que je l’excuse ne résident pas dans l’opposition de nos natures, mais qu’elles sont telles qu’il pourrait lui-même les comprendre.

En outre je lui ai envoyé une autre lettre, assez dure, le provoquant ; à cette lettre je n’ai pas encore de réponse. Si je la reçois je vous l’enverrai sans l’ouvrir.

Voilà donc la fin de la triste histoire, et si elle franchit le seuil de votre maison, que ce soit avec ce supplément.

L. Tolstoï.




28 mai 1861.

Tourgueniev est un …, ce que je vous prie de lui transmettre avec la même exactitude que vous me transmettez ses charmantes expressions, malgré mes demandes réitérées de ne jamais me parler de lui.

Et je vous prie de ne pas m’écrire davantage, car je ne décacheterai plus vos lettres ainsi que celles de Tourgueniev.

L. Tolstoï.




9 octobre 1862.

Mon petit Fet, petit oncle, et tout simplement cher Afanassi Afanassiévitch !

Voilà deux semaines que je suis marié et heureux. Je suis un homme nouveau, tout à fait nouveau. Je voulais aller moi-même chez vous, mais je n’en ai pas eu le temps. Quand vous verrai-je ? Je vous apprécie beaucoup, et entre nous il y a trop de choses qu’on ne peut oublier : Nikolenka et beaucoup d’autres. Venez faire connaissance avec ma femme. Je vous embrasse de tout cœur.

L. Tolstoï.




1863.

Vos deux lettres me sont également utiles et agréables, cher Afanassi Afanassiévitch. Je vis dans un monde si éloigné de la littérature et de sa critique qu’en recevant une lettre comme la vôtre, mon premier sentiment est de l’étonnement. Mais qui donc a écrit les Cosaques et Polikouchka[9] ? Y a-t-il à les discuter ? Le papier supporte tout, et le directeur paie pour tout et insère tout. Mais ce n’est que la première impression, ensuite on pénètre le sens des mots, on se creuse la cervelle, et on trouve là-bas quelque part, dans un coin, parmi les vieux restes oubliés, on trouve là-bas quelque chose d’indéfini sous le titre : artistique. Et, en comparant avec ce que vous dites, on conviendra que vous avez raison, et on trouvera même du plaisir à fouiller dans ces vieilles reliques et dans cette odeur autrefois aimée. On est même empoigné du désir d’écrire. Sans doute vous avez raison. Mais il y a peu de lecteurs tels que vous. Polikouchka, c’est le bavardage sur le premier sujet venu d’un homme qui « tient sa plume », et les Cosaques, avec la sanie en plus, bien que mal.

Pour le moment, j’écris l’histoire d’un hongre bai[10]. Je pense faire paraître cela en automne. D’ailleurs, comment écrire maintenant ! Je suis plongé jusqu’au cou dans l’Ufanstvo. Sophie[11] est ici avec moi ; nous n’avons pas d’intendant, il n’y a que des gens qui nous aident pour les champs et les constructions ; elle tient seule la caisse et les livres. J’ai des abeilles, des brebis, un nouveau jardin, une distillerie, et tout s’arrange peu à peu, bien qu’assez mal auprès de l’idéal. Que pensez-vous des affaires polonaises ? Ça va mal. Peut-être vous et Borissov serez-vous forcés de décrocher vos épées de leurs clous rouillés ? Si nous allons à Nikolskoié est-ce que nous nous y verrons ? Quand serez-vous chez les Borissov ? Ne pourrions-nous pas nous arranger pour nous y trouver tous ensemble ?

Au revoir. Amitiés à Marie Pétrovna. Sophie et tante vous saluent.




15 mai 1863.

Nous avons failli nous voir et je suis fort attristé que nous n’ayons que failli. J’aurais tant voulu vous causer. Il ne se passe pas de jours que nous ne parlions de vous plusieurs fois. Ma femme ne joue pas du tout à la poupée : ne l’offensez pas. C’est une aide très précieuse pour moi, malgré un fardeau dont elle espère être délivrée au commencement de juillet. Qu’adviendra-t-il après ? J’ai fait une découverte très importante que je me hâte de vous communiquer : les intendants et les gérants ne sont que nuisibles dans l’exploitation. Essayez de chasser toutes les autorités et de dormir jusqu’à dix heures, et les choses, sûrement, n’en iront pas plus mal. J’ai fait cette expérience et m’en suis bien trouvé. Comment pourrions-nous nous arranger pour vous voir ? Si vous allez à Moscou et ne venez pas chez nous avec Marie Pétrovna, ce sera pour nous une véritable offense. C’est ma femme, qui lit ma lettre, qui m’a soufflé cette phrase. Je voudrais vous écrire une longue lettre, mais le temps me manque. Je vous embrasse de tout mon cœur. Ma femme vous salue et moi je salue votre femme.

Une demande : Quand vous serez à Orel, achetez-moi vingt pouds de divers cordages et traits et envoyez-les-moi, si toutefois l’envoi ne revient pas à plus de 2 r. 30 k. par poud. J’enverrais l’argent immédiatement.

Vôtre,

L. Tolstoï.




15 juillet 1864.
Cher ami Afanassi Afanassiévitch !

Deux mots ; ma femme dicte : Toute la maison est malade ; et moi, j’ajoute de ma part : et commence à se rétablir.

Votre invitation nous a fait plaisir, à tous. Nous tous et Tania aussi (ma belle-sœur), nous nous sommes regardés avec un sourire et avons dit : « Voilà ce qui serait bien ; allons chez Fet ! » Et nous serions venus sans le mal de gorge de Tania, qui l’a mise en danger et la tient encore alitée, sans la maladie de Serioja[12] et sans la grossesse de Sophie, qui en est au huitième mois. Après mûre réflexion, nous avons décidé qu’il n’était pas possible d’entreprendre un voyage pareil, mais moi je désire et espère être des vôtres. En attendant, je salue très cordialement Marie Pétrovna et j’embrasse Vassili Pétrovitch[13].

Dans trois semaines vous recevrez une petite chienne noire, Darka.

Au revoir.
L. Tolstoï.




Samara, 7 octobre 1864.

Il a été convenu entre nous, cher Afanassi Afanassiévitch, de faire cet échange[14]. Le 20, Borissov m’a dit que comptant sur mon exactitude, vous lui aviez dit que vous enverriez le cheval le 25.

Eh quoi ! La semeuse était le 24 à Nikolskoié. J’étais très content de moi et j’ai ordonné au gérant de l’envoyer chez Borissov. Or, il résulte qu’il l’a oublié, et ce n’est qu’aujourd’hui, 7 octobre, que j’apprends cela. C’est le sort qui est coupable. Aujourd’hui, nous partons chez nous et nous ignorons comment nous arriverons jusqu’à l’heureux Iasnaia.

Les miens vous aiment et se souviennent de vous, ils sont tous bien portants et gais, ce que je vous souhaite à vous et à Marie Pétrovna.

Ce printemps, nous vous attendons chez nous. Nous tâcherons, quelque difficile que ce soit, d’être à Moscou.

L. Tolstoï.




17 novembre 1864.

Ma femme et moi vous attendons le 20, avec Marie Pétrovna. On ne prévoit aucun événement pour le 20, sauf le grand plaisir de votre arrivée. Ma femme m’a prié de dire cela à Marie Pétrovna. Le « lièvre » m’intéresse beaucoup. Nous verrons s’il pourra tout comprendre, bien que ce ne soit pas mon Serge mais un garçon de onze ans. Ce qui m’intéresse encore davantage, c’est la bicyclette[15].

Par votre lettre, je vois que vous êtes actif et gai, et je vous envie. Je m’ennuie, n’écris rien et travaille péniblement. Vous ne pouvez vous imaginer combien m’est difficile ce travail préparatoire de profond labeur sur ce champ que je serai forcé d’ensemencer[16] : réfléchir, penser à tout ce qui peut arriver aux futurs héros d’une œuvre très vaste et combiner des millions de projets de toutes sortes pour en choisir un millionième, c’est terriblement difficile ! Et c’est précisément ce à quoi je suis occupé. Ces jours derniers je suis tombé sur le dernier volume de Béranger et j’y ai trouvé quelque chose de nouveau pour moi : « Le bonheur ». J’espère que vous le traduirez.

Je m’ennuie aussi à cause du temps. Chez moi tout va bien, tous sont en bonne santé.

Au revoir.

Vôtre,
L. Tolstoï.




Fin novembre 1864.


À chaque instant je me prépare à vous écrire, cher Afanassi Afanassiévitch, et je remets sans cesse, parce que je veux vous écrire longuement. Mais, en attendant, il faut écrire brièvement ce qui est nécessaire. Et voici quoi : En recevant votre lettre nous avons dit : « Ah ! comme il écrit bien à propos du col de peau de chien mangé par les mites, et cependant, il part à Moscou[17]. » Moi, en homme plus expérimenté, je ne me suis nullement étonné et n’ai pas dit : Ah !

La seule chose qui nous intéresse tous les deux, c’est de savoir quand vous partez à Moscou et, principalement, quand vous serez chez nous ? Nous espérons que le voyage à Moscou ne modifiera pas votre projet de vous arrêter chez nous. Nous vous le demandons encore une fois à tous deux. Nous-mêmes partirons à Moscou après les fêtes, c’est-à-dire vers la mi-janvier, et y resterons jusqu’en février. Serez-vous chez nous avant ou après ? Écrivez-moi, je vous prie, ce que vous faites ? Comment va l’agriculture ? Écrivez-vous quelque chose ? Chez moi tout va bien. Les enfants et ma femme sont bien portants. Quand vous viendrez, je vous ferai admirer mon installation. Moi aussi, cet automne, j’ai écrit un assez long morceau de mon roman : Ars longa, vita brevis. Je le pense chaque jour. Si l’on pouvait faire la centième partie de ce que l’on conçoit, mais on n’en fait que la millième partie !

Néanmoins, cette conscience de pouvoir fait notre bonheur, à nous, littérateurs. Vous connaissez ce sentiment. Cette année, je l’ai éprouvé avec une force particulière. Eh bien ! au revoir ! Je vous embrasse et salue votre femme. Écrivez-moi donc, je vous prie, la date exacte de votre visite. Nous voulons vous installer le mieux possible pour que vous restiez plus longtemps chez nous. Ne dites pas : « Il ne nous faut rien, etc. », vous nous priveriez du grand plaisir que nous escomptons depuis l’automne, de rester plus longtemps avec vous.

Nous avons actuellement des hôtes : ma sœur avec ses filles, et pour les fêtes nous aurons encore les D… et les Fet, et ce sera pour tous très bien.

L. Tolstoï.




23 janvier 1865.

Comment n’avez-vous pas honte, mon cher Fet, d’agir envers moi comme si vous ne m’aimiez pas ou comme si nous tous devions vivre autant que Mathusalem ! Pourquoi ne venez-vous jamais nous voir, pourquoi ne venez-vous pas vous reposer deux ou trois jours avec nous ? Agir ainsi avec les autres, passe encore : Eh bien, puisque nous ne nous sommes pas vus à Iasnaia, nous nous rencontrerons quelque part à Podnovinskoié. Mais nous ne nous y rencontrerons pas.

Moi, je suis heureux d’être attaché à lasnaia Poliana ; vous, vous êtes un homme libre. Et si quelqu’un de nous vient à mourir, tout d’un coup, comme est mort le mari de ma sœur, Valérien Pétrovitch, il dira : « Imbécile ! Pourquoi ai-je travaillé tout le temps autour du moulin et ne suis-je pas allé chez Tolstoï ? » Vraiment ce n’est pas une plaisanterie.

Savez-vous quelle chose importante je vous dirai de moi :

Après cette chute de cheval où je me cassai le bras, en revenant de mon évanouissement, je me suis dit : Je suis un littérateur. Et je le suis ; mais un littérateur isolé. Ces jours-ci, paraîtra la première partie de l’Année 1805[18]. Je vous prierai de m’écrire au plus vite ce que vous en penserez. Votre opinion m’est très chère ainsi que celle d’un homme que j’aime de moins en moins, de Tourgueniev. Il comprendra.

Je regarde comme un essai de plume tout ce que j’ai publié jusqu’à ce jour ; ce que je publie maintenant me plaît bien davantage ; toutefois je le trouve encore faible, mais ce n’est que le commencement. Que sera le reste, c’est terrible d’y penser !  ! Écrivez-moi ce qu’on dira dans les divers cercles que vous connaissez, et, principalement, quelle sera l’impression sur le public. Probablement que cela passera inaperçu. Je l’attends et le désire. Pourvu seulement qu’on ne m’insulte pas : l’injure fait mal.

Au revoir, venez chez nous. On vous y aime de tout cœur. Mon salut à Marie Pétrovna.

Je suis heureux que vous aimiez ma femme, bien que je l’aime moins que mon roman. Mais malgré tout c’est ma femme. Venez chez nous. Si vous ne venez pas de Moscou avec Marie Pétrovna, ma parole, ce sera stupide.




16 mai 1865.

Pardonnez·moi, cher ami Afanassi Afanassiévitch, d’avoir tant tardé à vous répondre. Je ne sais vraiment comment cela s’est fait. Il est vrai que, pendant ce temps, un des enfants a été malade, et moi-même j’ai failli avoir une très forte fièvre ; j’ai gardé le lit trois jours. Maintenant, chez nous tout va bien et c’est même très gai. Tania est avec nous, ainsi que ma sœur avec ses enfants. Nos enfants sont en bonne santé et passent toute la journée à l’air. Moi j’écris peu à peu et suis content de mon travail.

Il y a encore des bécasses et chaque soir je « tire sur elles », ou plutôt devant elles. L’agriculture va bien, c’est-à-dire m’inquiète très peu, et c’est tout ce que j’exige d’elle. C’est tout en ce qui me concerne.

À votre question sur l’école d’Iasnaia Poliana, je réponds négativement. Vos raisons sont bonnes, mais comme les revues l’ont oubliée, je ne veux pas la leur rappeler, non que je renie ce que j’ai dit là-bas, mais au contraire parce que je ne cesse d’y penser, et si Dieu me prête la vie, j’espère faire de tout cela un livre avec les conclusions auxquelles m’a conduit l’ardeur passionnée consacrée à cette œuvre, durant trois années. 48 CORRESPONDANCE INÉDITE Je n`ai pas très bien compris ce que vous voulez dire dans l’article que vous avez écrit; ce serait d`autant plus intéressant de l`en— tendre .de vous, mais quand nous verrons- nous? Notre affaire a nous, agriculteurs, est ac- tuellement semblable aux affaires d`un capita- liste possesseur d'actions qui ont perdu leur valeur et ne se cotent pas à la Bourse. L’afl'aire va très mal. Pour ma part j’ai résolu de ne pas lui donner trop d’attïenti0n et de travail, afin de ne pas être privé de ma tranquillité. Ces derniers temps je suis content de mes affaires, mais la marche générale des événe- ments, c’est—al—dire les malheurs du peuple qui s’annoncent, la famine, chaque jour me tour- mentent de plus en plus. C’est’si étrange et même bien et terrible a la fois : Sur notre table, _ sur la nappe éblouissante, des radis roses, du j beurre jaune, du bon pain blanc; dans le _jar— din, la verdure; les jeunes dames, en robes ' de mousseline, sont contentes de la chaleur et de l`ombre. Et la-bas, la famine, celfléau, pour- suit son ccuvre, couvre les champs de mauLETTRES A FET -3-9 vaises herbes, fendille la terre sèche, coupe les talons des paysans, détruit les sabots du hô- tail. C’est vraiment une époque terrible. Et chez vous, comment cela va-t—il‘? Ecrivez exactement et en détail. Botkine est chez vous. Serrez—lui la main de ma parl. Pourquoi n’est-il pas venu chez nous? Je pars un de ees jours à Nikolskoié, encore seul, sans ma fa- mille, c`est pourquoi pour peu rle temps, etje ne passerai pas chez vous. Mais ce serait bien si la fortune vous amenait en même temps chez Borissov. Je vous salue; le salut de ma femme à z Marie Pétrovna. Vers la mi-juin, nous avons l l’intention de partir, avec toute la famille, ai l Nikolskoié. Alors nous nous verrons. J 'irai cer- ' tainement chez vous. Quel méchant sort vous poursuit? Par vos conversations j’ai toujours vu qu’il n`y avait qu’un seul côté de l'eXploitation que vous aimiez et qui vous procurait du plaisir: c’est le haras, et c'est précisément sur lui que s`abat le malheur! Il vous faut de nouveau atteler votre chariot. Et l’idée et l'a1·t sont depuis 5 50 CORRESPONDANCE INÉDITE longtemps délaissés. Moi j`ai déjà rattelé, c`est pourquoi je pars plus calme. « Assez » de Tourgueniev ne mc plaît pas. La personnalité et la subjectivité, c`est bien, mais avec beaucoup de vie et de passion. Tandis que sa subjectivité est pleine de souf- france sans vie. L. Torsroï. 25 juillet 1.566. Cher ami Afanassi Afanassiévitch! Hélas! je ne puis aller chez vous. Je n’ai pas besoin de vous dire combien j’en suis attristé. Et je ne puis venir parce qu’aujou1·d’hui nous sommes le 25 et que je ne sors pas encore de la maison. Le mal d’estomac que j'ai commencé a res- sentir quand vous étiez là, jusqu’à ce jour ne m'a pas quitté et m’empêche de me mouvoir facilement. Comme j’en avais l`intention je I suis allé avec Diakov chez Chatilov, mais au _ lieu de faire tout cela en trois jours j’en ai pris cinq; c'est pourquoi je suis en retard. Si ce n’était de ma santé, ce voyage aurait été LETTRES A FET 51 pour moi très agréable et très instructif`. Je vous raconterai tout cela à notre prochaine rencontre. Mais quand? Je vous propose de venir chez Kirievsky entre le 28 juillet et le 3 août. Nous pourrions nous rencontrer la. Et si vous ne venez pas, c`est moi qui irai chez vous au retour. Chez nous l`avoine est dejà en meules et le seigle est coupé. Si ce lC1H[)S-ltl continue, tout sera rentré la semaine pro- chaine. Au revoir. Sophie, Tania et moi, sa- luons de tout cœur Marie Pétrovna. L. Tonsroï. 7 novembre 1866. Cher ami Afanassi Afanassiévitch! Je 11'ai pas encore répondu îx votre dernière lettre qui date déjà d’un siècle, et _i’en suis d’auta.nt plus coupable que dans cette lettre je mc rap- pelle que vous écriviez des choses très inté- ressanlzes de mon roman 1) el; ajoutiez irrita- I 4. Guerre ct I’q,ix. n 52 CORRESPONDANCE INÉDITE V (zi/As poemrimz gens. Mais ce u'est pas mon cas. Je me souviens que je me suis réjoui, au contraire, de votre opinion sur l'un de mes héros, le prince André, et _i’en ai tire pour mon propre compte beaucoup de choses ins- truclives. Dans toute la premiere partie il est mono- tone et ennuyeux, et n’est rien de plus qu`un _` homme comme il faut. C'est vrai, mais c`est ma faute el non la sienne. Saut l`invention des caractères, leur `mouvement et le choc des caractères entre eux, _i’ai encore le plan histo- rique qui complique extrêmement mon tra- vail, et avec lequel, comme il me semhle,je ne parviens pas à m’arranger. C’est pourquoi, dans la première partie. je ne me suis occupé que du côté historique, et les caractères res- tent stationnaires, ne remuent pas. C`est un délaut que _i'ai compris clairement par votre lettre, et j’espère l`avoir corrigé. Je vous en · prie, cher ami, écrivez-moi tout ce` que vous pensez de mal de moi et de mes écrits. Ce m`est toujours très utile, et, sauf vous, je n’ai per- sonne. . LETTRES A FE'l` 53 Je ne vous ai pas écrit qua.tre mois durant, et je cours le risque que vous pa.ssiez ai Mos- cou sans venir chez moi, et cependant vous êtes la personne que par l`intelligence seule, sans parler de beaucoup d`autres choses, japprécie le plus parmi toutes mes connaissances et dont la communion personnelle me donne ce seul pain dont l'homme sera rassasié. Je vous écris principalement pour vous sup- plier de venir chez nous. C’est absurde de restersi longtemps sans se voir! Ma femme et moi prions ardemment Marie Pélrovna de venir chez nous. Ces _jours—ci je vais partir seul, c’est-à—dire avec ma belle—sœur Tania, ii Moscou, mais pourpeu de temps. Je la ramène chez ses parents, et en même temps je vais m’occuper de la publication de la deuxième partie de mon roman. Que faites--vous? Pas dans le zemstvo, pas dans votre domaine; c’es|, la une activite qui n’a rien de libre, vous et moi faisons tout cela pas plus librement que des fourmis qui creu- sent leur fourmilière, et dans la besogne de cette sorte il n`y a ni bon ni mauvais. Mais [ 0. que faites—vous par votre pensée, par votre propre ressort, qui seul, fut, est, et sera au monde. Est—il vivant, ce ressort? Demande-t—il a se détendre extérieurement? Sous quelle forme se manifeste-t·il‘? C’est le principal.

Adieu, cher ami. Je vous embrasse. Ma femme envoie son salut amical à Marie Pétrovna que nous espérons voir chez nous, ce que nous lui demandons instamment.

27 juin 1867.

Cher ami Afanassi Afanassiévitch,

Si je vous écrivais chaque fois que je pense à vous, vous recevriez de moi deux lettres par jour. Mais on ne peut dire tout; de plus, c’est tantôt la paresse, tantôt, comme maintenant, les occupations.

Ces jours derniers je suis revenu de Moscou et j’ai entrepris une cure très sévère sous la direction de Zîtkâlflhêi, et, principalement, je

L Célèbre médecin, professeur de l’Université de Moscou. LETTRES A FET 55 publie mon roman chez Hiss; je prépare et envoie le manuscrit et les épreuves, etje dois le faire chaque jour, sous peine d’une indemnité pourle retard dans la publication. C’est, comme vous le savez, a la fois agréable et ennuyeux. Au sujet de Fuméw je voulais vous écrire depuis longtemps et naturellement juste la même chose que vous m’écrivez. C’est précisement pourquoi nous nous aimons. Nous pensons de la même façon, avec la raison du cœur, comme vous dites. A propos de Fumée, je pense que la force de la poésie réside dans l`amour, et la direction de cette force dépend du caractère. Sans la force de l'amour, il n’y a pas de poésie. La force faussement dirigée donne le caractere faible et désagréable du poète, cela dégoùte. Dans Fumée il n’y a presque pas d’amour, si bien qu’il n’y a pas de poésie; il n’y a que l’amour de l’adultère, de l`adultère léger, frivole; aussi la poésie de cette nouvelle est-elle dégoûlante. Vous voyez que c`est précisément ce que vous L De Tourgueniev. _ 56 CORRESPONDANCE INEDITE écrivez. J`ai peur seulement d`exprimer cette opinion parce que je ne puis regarder froide- ment l`auteur dont je n’aime pas la personne. Mais il me semble que mon impression est semblable ai celle de tous. Encore un de fini! Je sens et j’espere que mon tour ne viendra jamais. pense la même chose de vous. Je fonde des espoirs sur vous comme sur un poete de vingt ans etje ne crois pas que vous finis- siez jamais. Je ne connais pas d’homme plus frais et plus fort que vous. Votre courant roule toujours en donnant la même quantite d'eau, de force. La 1·oue sur laquelle il tombait se brise, se dérange, on l'enlève, néanmoins le ` courant avance toujours, s’enlonce quelque part sous la terre, d'où iljaillira de nouveau et tera tourner une autre roue. Pour Dieu, de pensez pas que je vous dise tout cela pour m’acquit‘ter d’une dette envers vous qui me dites toujours des choses encourageantes. Non, je le pense, et le pense de vous seul. Je voudrais vous écrire plus longuement, mais des invités viennent d’arriver et m’en empêchent. LETTRES A FET 57 Au revoir, cher ami. Je vous embrasse et baise la main de Marie Pétrovna. Serrez de ma part la main de Borissov, chez qui _j`e<père aller en automne. J`ad1·esse cette lettre à Mtzensk, puisque vous êtes là·bas pour les élections. Je désire tant vous voir que _j’irais chez vous si c`etait possible. Venez chez nous au moins pour un jour. L. ToLs1·oî. 5 mars 1869. Au nom de Dieu, ne changez pas d'idée, cher ami! Du 13 au 14 les chevaux vous atlendront à lassenki, sans quoi, il se peut qu`à. notre grand étonnement nous nous rencontrions dans l`autre monde : « Tiens, vous êtes déja ici, Alanassi Al`anassievi‘|;cl1! » Je suis coupable de ne pas vous avoir écrit, ~mais ne m’en punissez pas, et ne venez pas pour·un jour mais pour deux. Nous avons beaucoup ai causer. I

Nos meilleures amitiés à Marie Pétrovna.

Nous vous attendons avec une grande joie.

Vôtre,
L. Tolstoï.




30 août 1869.

J’ai reçu votre lettre, et je réponds moins à cette lettre qu’à mes pensées sur vous.

Je ne regrette pas moins que vous que nous nous voyions si rarement. J’ai fait le projet d’aller vous voir et le fais encore, mais jusqu’à ce jour le sixième volume n’est pas prêt[19]. Le volume auquel je pensais est terminé depuis un mois ; il est composé depuis longtemps mais n’est pas entièrement prêt.

Savez-vous ce qui s’est produit avec moi cet été ? L’enthousiasme continuel de Schopenhauer et une série de plaisirs spirituels que je n’éprouvai jamais. Je me suis fait venir toutes ses œuvres et les ai lues (j’ai lu I

 LETTRES A FET 59

l ment Kant.)`; je pense qu`il n`y a pas un seul etudiant qui ait appris tant de cl1oses que moi cet ete. Je ne sais pas si je changerai jamais d’opinion, mais pour le moment je suis con- vaincu que Schopenhauer est le plus genial de tous les hommes. Vous me direz qulil est « comme ça », qu`il a écrit; quelque chose sur des questions philo- sophiques. Comment « comme ça? » C’est tout l`univers reflété avec une netteté et une beaute extraordinaires. J’ai commencé de le traduire. Ne voulez-vous pas m’aicler dans cette traduc- tion? Nous pourrions l'éditer ensemble. En le lisant,_je ne puis comprendre que son nom soit encore inconnu. Il n’y a pas une seule explica- tion, même celle qu’il répète si souvent : . qu’excep·te les idiots il y a peu de gens au monde. _ Je vous attends chez moi avec impatience. Parfois j'étoulTe du besoin non satisfait d'avoir I près de moi une nature comme la votre pour exprimer tout ce qui s'est accumulé en moi. Votre, L. Tonsroï. 60 CORRESPONDANCE INÉDITE Après avoir écrit cette lettre, j’ai arrêté déli- nitivement 111on voyage dans la province de Penza, pour visiler une propriété que _j`ai l`in- t·-nlion (l`ilCll8t(31‘ dans ce trou. Je pars demain Bl. et rentrerai ve1·s le lâ. Je vous attends cl1ez moi pour la fête de ma femme, c`es‘t—à.-dire vers le 45, et vous demande de passer avec nous au moins trois jours. . L. 'l`oLs1roî. 2l octobre 1869. A Moscou, d`après ce que m’a dit Borissov, _i’ai lailli vous rencontrer. Et chez vous, une mort suit l’autre. J`ai été très frappé du caractère de la mort de V. P. Botkine'. Si ce qu'on raconte est vrai, i c’est horrible! Comment parmi ses amis ne s`est-il trouvé personne pour donnera ce mo L Ecrivain russe appartenant au cercle de Tolstoï. Fet, etc..., esthète et critique d‘0.rt qui a laissé entre autres les « Lettres d`Esp:igne ¤. ` K LETTRES A FET (JI ment, le plus grave de la vie, le caractère qui lui convient ? Quant ai Borissov, je le plains beaucoup, et je ne puis croire que cet orage ne fasse que passer devant lui. Pour le portrait ‘, j`ai dit et répété carrement nonl Si cela vous est désagréable, je vous en demande pardon. Un sentiment quelconque, plus fort que tout raisonnement, me dit qu`il ne le laut pas. Ma femme vous salue. L’achat du domaine de Penza est delinitivement manqué. .l’ai déli- nitivement remis a l`impression le sixième volume, il paraîtra probablement vers le l" no- vembre. ll a eu et il y a encore beaucoup de beoasses, il m’est arrivé d'en tuer huit le même jour; au_jourd’l1ui j’en ai vu quatre et tué une. C'est pour moi, maintenant, la saison la plus morte : je ne pense pas, je n'écris rien et me sens agréablement stupide. L Fat avait demandé au comte Tolstoï de lui permettre de faire son portrait. 6 62 CORRESPONDANCE INÉDITE Comme premières vacances après mon tra- vail, firai probablement chez vous dans un mois. Je n’y vais pas tout de suite, car je ne viens que de rentrer, et beaucoup à faire, comme agriculture. Si vous allez ai Moscou, il faut absolument que vous ai Marie Petrovna veniez chez nous. Seulement prévenez-nous alin que faille vous chercher à Toula ou E1 lassenki, ou même, si vous n'avez pas de bagages, à la petite station Kozlevka, qui n’est deux verstes de chez nous. Nos saluts a Marie Petrovna. Votre, L. Tocsroï. 4 février 1870. Cher Afanassi Afanassiévitch! Je n’ai reçu votre lettre que le l"" février; mais si même je l’avais reçue plus tôt, je _ n’aura,is pu y aller. . Vous m’écrivez : « Je suis seul, seul! » Et · LETTRES A FET 63 en la lisant je pense : quel homme heureux, il est seul! et chez nous il y a une femme. trois enfants et un quatrieme a la mamclle, deux vieilles tantes, la cuisinière, deux femmes de chambre. Et tout ce monde va mal 2 la fièvre, la faiblesse, des maux de tête, la toux. (Test dans cette situation que m’a trouvé votre lettre. Maintenant on commence a aller mieux. Mais sur dix que nous sommes, je dîne encore seul avec une vieille tante, et voici deux jours que moi-même souffre de la poitrine et du côté. Aussitôt rétabli j’irai chez vous. Je reve a vous raconter beaucoup, beaucoup de choses. J’ai lu beaucoup Shakspeare, Gœthe, Pouchkine, Gogol, Molière, et de tout cela _j`ai beaucoup à vous dire. Cette annee je ne reçois aucun journal ni revue, et je trouve que c’esl très utile. Ecrivez-moi, je vous prie, de temps en îemps, pour que je sache si l’on peut vous trou:ver chez vous. Vôtre, ‘ L. Tonsroï. 64 CORRESPONDANCE INÉDITE 17 fevrier ISÉU. Je ne vous ai pas répondu aussitôt, parce que _i`esperais arriver chez vous dans la nuit du lt, mais je n’ai pas pu. Comme je vous lai écrit, nous tous avons été malades et moi le dernier; je suis sorti hier pour la première fois, c'est le mal d'yeux qui m'a arrêté, mal qukiggravaient le vent et linsomnie. Ainsi malgré moi et avec une grande tristesse _i’a_journe mon voyage chez vous au carême. Je suis oblige de partir pour Moscou, oùje dois conduire ma tante chez ma sœur et aller faire examiner mes yeux ai un oculiste. Ecrivez-moi plus souvent, que je sache si vous etes chez vous et ce que vous comptez faire afin que, si mes yeux vont mieux,je puisse ' cependant arriver chez vous. Je le désire tant! Le malheur, c'est que pour aller chez vous il faut absolument passer une nuit en chemin de fer, une nuit sans sommeil. au milieu de l'0deur du tabac, de la chaleur, des courants d'air, des conversations vulgaires et stupides. I l.E'l`TRES A FET G5 Vous voulez me lire une nouvelle sur les mœurs de la cavalerie. Je pense que c`est bien si c`est écrit simplement, sans invention de situations et de caracteres. Moi je ne veux rien vous lire, car je necris rien, mais je désire vivement causer avec vous de Shak- speare, Gœthe et, en général, du drame. Tout cet hiver je me suis occupé presque exclusi- vement du drame, et com me il arrive toujours aux hommes qui, jusqu’à Page de quarante ans, n`ont pas réfléchi à un certain sujet, n`ont de lui aucune idée, tout d'un coup, avec la clarté de leurs quarante ans, ils font attention ce _ sujet négligé, et i·l leur paraît toujours qu’ils y voient beaucoup de choses nouvelles. Tout cet hiver, je n’ai fait que dormir, jouer au bésigue, monter sur des échasses, patiner, courir, mais j’ai surtout gardé le lit (malade), et quand je suis là les personnages du drame ou de la comédie commencent à agir. Et ils le font très bien. C’est de quoi je veux vous parler. En cela comme en tout vous êtes un classique et vous comprenez très profondément le sens des 6. choses. Je voudrais aussi lire Sophocle et Euripide.

Au revoir. Notre salut à Marie Petrovna.

Si ma lettre est très barbare, cela vient de ce que je l’écris à jeun.

L. Tolstoï.

21 février 1880.

En partant de chez: vous j.’ai oublie de vous dire encore une fois- que votre récit est très beau comme sujet et qu’il serait dommage de l’aband0m1er ou de le donner l’im.primerie xL’imp0rte comment. Il vaut qu`on s’en occupe car le sujet est sérieux et poétique; et si vous pouvez écrire des scènes pareilles à celle de la vieille femme aux coudes serrés et de la jeune fille, vous pouvez faire tout le reste aussi bien.

Vous devez rejeter tout ce qui est superflu et, comme dit Annenkov[20], faire de tout cela une perle. Hassemblez t’on dans le tamis. LETTRES A FET G7 Asseyez-vous devant la table, recopiez tout votre recit depuis le commencement en faisant la critique sévère de vous—mème et, alors, d0m1ez—le-moi à lire. Votre, L. T01,sroï. il mai 1870. Cher ami Afanassi Afanassiévitch, J’ai reçu votre lettre comme je rentrais tout en sueur du travail, la hache et la pelle à la main, c’est-à-dire à mille lieues de tout l’arti— üciel et surtout de notre œuvre. Après avoir ouvert la lettre, la première chose que je fis fuit de lire. lc petit poème, et le nez a com- mencé a me chatouiller. Je suis venu trouver ma femme pour le lui lire, mais des larmes dalteudrissement m’en ont empêché. Cfest un de ces rares poemes où l’0n ne peut ni ajouter, ni uetrancher, ni changer un seul mot. Il est vivant et charmant. Il est si beau quil me semble ne pas être un poème de hasard mais 68 COllRESPON|)ANCE INÉDITE le premier flot d`un courant depuis longtemps endigué. Ce m’est triste à penser, après l'im- pression qu`a faite sur moi ce poème, qu`il sera imprime sur le papier, dans une revue quel- conque, et que des gens le jugeront et diront : Tout de même, ce Fet est assez bon : «< Toi, ma tendre.,. » Mais tout est charmant. Vous n`avez fait rien de mieux. Par le même courrier j’écris a Nikolskoié pour qu’on envoie chercher la jument; je m'en réjouis et vous 1·emercie ainsi que Pierre Ala- nassiévitchh Cependant écrivez—moi pour le prix. Je viens de siéger comme membre du jury pendant une semaine; ce fut très interes- sant pour moi et très instructif. Le 45 mai je pars à Kharkov, et après je m’arrangerai de façon à venir vous voir. Ne me laissez pas sans nouvelles. Transmettez, je vous prie, mon salut à Marie Pétrovna. Je vous souhaite la visite de la·muse! Vous me demandez ce que je pense du poème ! Mais L Frère de Fet. LETTRES A FET 69 moi je sais le honheur qu’il vous a donné par la conscience qu'il est beau, que c`est vous qui l`avez écrit, qu’il est vous. Au revoir. Vôtre, L. ToLs1·oï. I

2 octobre 1870. Vous êtes exact, mais toujours vous vous embrouillez. Vous m’écrivez : le 13 scplcm/1re, je serai at lassenki, et` votre lettre est datée du 21. f Mais cela ne fait rien. Au nom de Dieu, É ne changez pas d`avis. Le 13 octobre , je vous attendrai tt Iassenki. Nous ne nous sommes pas vus depuis longtemps, et il me sera particu- lièrement agréable de vous voir maintenant, en hiver. Chen nous un malheur : une jument est tombée malade. Nos saluls à Marie Pétrovna. Au revoir. L. 'l`oLs·roï. 70 CORRESPONDANCE INÉDl'|`l·I 26 novembre IS7!). A l`instant je reçois votre lettre, triste en- core, mais pour nous plus joyeuse. Nous avons appris par Kouzminski la maiadie de Marie Pétrovna et tous deux, ma femme et moi, sans cesse disions :Al1! et étions pleins d'inquié- tude pour vous. Après votre lettre, j’avais décidé dc partir immédiatement chez vous, et je serais déja en route pour la gare si ce n'était d`Ou1·oussov que _i’ai invité ai passer chez nous pour partir ai Optina—Pous13ine‘, et qui doit arriver demain. S'il ne vient pas, ou, dès notre retour, s’il vient, j’irai absolument chez vous. Je vous remercie de m’avoir ecrit ainsi. Fai compris tout ce que vous m'avcz écrit, et j’ai même lu entre les lignes. Je vous connais, ainsi que Maria Pétrovna, c’est pourquoi je comprends ce que peut-être pour vous la _ menace d’une séparation avec elle. 1. Célèbre couvent. I I LET'l`liES A FIST T1 Je m`étonne que vous vous soyez décidés de partir à Moscou et me réjouis que cela vous , ait réussi. Ecrivez-moi, je vous en prie, com- i_ ment vu sa santé. D°apres votre lettre, Oll ne

 voit pas encore si le danger est tout Et fait
 écarté.

i A cette terrible nouvelle que nous a commu- niquée Kouzminski, ma Femme et n1oi aVons été surpris en constatant par là combien nous vous aimons tous deux. Que Dieu Vous aide! Vôtre, L. Tonsroï. Décembre 1870. J’ai reçu votre lettre il y a une semaine, et je n’y ai pas répondu parce que du matin au s0irj’étudie le grec. Je I]`é(JI'lS rien; je ne fais qu’étudi«~r. A en juger par les renseignements qui me sont venus de Borissov, votre peau que vous proposez comme parchemin pour mon diplôme I de grec se trouve en danger. ·C`est incroyable ' F 72 CORRESPONDANCE INÉDITE et ne ressemble à rien! Cependant j'ai étudié Xénophon et le lis maintenant à livre ouvert. Pour Homère, il me faut le dictionnaire et un peu <l`attention. .l`attend.s avec impatience l'oc— casion de montrer it quelqu`un ce tour de force. Mais combien je suis heureux que Dieu m’ait infligé cette folie : l° parce qu’elle me donne un grand plaisir, et 2° parce que je me suis convaincu que de tout ce qui, dans le verbe humain, est vraiment beau, d’une beauté simple, jusqu’à présent je ne savais rien, comme tout le monde; 3" parce que je n'écris pas et n'écrirai jamais de sottises. ' Excusez-moi, je vous jure que je ne le ferai plus! ` Au nom de Dieu, expliquez—moi pourquoi personne ne connaît les fables d'Esope, ni même le délicieux Xénophon, et ne parle pas de Platon et d'lrIomère, que je dois encore étudier. Comme j`en puis déjà juger, Homère est déformé dans nos ·mauv11ises traductions, imi- tées de Pallemand. Voulez—v0us une compaLETTRES A FET 73 raison, vulgaire peut—être, mais qui s’impose : l`eau bouillie et distillée, et l`eau de source qui brise les rochers, qui court, même chariant du sable, mais qui en devient plus pure et plus fraîche.Tous ces Voss et Joukhovski‘ chantent d’une voix quelconque, gutlurale, geignardc. doucereuse. L’autre diable chante ài pleine voix, sans que jamais lui vienne en tele que quelqu’un peut Yécouter. Vous pouvez triompher, sans la connais- sance du grec, il n'y 11 pas d’instruction. Mais quelle connaisance ! Comment Facquérir`? Pour- quoi est-elle nécessaire? Pour toutes ces ques- tions, j’ai des reponses claires comme le jour. Vous H’éC1`lV6Z rien de Marie Pétrovna, d’ou nous concluons avec joie que sa guérison pro- gresse. Tous les miens sont bien portants et vous saluent. ' L. 'l`oLsToî. L Traducteurs allemand et russe d’II0mère. 1 74 CORRESPONDANCE lNÉDl'l`E 10 juin l87l. I Cher ami, _ Je ne vous ai pas ecrit depuis longtemps et ne suis pas venu chez vous parce que _j`étais et suis malade. Je ne sais moi—même de quoi, mais cela ressemble à quelque chose de mau- vais, ou bon, selon qu’on envisage la lin. Les forces s`en vont, et on a besoin de vivre; on ne désire rien, sauf le calme qu’on n’a pas. Ma femme m`envoie au koumiss, à Samara ou à Saratof, pour deux mois. Je pars aujourd’hui à Moscou et là je décidcrai délinitivement où partir. Je suis heureux que vous ayez un enfant. Je vous écrirai aussitôt arrivé au koumiss. Vôtre, L. ToLs·roï. 18 juin 1871. Je vous remercie _p0ur votre lettre, cher ` ami. Il me semble que ma femme a eu une fausse peur en m'e¤v0yant au koumiss et LETTRES A FET 75 tachant de me convaincre que _i'étais malade. Quoi qu’il en soit, apres quatre semaines ici, il me semble que je suis tout at fait rétabli, et, ce qui est un heureux symptôme, pendant la cure au koumiss, je suis en sueur du matin au soir et y éprouve du plaisir. Il fait tres bon ici et, si ce n’était l’éloignement de la famille, je serais parfaitement heureux. Si je commençais ai décrire le pays et mes occupations, je 1·em— plirais cent feuilles. Je lis Hérodote, qui, avec beaucoup de détails et d’exactitude, décrit ces mêmes sites ou je vis. J’ai commence cette lettre hier et _j’ai écrit que j’étais bien portant. Au_jourd’hui, de nou- veau, je ressens une douleur au côté. Je ne sais pas moi-même jusqu’a quel point je suis malade, mais c’est déjà mal d’être obligé de penser à mon côté et ai ma poitrine et dé ne pouvoir n’y pas penser. Depuis trois jours il fait terriblement chaud. Dans la 1·oulotte il fait· chaud comme dans une · étuve, mais cela m’est agréable. Le pays est beau par son âge; il commence 76 CORRESPONDANCE INÉDITE juste ai sortir de la virginité, par la richesse, la santé et surtout la simplicité et la pureté des mœurs du peuple. Comme partout,je cherche s’il n`y aurait pas lien d’acheter une terre ici. C’est pour moi une occupation et le meilleur prétexte pour connaîlre la vraie situation du pays. Il reste encore dix jours pour atteindre la fin des six semaines, alors je vous écrirai et nous nous arrangerons pour nous voir. Que Dieu nous aide dans votre travail. Vous avez plusieurs fardeaux, mais le plus pesant · et le plus intéressant de tous, c`est Pétia. Em- brassez-le pour moi. Nos amitiés a Marie Pétrovna. ` L. Torsroï. . 20 février 1872. J'ai été triste en apprenant que vous étiez _ venu à Moscou, et encore plus triste quand, ces jours derniers, y revenant pour la deuxième LETTRES A FE'l` 77 fois, j’ai appris que, la veille, vous veniez de partir. Pourquoi ne pas m’avoir écrit un mot de votre situation? Je puis rester des années sans écrire à mes amis, mais quand l’un d’eux se trouve dans le malheur, ce m`est honteux et pénible de l’ignorer. Ecrivez—moi comment vous allez maintenant. Ne travaillez pas trop à votre justice de paix. Vous me le conseillez depuis longtemps ct je crois que vous avez encore plus besoin de repos que moi. Voilà neuf ans que je ne vous connais pas un jour de calme et de tranquillité. A A Moscou, j’ai voulu aller prendre de vos nouvelles chez Botkine, mais je suis tombé malade au lit, à peine si j’ai pu revenir à la maison. Maintenant, cela va mieux. Chez nous, tout va bien, et vous ne reconnaîtrez pas la maison. Voilà tout un hiver que nous protitons des nouvelles constructions. Une au,tre nouvelle : J’ai de nouveau ouvert une école, et, ma femme et mes enfants, tous y collaborent, et tous sont contents. Tai terminé mon syllabaire; il est à l’impri- 7. 78 CORRESPONDANCE INÉDITE merie et je commence à écrire une œuvre tres l intéressante' dontje ne parlerai pas, non seu- lement dans une lettre, mais même de vive voix, bien que vous soyez celui ai qui l`on peut tout raconter. En écrivant cette lettre, je me rappelle de- puis combien de temps nous ne nous sommes vus. Écrivez-moi, je vous prie, avec beaucoup de détails. Ma femme et moi envoyons un souvenir affec- tueux a Marie Pétrovna. Comment va—t—elle? ` Au revoir. Votre ami sincère, A L. Tonsroî. 16 mars 1872. Votre lettre nous a fait grand plaisir à tous. Que je voudrais vous voir! Et je ne puis- partir ;. je suis toujours malade. Au nom de Dieu, ne passez pas devant nous quand vous irez à Moscou. Mon syllabaire ne me laisse pas de 1. »Lc bonheur conjugal.

 l LETTRES A FET 79

loisirs pour d'autr0s occupations. L`impres- sion marche à pas de tortue, et le diable sait quand ce sera terminé. Et puis, j`ajoute encore, j’eflace, je change. Qu'cn restera-t—il? Je ne sais, mais j’y ai mis toute mou âme. Vôtre, L. Tonsroï. 15 octobre 1872. Je vous 1·emercie beaucoup pour Feodor Feodorovitch. ll est venu chez moi et m’a promis de s’installer définitivement à dater du 46. Il me plaît beaucoup et il est tombé à pic. Le mauvais temps est ve11u, et l’esprit de travail et de calme s'approche; je m’en réjouis. Quelques désirs, des soucis du ménage, puis la vie de famille, et c’est tout. J'y songe avec joie, c’est pourquoi je me figure être heureux. Ces jours derniers, je suis allé à Moscou et suis passé au lycée, ou j’ai vu Pétia. Il m’a paru très gentil et bien à plaindre, car il n’a où passer ses dimanches. Je l'ai interrogé en 80 CORRESPONDANCE INÉDITE grec : il sait très bien; en mathématique, bien aussi. Je tache d’écrire, mais je ne puis dire que j’aie commencé. On me promet que le syllahaire paraîtra le 40 novembre. Vôtre, L. Tonsroï. · H mars 1873. Ne soyez pas fâché contre moi a cause du laconisme de mes lettres. J’ai tant à vous dire que je parle juste des choses pratiques. Le fait que Pétia compte les lettres avec vous ne m’attriste pas; ce qui m’aftlige, c’cst de voir que vous prenez ces choses trop ai cœur et leur dormez une importance qu’elles n`ont pas. Il est à l’âge ou les garcons incendient les mai- sons, et s’ils ne font pas cela, alors ils laissent pousser leurs ongles, portent les cols les plus fantaisistes, prononcent de grandes phrases et pensent qu’après cela ils seront meilleurs, ce qui est encore plus stupide que les incendies. | . I I LETTRES A FET 81 Comme je regrette, bien que sachant jouir de la lecture de vos lettres, de ne savoir moi- même écrire. Vous etes pour moi comme l’acide pour la soude : aussitôt que je vous touche, je commence a pétiller, tant jai à vous dire. Mon travail n’avance pas, mais je n’en suis pas attristé. Grâce à Dieu, il y a de quoi vivre, bien entendu pas au sens ar- gent. Notre salut amical à Marie Pétrovna. Vôtre, L. Tonsroï. Il mai 1873. Votre poème est beau. Ce sentiment qu’on n’ajamais traduit _iusqu’a présent: le sentiment de la douleur causée par la beauté, est exprimé par vous d’une manière admirable. Chez vous, le printemps éveille l’inspiration poétique et chez moi le goût de la poésie. Je suis allé a Moscou, où j'ai acheté quarante-trois objets divers pour ·quatre cent cinquante roubles. Après cela, il est impossible de ne point partir 82 CORRESPONDANCE INEDITE à Samara. Comment se porte votre oiseau dans son nouveau nid? Ne nous oubliez pas. Nous ne partirons pas avant le 20, et après mon adresse : Samara. 25 août 1873. Le 22, nous sommes arrivés en bonne santé de Samara, et brûlons du désir de vous voir. Merci de ne pas nous oublier. A vrai dire, je 11’ai guère le temps de vous écrire, mais j’ai si peur que vous 'ne passiez devant nous que je vous écris au moins deux mots. Malgré la sécheresse, les ennuis, les incommodités, nous tous, ma femme et moi, soinmes contents du voyage, et encore plus contents du vieux cadre x de la vie, et nous nous remettons à nos be- Sognes respectives. Notre salut à Marie Pétrovna et ai Olenka. Vôtre, L. Torsroï. LETTRES A FET 83 25 septembre 1873. Je suis si gâté par vous, cher Afanassi Afa- nassiévitch, que, n'ayant pas eu de vos nou- velles depuis longtemps, non seulement il me manque quelque- chose, mais je suis inquiet, ainsi que ma femme, de savoir si tout va bien chez vous. Comme vous m’aviez écrit ai Samara que vous viendriez chez nous si vous me saviez à la campagne, aussitôt arrive je vous ai répondu, mais il y a un mois de cela et rien. Je vous en prie, écrivez-moi ce qui s’est passé chez vous. Ma femme et moi ne sommes pas simplement des connaissances pour vous, mais nous vous aimons. Écrivez ce que font vos enfants, vos affaires, vos projets. Chez nous, rien de changé; de nouveau, nous .voilà solidement fixés pour onze ans (il y a au— jourd’hui onze ans que nous sommes mariés). Je commence a écrire ou plutôt je termine un roman commencé * Les enfants travaillent; L Annal(a1·énînc. _ . U 84 CORRESPONDANCE INEDITE ma femme s`occupe de la maison, instruit les enfants. Depuis une sen1ai11e,le peintre Kramskoi est chez nous. Il tait un portrait pour la galerie de 'l`rétiakov*, et moi je ba— varde avec lui et tâche de le convertir de la religion petersbourgeoise à la vraie. J'ai con- senti à poser, parce que Kramskoi est arrive en personne et a consenti à faire un second portrait, pour nous, à très bon marché, et que ma femme m'en a prié. Vôtre de tout cœur, L. Torsroï. 18 novembre 1873. Chez nous, un malheur : notre petit Pétia, tombé malade du croup, est mort en deux jours. C'est la première mort dans notre fa- mille depuis onze ans, et, pour ma femme, c’est très douloureux. Pour se consoler, on ' peut se dire que si un de nous huit devait mourir, cette mort est pour tous la plus facile L Célèbre galerie des peintres russes, appartenant main- tenant à lu ville de Moscou. LEXTRES A FET 85 à supporter. Mais le cœur, surtout le cœur d’uno mère, — cette admirable manifestation supérieure de la divinité sur terre, —— ne rai- sonne pas, et ma femme est complètement atterrée. Je vous remercie de ne tpas m’oublier par vos lettres. Ce serait bien de ne pas nous oublier aussi en allant à, Moscou. Je me suis réjoui du succès de vos travaux avec Olenka; je m'y attendais. Pour moi, l’une de mes occupations les meilleures et les plus agréables, ce sont les leçons de mathématiques et de grec a n1es enfants. Notre cordial salut à Marie Pétrovna. Vôtre, J L. Torsroï. 15 janvier 1874. Cher Afanassi Afanassievitch, J’ai été fort étonné en recevant votre lettre, bien que j°aie depuis longtemps entendu parler, par Borissov, de cette affaire embrouilléc, ct je 8 86 CORRESPONDANCE INÉDITE me réjouis de votre courage à la débrouiller coûte que coûte. J’ai toujours remarqué que cela vous tourmentait, et bien que ne pouvant comprendre qu`il y eût ici à se tourmenter, je sentais que cela devait avoir une grande in- fluence sur toute votre vie. La seule chose que nous ignorons, c`est de savoir si cette intluence sera bonne ou mauvaise, puisque nous ne sa- vons pas ce qui serait dans l`autre cas. Pour moi, l’inllueuce est sûrement bonne, parce que l’autre Chinchine, je ne le connais pas, mais je connais Fel-Chinchine, que je connais et aime. Je me hâte de vous écrire, parce que je pars |;out de suite à Moscou, et ne veux pas laisser votre lettre sans réponse. Je suis très heureux que vous n’ayez rien donné dans cet ignoble recueil littéraire. Non seulement c’est stupide, mais effronté et vilain. Je suis enchanté que vous et moi n`y ligurions pas. Ma femme vous remercie pour votre bon souvenir. Vôtre de toute mon âme, L. ToLs·1·0î. LETTRES A F ET S7 Mars 48H. Chez nous, un malheur après l’autre. Vous et Marie Pétrovna nous plaindrez certainemozit et plaindrez surtout Sophie. Notre fils cadet, un enfant de dix mois, est tombé malade il y a trois semaines, de cette terrible maladie qu’on appelle hydrocéphalie, et, après trois semaines d’atr0ces souffrances, il est mort avant—hier. On l’a enterré auj0urd’hui. (Test pour moi très pénible, à cause de ma femme, mais pour elle qui a allaité cet enfant, c`est atfreux. Vos éloges d`Anna Karenine me sont très agréables, et d'après ce q_ue j’ai entendu dire, partout on en dit du bien. Mais je suis sûrqu`il n’y eutjamais auteur aussi indifférent que moi au succès. D'un côté, les affaires de l’école; de l`autrc, une chose étrange, le sujet d’une nouvelle œuvre qui m`a accaparé juste au moment le plus pénible de la maladie de l’enfant, et cette maladie elle—meme, et la mort. Votre poème mc paraît l’embryon de quelque, 88 CORRESPONDANCE INÉDITE chose de beau. Comme pensee poétique, il m'est tout à fait clair; mais comme œuvre de la parole, il m’est tout à fait vague. J’ai reçu de Tourgueniev la traduction, pu- bliée dans le temps, des Deux lmssards, et une lettre écrite à la troisieme personne, qui me demande de faire savoir si je l`ai reçue, el; m’informe que M"‘° Viardot et Tourgueniev traduisent d’au‘tres de mes nouvelles, ce qui pour moi est parfaitement inutile. Je remercie beaucoup Pierre Afanassievitch pour la généalogie des chevaux. Je crains seule- ment que le jeune trotteur ne soit trop lourd : le vieux me plairait mieux. 'Nous serions très heureux, ma femme et _ moi, si vous et Marie Pétrovna veniez nous voir, ne fût-ce que pour un jour. C Vôtre, U L. 'l`o1,s·ro1. LETTRES A FE'l` 89 24 juin QS74. Cher Afanassi Afanassiévitch, Depuis que vous êtes parti, chaque jour j'ai voulu vous écrire et aller à votre rencontre at Kozlovka, mais je n’ai pu y parvenir, et tout cela à cause de ce maudit G... Il me semble que durant votre dernière visite, je ne vous ai pas vu. Ma femme m’a répété plusieurs fois la même chose. Je crains même que ce maudit poète populaire ne soit cause d°un léger froid entre nous. Que Dieu nous en préserve! Vous ne pouvez imaginer combien j'apprécie votre amitié. Envoyez—moi, je vous prie, un petit mot, dites-moi que tout cela est insignifiant, que c’est passé, ou que ce n’eSt qu`une idée que je me suis faite, et mettez a exécution votre promesse de venir chez nous avec Pétia. Avant-hier, nous avons enterré notre tante Tatiana Alexandrovna, Elle s’est éteinte dou- cement, et je m’étais babitué peu à peu a l’idée de sa disparition, mais sa mort, comme la perte 8. 90 CORRESPONDANCE INÉDITE de toute personne proche et chere, nous paraît un événement étrange, unique, extraordinaire. Tous les autres sont bien portants, et notre maison est toujours pleine. Le temps est très beau, les fruits m’ont amené dans mon état favori d'oisiveté intellectuelle, et il ne reste de vie spirituelle que juste pour se rappeler ses amis et penser à eux. Aussi maintenant, je vou- V drais causer avec vous tout à fait librement et franchement, ce qu’on ne peut faire qu’avec de très rares personnes. Notre salut à Marie Pétrovna. Vôtre, L. Tonsroi. "° ...T. 22 octobre 1874. Cher Afanassi Afanassievitch, Il me faut 'absolument acheter des terres à Nikolskoié. Pour cet achat, je dois emprunter sur hypothèque de ces terres dix mille roubles, pour une année. Peubètre auriez-vous de l’ar- genta placer? Si oui, écrivez à Ivan Ivanovitch LETTRES A FET 9l Orlov à Tchern, village de Nikolskoié; il se rendra chez vous pour régler les détails, et c`est _ lui qui s’0ocupera de cette aflairo, tout à fait indépendante de nos relations. i Je n’ai pu encore répondre à votre derniere lettre, bien que je vous en sois très reconnais- sant. Avec quel plaisir je viendrais chez vous, mais je suis si pris par l’école, la famille, la terre, queje ne vais même pas à lacliasse. J`espère être pluslibre cet hiver. Notre salut à Marie Pétrovna. 28 décembre 1874. Nous venions de dire, ma femme et moi, ·combien nous nous ennuyions sans vous et sans nouvelles de vous, et juste nous avons reçu— votre lettre, avec la promesse de venir chez nous en compagnie de Pierre Al`anas· sievitch, ce qui est encore mieux. Aussitôt votre lettre reçue, ma femme vous a répondu à Moscou, chez Borissov, et j’y ai ajouté 92 CORRESPONDANCE INÉDITE une petite lettre pour Pierre Afanassievitch, que j'avais ecrite avant de recevoir la vôtre. En général, de toutes façons nous ne sommes pas coupables, et principalement nous ne pou- vons être accusés de ne pas vous aimer et de ne pas apprécier votre affection. Depuis le commencement de l`hiver, nous avons eu toute une série de malheurs, mais maintenant, Dieu merci, la vie normale reprend son cours. C'est pourquoi nous serions d'aulant plus contents de vous voir, ainsi que Pierre Afanassievitch. Faites-nous savoir quand il faudra vous envoyer des chevaux a la gare. Au revoir. Vôtre, L. ToLs·ro1. 12 janvier 1875. Cher Afanassi Afanassiévitcll, J e vous remercie de vos bonnes paroles pour nous; les louanges font toujours plaisir. · Chez nous, Dieu merci, la gaîte est revenue, t.E'r'mEs A Fm 93 c`est-à-dire que j`ai cessé de craindre pour la sante de ma femme qui commençait ai m`in- quiéter sérieusement. Pour les juments, je remercie vivement les deux freres, surtout Pierre Afanassiévitch. Quand faut—il vous envoyer l’argent? Uù en est votre projet de l’instruction du peuple? Comme je serais heureux s`il se réalisait et si je pouvais être utile à Pierre Afanassievilch. Je suis allé à Moscou,.et le soir, pendant que j’étais chei Katkov on est venu le prevenir que son frère s’était enfui de la maison de santé, qu'il s’était rendu au lycée, et là, de nouveau, avait tiré, sans heureusement tuer personne. Vôtre L. Torsroï. _ l2 mars lS“lî3. · ll me semble vous avoir écrit, par inadver- tance, une effrayante bêtise. Vous me dites que vous voulez venir chez nous, et moi, pensant qu’il s’agit de vous et de Marie Pétrovna, je vous écris que nous en serons très heureux. 94 CORRESPONDANCE INÉDITE C’est parfaitement exact, mais quand _j’ai raconté cela a ma femme, elle m’a dit : « Nous _ signifie qu’il viendra avec son frere. » S’il en est ainsi, dites à Pierre Afanassiévitch qu’outre mon désir de me lier davantage avec lui, j'ai particulierement besoin de le voir pour diffé- rentes choses ;` j’ai à lui donner quelques conseils et a lui demander une consultation. Répondez-moi, je vous prie, au plus vite, et indiquez-moi, a la fin de la lettre, quand il faudra aller vous chercl1er ai Koslovka. Vôtre L. Tonsroî. 26 août t8`I5. Cher Afanassî Afanassiévitch, Voilà trois jours que nous sommes arrivés abon port; je suis déjà remis du voyage et je m’empresse vous écrire pour vous remercier de vos deux lettres, qui plus que jamais nous furent précieuses dans notre trou. J’espère que votre santé est meilleure, on voit cela par vos lettres; vous avez, je pense, exagéré. `

LETTRES A FET 95

Laissez—moi le temps de me remettre et je songerai au moyen de nrfarranger pour aller chez vous. Mais vous, suivant votre vieille et bonne habitude, quelques etlorts qu`i.l vous en coûte, n’allez pas à Moscou sans passer chez nous. La récolte, chez nous, est moyenne, mais le salaire des ouvriers énorme, si bien qu`en deu- nitive on a peine a y trouver son compte. Pendant deux mois, je n'ai pas sali mes doigts avec l'encre ni mon esprit avec les pen- sées, mais maintenant je m'attelle de nouveau a l’ennuyeuse et vulgaire Anna Karénine avec le seul désir de m’en débarrasser au plus vite, atin de me laisser des loisirs pour <l’autres occupations, pas pour les occupations pédago- giques que j`aime mais veux abandonner: elles prennent |.rop de temps. Je voudrais vous dire beaucoup beaucoup de choses, mais je ne sais pas écrire. Il faut vivre comme nous avons vécu dans un trou perdu de Samara, il faut voir cette lutte, qui se passe sous nos yeux, les mœurs des nomades (il y en a des millions sur un immense espace), avec Pagriculture p1·imitive, 96 COIXIÉESPONDANCE INÉDITE il faut sentir toute l`importance de cette lutte . pour se convaincre que s`il existe des destruc- teurs de l`ordre social, en tout cas il n’y en a pas plus d’un ou trois, qui courent très vite et crient tres haut, que c’est une sorte de para- sitisme sur un chene vivant, que le chêne n`a rien a voir avec eux, que ce n’est pas une fumée mais une ombre de fumée. Pourquoi le sort m’a—t—il jeté la-bas Samara)? Je l’ignore, mais je sais que j’ai entendu des discours dans le Parlement anglais (ce qu’on regarde comme quelque chose de bien important), et que cela m’a ennuyé et m’a paru très mesquin, mais que là—bas il y a des mouches, la saleté, les paysans bacl1kirs, et moi, regardant tout cela avec respect et crainte, _i'écoutc, j’observe et sens que cela est très important,. Notre salut amical a Marie Pétrovna. Vôtre ' L. TOLSTOï. LETTRES A l·`ET 9T l" mars 1876. ( Cher Atanassi Afanassiévilch, I Il me semble que je suis votre débiteur en correspondances, mais néanmoins je desire vos lettres, et principalement avoir de vos nou- velles. Etes-vous toujours vivant et bien por- tant? Chez nous, tout ne va pas très bien. Ma femme ne se remet pas depuis sa dernière maladie; elle tousse, maigrit, et tantôt la lièvre, tantôt la migraine. C'est pourquoi la béatitude ne règne pas dans la maison, ni chez moi le calme moral qui m'est particulierement néces- saire maintenant pour le travail. La fin de l’hiver et le commencement du printemps sont pour moi les moments les plus aflairés et il me faut achever le roman qui m’ennuie *. Donnez-moi, je vous prie, de vos nouvelles et de celles de votre, Frère, Pierre Alanassievitcli, qui m’intéresse beaucoup. Notre salut a Marie Pétrovna et à Olenka. L Anna Karénine. I

 ff ju ;  9

'eizpiizaé ‘* J'espère toujours qu’il se détraquera quelque chose soit dans votre mâchoire, soit dans une machine à battre pour vous obliger à venir a Moscou, et moi j’irai tendre une toile d’araignée à Kovlovka et vous y attraperai.

Votre

L. Tolstoï.

29 avril 1876.

Cher Afanassi Afanassiévitch,

J'ai reçu votre lettre, et de cette courte lettre ainsi que des conversations de Marie Pétrovna que m’a rapportées ma femme, et d’une de vos dernières lettres où j'ai relevé la phrase : « J'ai voulu vous mandcr pour voir comment je m’en irai », écrite entre des considérations sur la nourriture des chevaux, phrase que je n’ai comprise que maintenant, je me suis transporté dans votre situation pour moi très compréhensible et proche et j'ai ressenti de la pitié pour vous. Or selon Schopenhauer et selon notre conscience, la commisération et l’amour LETTRES A FET 99‘ ce n’est qu’une seule et même chose. et j`ai voulu vous écrire. Je vous suis reconnaissant d'avoir pensé m’appeler pour vous voir partir quand vous croirez l’heure venue Moi aussi, je le ferai quand je m`apprêterai a m'en aller ld-bas, si toutefois _i`ai la force de penser. Au moment de la mort, l'union avec les hommes qui en ce bas monde regardent au delà, est très pré- cieuse; et vous et ces rares hommes sincères que j’ai rencontrés, malgré leur opinion très saine sur la vie, sont toujours au bord même et voient clairement la vie, précisément parce qu’ils regardent tantôt le Nirvana, tantôt l’intini, tantôt l'inconnu; et ce regard sur le Nirvana fortitie la vie. Tandis que les hommes ordi· naires ont beau parler de Dieu, ils nous sont désagréables et- doivent être insupportables au moment de la mort, parce qu'ils ne voient pas ce que nous voydns: c’cst—à—dire ce Dieu plus indéfini, plus lointain, mais plus haut et plus indiscutable, comme vous le dites dans \ votre article. Vous ètes malade et pensez à la mort; moir 400 CORRESPONDANCE lNÉ|)l'l`E je suis bien portant et ne cesse de penser à la i même chose et de m’y préparer. Nous verrous qui de nous s'en ira le premier. Pour nioi, tout d`un coup, par divers indices inipercep- Iibles, notre ame-nature m’est devenue parti- culièrement proche et claire (surtout au point de vue de la mori), si bien que tout d`un coup, _i`ai compris entièrement nos relations et dès lors les apprécie beaucoup plus quauparavant. J’ai tâche d'exprimer ces pensées dans le der- nier chapitre de l’articIe publié dans le numéro d`avril du Messager russe. Je vous en prie, écrivez à Pétia et En Borissov qu’ils viennent sans faute chez moi, au moins pour troisjours. Je sais que cela vous tient au cœur, et moi, sans hâte, sans aucune idée pré- conçue ni desir de contredire, je Finterrogerai _ et vous communiquerai mon impression. Je n’aurai qu’une seule idée préconçuez le plus vif désir de l’aimer pour vous. Vôtre · L. '.l`oLs·roî. LETTRES A FET 'l0l I2 mai l8'I(3. Voilà déjà cinq jours que j’ai reçu le cheval, et chaque jour j’ai l’intention de vous écrire, mais n’en ai pas le temps. Chez nous, commence la vie de printemps et d’été. La maison est pleine d’amis et de vacarme. Cette vie d`été est pour moi comme un rêve. Il reste bien quelque chose de ma vie réelle d’hiver, mais ce sont plutôt des visions, tantôt agréables, tantôt désagréables, d’un monde inepte quel- conque, que ne guide pas le bon sens. Parmi ces visions se trouve aussi- votre beau trotteur. Je vous en suis très reconnaissant. Ou faut-il envoyer l’argent? Je vous prie de me réserver aussi les trois autres étalons; si vous y con- sentez, je les prendrai à la fin de juillet ou dans les premiers jours d’août. Écrivez-moi, je vous prie, de quelle couleur sont les deux éta- lons de Granite dont vous m’avez parlé, et quel est leur dernier prix? lls me séduisent beaucoup. Je me pré_pare à partir, le l" juin, 9. 102 CORRESPONDANCE INÉDITE a Khrénovaia', pour quelques jours, et ma famille a Moscou. Écrivez, je vous prie, à P. Borissov, qu’il vienne chez nous. L`événement qui mo préoc- cupe le plus, pour le moment, c’est l’examen de Serge, qui commence le 27. Quel été terrible! Chez nous, les bois font peur à voir, surtout les jeunes rejetons. Tout est perdu. Les marchands commencent déjà à marchander le blé. Évidemment, l’année sera mauvaise. Notre salut à Marie Pétrovna. Vôtre, ' L. Tonsroï., A 18 mai 4876. J’ai tardé à répondre à votre longue et cor- diale le_ttre, parce que tout ce temps j’ai été. ` malade et de mauvaise humeur, et maintenant aussit; toutefois, j'écrirai quelques lignes. Notre ' maison. est pleine d’amis : la nièce, M’"° Na- ` L Ville célèbre parîses haras. LETTBES A l•`ET l03· jornaia et ses deux enfants; les Kouzminski et leurs quatre enfants; et Sophie est tou_jours malade, et nloi, triste et stupide. Mon seul espoir est dans le beau temps, mais il 116 vient pas. Puisque nous nous ressemblons, vous devez connaître cet état : tantôt on se sent dieu, et il n’y a rien de caché pour soi; tantôt on est plus stupide qu’un cheval; et, mainte- nant, je suis précisément dans cel; état. Alors, ne m’en veuillez pasjusqu’a la prochaine lettre.. Vôtre, ` L. ToLs·l‘oî. _ 21 juillet 1876. . j Cher Afanassi Afanassiévitcll, Je suis bien coupable envers vous d'être· resté si longtemps sans vous écrire. Chaque jour, je m’apprêtais à le faire, et chaque jour `le temps me manquait, précisément parce que je ne fais rien. Le pren1iel· sujet de conversa- tion avec vous, et le plus intéressant, c·’est Pierre Borissov. Dans une lettre, bien entendu,. — on ne peut tout dire (j’espère que nous nous104 CORRESPONDANCE INÉDITE verrons bientôt), mais il m’a beaucoup plu, surtout parce qu`i| unit deux qualités rares 2 l`esprit et la simplicité. J`avais particulière- ment peur pour la dernière, mais, sous ce rap- port, il a beaucoup changé à son avantage. Maintenant, comment faire pour vous voir? Si vous n’aviez pas changé vos projets d’aller, au mois d’août a Graïvoronka, je désirerais beaucoup vous y accompagner. Pour cela, il ` me faut savoir g ’l° si vous voulez que j’y aille · avec vous; 2° la date exacte de votre départ; 3° la durée de votre voyage ? Comment va votre santé? Les dernières nou·= velles étaient bonnes. Il y a une semaine, j’ai eu la visite de Strakhov, avec lequel, en parlant de vous sans cesse, j'ai philosophe à la chasse. Si Dieu permet que nous allions a Graïvoronka, nous chargerons Pétia de la police, pour qu’il ne nous permette pas de causer en route ni de philosophie, ni de poésie, pour qu’il ne soit? pas dit un mot ni de L. N. Tolstoï, ni de Fet. Léon N ikolaiévitch est l'ami de Fet l.’hiver; l’été est aux amis peut-être encore plus grands: les propriétaires Tolstoï et Chinchine. LETTRES A FET 105 Notre salut à Marie Pétrovna. Je serre la main de Pierre Afanassiévitch. Je voudrais entendre ses récits sur l'Herzegovin0, a l`existence de laquelle je ne crois pas. J’ai l'intention de partir en septembre à Sa- mara. Si Pierre Afanassiévitch n’a aucun plan pour septembre, ne voudra—t-il pas venir avec moi pour voir les Kirghiiis et leurs chevaux. Comme ce serait gai! Mon neveu m’accompagnera. Vôtre, L. ToLs·roi. U 13 novembre 1876. Pourquoi si longtemps sans nouvelles de vous, cher Afanassi Afanassiévitch? Étes-vous en bonne santé? (Test lo principal. Je suis allé a Moscou pour apprendre des nouvelles de la guerre. Tout cela m’émotionne beaucoup. C’est bon pour ceux à qui tout cela est clair, mais je suis épouvante quand je commence à penser à toute ta complexité des conditions dans les- quelles s’accomplit l’histoire: c’est comme une 406 CORRESPONDANCE INÉDITE dame quelconque, M‘"° A..., avec son ambition et sa fausse compassion pour quelque chose de vague, et c`est un rouage complètement inu- tile dans toute cette machine! Plaignez—moi pour deux choses : cette ca- naille de cocher a emmené les étalons à Sa- mara; ai quinze verstes avant d’arriver, il a fait noyer Gounib dans une mare qu’il a voulu traverser pour abréger la route. Deuxième- ment, parce que je dois écrire et ne le puis pas.

  • Je me méprise pour ma paresse, et ne me per-

mets pas de m’atteler a une autre besogne quelconque. Nos saluts à Marie Pétrovna et à Olenka. Vôtre, · L. 'l`oLs·roï. 7 décembre 1876. Votre lettre, avec le poème, m’est arrivée par le même courrier qui m’appor'tait le recueil dc vos œuvres que j’ai fait venir de Moscou. Ce poème, ron seulement est digne de vous, ' mais il est particulièrement beau, avec ce· ca-LETTRES A FET 107 ractère philosophique et poétique que j`atten— dais de vous. C`est beau ces étoiles qui parlent, et surtout est belle la dernière strophe. C`est beau aussi, —— c’est la remarque de 1na femme, —— que, sur le même feuillet ou est écrit ce poème, soit exprimé le regret que le pétrole coûte douze kopeks. C'est l.’indice secondaire, mais sur d’un vrai poète. Avec vos œuvres, j’ai fait venir celles de Tutchev, de Bariatinsky et d’Alexis Tolstoï. Pour ce qui est de la compagnie de Tutchcv, je suis sûr, que vous en êtes co11tent.Baria— tinsky aussi ne vous fera pas honte; c’est un · vrai poète, bien qu’il ait peu de beauté et . d’élégance; toutefois, il a des choses très bicn. Peu à peu, je me remets à écrire et suis très content de mon sort.

  • M janvier 1877.
 Cher Afanassi Afanassiévitch,
 Péché avoué, péché à demi pardonné, et

l moi je me sens coupable envers vous autant i qu’on peut Petro. Mais, vraiment, à Moscou, 108 CORRESPONDANCE INÉDITE je une trouve dans des conditions d’irresponsa- bilité : les nerts sont détraqués, les heures se transforment en minutes, et, comme exprès. viennent des gens dont je n’ai que faire, qui m'en1pèchent de voir celui que _j’ai besoin de voir. Pendant les fêtes, Strakhov était chez nous, et les oreilles ont dû vous sonner. Nous avons souvent parlé de vous, et nous nous sommes rappelé vos paroles, vos idées et vos vers. Je lui ai lu votre dernier poème : Parmi les etoiles, dans votre lettre; il l’a admiré autant que moi. Nous l’avons relu encore une fois dans le Mes- sager russe. C/est un des meilleurs poèmes en vers que jc connaisse. Strakhov et moi avons souvent parlé de vous, parce que nous sommes tous trois des parents spirituels. Que fait votre service? Y a—t—il espoir d’une promotion? Que fait Pierre Atanassiévitch? N’avez-vous point de nouvelles de lui? Notre salut a Marie Pétrovna et à Olenka. Ne nous oubliez pas. Ne m’en veuillez pas, et aimez—nous comme nous vous aimons. Vôtre, L. Tonsroï. LETTRES A FET IOS) U mars 1877. Cher Afanassi Alanassievitch, Depuis longtemps, je n’ai pas de vos nou- velles, et il me manque quelque chose et suis triste. ’ Écrivez-moi, je vous prie, comment se portent votre santé et votre état d’esprit. Je vous envoie quelques poèmes d’un jeune homme de dix-huit ans. Qu’en direz- vous? Lisez-les attentivement, je vous prie, et donnez—m’en votre opinion. Chez nous, tout va bien. Vôtre, ’ L. Tonsroï. 23 mars 1877. Cher Afanassi Afanassiévitch , Vous ne sauriez croire quel plaisir me font ces louanges de mes écrits et, en général, vos lettres. l ` 40 H0 CORRESPONDANCE INÉDITE Vous m’écrivez que le Messager russe a pu- blié un poème quelconque et que votre « Ten- tation » est chez eux. Il n'y a pas de rédaction plus stupide et plus inerte que celle—ci. Ils me dégoûtent atlreusement, non pour moi mais pour les autres. Comment passer aux Cosaques? Avec quel grade? Et pourquoi à Biélaia—Tserkov‘! Expli- quez-moi tout cela, vous savez que Pierre ` Afanassiévitch m’ intéresse beaucoup. Ma tète va mieux; et plus elle va mieux, plus je travaille. Mars et Avril sont mes meilleurs mois pour le travail et je conti- nue de penser faussement que j’écris quelque chose de très important, bien que je sache que dans un mois j’aurai honte a me le rap- peler. Avez-vous remarqué que maintenant, tout d’un coup, tout le monde écrit des vers, de très mauvais, c’est vrai, mais tout le monde écrit. Cent nouveaux poètes se sont présentés — chez moi. _ Excusez le décousu et la brièvetéide cette lettre. J’ai voulu vous écrire pour vous rappeLETTBES A FET Ml ler seulement qu’on vous aime et vous attend à Iasnaia—Poliana. Mes amities à tous les vôtres. L. Tosnroï. 14 avril 1877. Votre dernière lettre, écrite à trois reprises, Dieu merci, n’est pas perdue. Chacune de vos lettres m’est chère et surtout une comme celle- ci. Vous ne croiriez pas quel plaisir m’a fait ce que vous dites dans votre avant—derniere lettre sur l’essence de la divinité. Je suis entièrement d’accord avec vous, et je voudrais vous dire beaucoup de choses, mais on ne peut le -dire dans une lettre, le temps manque. : Vous me parlez pour la premiere fois de la divinité-Dieu, tandis que moi, depuis long- temps déjà, je pense sans cesse à ce problème essentiel. Et ne dites pas qu’on ne peut y pen- l ser: non seulement on le peut, mais on le doit. Dans =tous les siècles, les hommes les meilM2 CORRESPONDANCE INÉDITE leurs, c’est—a-dire les vrais hommes, y pense- rentÈ Et si nous ne pouvons penser comme eux, nous sommes obligés de trouver comment il faut penser. I Avez-vous lu les Pensées de Pascal, c’est—a— dire les avez-vous relues récemment? Quand vous viendrez chez moi, nous causerons de beaucoup de choses et je vous les donnerai à lire. Si _j’avais été débarrassé de mon roman, dont maintenant j'écris la tin et corrige les épreuves, à la reception de votre lettre je se- rais parti chez vous. Je ne sais·pourquoi votre dernière lettre m’a touché si vivement et m`a rappelé notre amitié; _i'ai un grand désir de vous voir. Mon poète K..., à qui j’ai ordonné d’appren- dre par cœur ce que vous écrivez de lui, sur-lc- champ Il écrit pour vous un message, très mauvais, qu’il m’a demandé de vous envoyer. Je crains qu’il ne soit plus versiticateur que poète. · `~ Quel étonnant poème de Polonski publié dans Nival Adieu, au revoir. Écrivez-moi, je vous prie, . LETTRES A FET H3 des nouvelles de votre santé, ne serait-cc que deux mots. Le salut de ma femme à vous et à Marie Pétrovna. Vôtre, L. Torsroï. te" septembre 1877. Ce matin j’ai apporté moi-même la réponse a votre lettre avec l’article, à la station Kos- lovka, et la j’ai trouvé votre lettre. J’ai avalé l’article de Bolgov et j`ai regretté seulement que ce ne soit pas un nouveau per- sonnage: ce serait un nouvel ami. J `ai envoyé l’artîcle à Strakhov. Je suis très triste à cause de vous, cher _ Afanassi Afanassiévitch, pour le sentiment qu'a dû provoquer en vous la dernière histoire dans votre famille. Mais je me console tou- jours pour moi et mes amis en pensant que tout va pour le mieux. Peut-être auriez-vous éprouvé un sentiment plus pénible. Maintenant vous êtes tranquille. 10.

  • 114 CORRESPONDANCE INÉDITE

Il est triste seulement que vos travaux ne trouvent pas de sympathie chez vous. Vôtre, L. Tonsroî. 21 septembre 1877. Cher Afanassi Afanassievitch, Que les personnes vraiment intelligentes sont donc rares en ce monde! Voilà qu`est paru M. Bolgov. Je m’en suis réjoui, et il se trans- forme en vous. On peut ne pas reconnaître l’œuvre de l’esprit envers lequel on est indif- férent, mais l’œuvre de l’esprit préféré qui se donne pour un autre, c’est aussi étrange et ridicule a voir que si moi je venais plaider de~ vant vous et, vous regardant les yeux ouverts, aftirmais que je suis l’avocat Pétrov. Je ne puis louer votre article puisqu’il me loue, mais je suis tout à fait d’accord avec lui, et j’ai un grand plaisir à lire l’analyse de mes pensées dans laquelle toutes mes idées, mes ·opini0ns, mes sympathies, mes aspirations les LETTHES A FET 115 plus intimes sont si exactement comprises et mises à leur vraie place. Je voudrais bien que l’article fût publié. Tout ce temps je chasse et m’0ccupe de Yinstallation de notre personnel pédagogique pour l’l1iver. Je suis allé à Moscou pour cher- cher un précepteur et un gouverneur. Aujour- d’hui, je me sens tout détraqué. Vous n’ecrivez rien de vous-mème, c’est donc que vous allez bien. Notre salut à Marie Pétrovna. Vôtre, L. To1.s·roï. 27 janvier 1878. Malheureusement pour moi, cher Afanassi Afanassievitcli, vos_ suppositions ne sont pas toutes fondées. Je ne suis point au travail, et si je ne vous ai pas répondu, c’est que, tous ces demiers tempsrilai été` malade; _i’ai même gardé le lit plusieurs jours. Des malaises de toutes sortes les dents, le côté; mais le résulUG CORRESPONDANCE INÉDITE tat, c`est que le temps passe, mon meilleur temps, et je ne travaille pas. Merci de ne pas me punir à cause de mon silence, et même de me récompenser par la primeur de votre poeme. ll est beau; il a ce cacl1et particulier qu’on remarque en tous vos poemes. Ils sont très serres, et leur éclat frappe de loin. On voit qu’ils ont absorbé beaucoup, beaucoup de forces poétiques; ils absorbent ces forces jusqu’à ce qu’ils se cristallisent. Ce dernier poème, les Etoiles, et encore un autre de vos derniers sont de même valeur. Quant aux détails, voici ce que j’ai Irouvé. Après l’avoir lu, _i’ai dit a ma femme : « Le poème de Fet est excellent, mais il _s’y trouve un mot mal employé. J A ce moment, elle i allailait l’enfant; mais, pendant le thé, alors qu’elle était plus tranquille, elle se mit à le lire et aussitôt m'indiqua le mot que je ne croyais pas bon}: « comme des dieux ». Strakhov m’écrit et me demande de vos nou- velles, Je lui ai donné votre adresse. Notre salut amical à Marie Pétrovna. Dieu lasse que vous vous arrangiez le mieux LETTBES A FET H7 possible, et pour longtemps; autrement ce sera ennuyeux. A bientôt. Au_iourd`hui, _j`ai peu de temps. Vôtre, L. Tonsroi. P. S. — Le principal, c`est de vous bien porter et de m`aimer comme auparavant. 25 mars 1878. Cher Afanassi Afanassiévitch, Ne m’en veuillez pas d’ètre reste si long- temps sans vous ecrire. Je suis coupable, mais vous, excellent homme, ne m’abandonnez pas, car vous savez que j’ai grand besoin de vous savoir vivant, à Boudanovka. La semaine dernière, après dix-sept ans, je suis allé a Pétersbourg pour acheter au gé- néral B... sa propriété de Samara. C’est de là—bas qu’on demande a Fet d’écrire des vers sur la mort de cet homme politique ! .Votre général est très bon, mais j’ai ren118 CORRESPONDANCE INÉDITE contre la—bas deux généraux d`Orel; c’est ter- rible! Exactement comme si on se trouvait entre deux voies quand passe un train de mar- chandises; et pour me transporter dans l’âme —de ces généraux, je dois me rappeler ou les jours exceptionnels de beuverie, ou ma plus tendre enfance. Vôtre, L. Tonsroî. l 6 avril 1878. Che1· Atanassi Afanassiévitch, J’ai reçu votre belle et longue lettre. Ne me louez pas trop. Vraiment, vous voyez ·en moi trop de bon et chez les autres trop de mauvais. Il n’y a qu’une chose de bien en moi : e’est que je vous comprends, et c’est pourquoi je vous aime. Cependant, bien que je vous `aime tel que vous etes, je me fâche toujours contre vous, parce que « Marthe se met en peine de beaucoup de choses, alors qu’une seule chose

  • est nécessaire ». Et cette seule chose est chez i

vous très forte, mais Qvous la négligez et vous LETTRES A FET ll9· adonnez toujours au billard. Ne pensez pas que je fasse allusion aux vers, bien que _j`en attende; non, ce n’est pas d’eux que je parle. Ils viendront, même avec le billard. Je pense a cette conception du monde qui permettra de ne pas se fâcher ai cause de la sottise humaine. Si l’on pouvait nous broyer dans un même mortier et en mouler ensuite deux nouveaux hommes, ce serait une belle paire. Autant il y a en vous d’attachement pour les choses de- ce monde, — de sorte que si quelque chose, par une cause quelconque, venait a se briser, vous souffririez beaucoup, — autant j’y suis indilïérent, indifférent à tel point que la vie est pour moi sans intérêt, si bien que je de- viens pénible pour les autres à force de répéter la même chose. Ne pensez pas que je devienne fou, mais je- suis de mauvaise humeur. J’espere que vous- m’aimerez quand même. Notre salut a Marie Pétrovna. Vôtre, L. Torsroî. 120 CORRESPONDANCE INEDITE 6 mai i878. Cher Afanassi Afanassiévitch, Je n'ai pas repondu tout de suite à votre lettre parce quej’étais à Moscou. ll m`est étrange de répondre a votre question sur votre arri vée chez moi. Je me réjouis de votre visite. Je n`ai pas l’intention de m’absenter, et chez nous, Dieu merci, tous se portent bien. Venez quand vous voudrez. U Je comprends parfaitement tout ce que vous A me dites de Renan, et suis de votre avis. Aus- _ sitôt que les hommes parlent de leurs idées et de leurs sentiments, tout est clair et juste. L’embrouillement provient des hommes qui n’ont pas d’idées et de sentiments à eux, mais qui veulent en parler. Notre salut à Marie Pétrovna. Vôtre', . L. Tonsroî. LETTRES A FET I2! 13 juin isis. Avant de partir a Samara, je vous écris quel- ques mots pour vous remercier de votre der- niere lettre et- vous donner ma première adresse provisoire : Samara, poste restante. De là, je vous écrirai et vous donnerai probable- ment une autre adresse quand je serai définiti- vement installé. ` Il est rare que je me réjouisse de 1`été, comme cette année. Il y a une semaine, je me suis enrhumé, suis tombé malade, et ne suis remis que d’aujourd’hui. · Demain nous partons a Nijni, et le M nous serons rendus. .l’attends vos lettres là—bas. Strakhov m’écrit qu’il viendra chez vous le 45; je m’en réjouis pour vous deux. Son petit livre est très grand par son sujet. Notre salut a Marie Pétrovna. Vôtre, L. To1.s·roî. ' M 122 CORRESPONDANCE INÉDITE

 septembre 1878.

Cher Afanassi Alfenassievitch, J’ai reçu ce jour votre dernière lettre, bien courte mais bien importante. Je vois at son ton que vous êtes de tres bonne humeur malgré que vous ayez été malade. Vous vous rappelez votre article; n’attri- buez nulle importance a mon raisonnement: l° parce que je suis un mauvais juge en écou- tant sans lire, et 2° parce que ce jour-là j’étais de très mauvaise humeur et mal portant. Quand vous le transformerez, n’oubliez pas dc corriger les transitions entre les diverses parties de l'article. On rencontre fréquemment dans vos écrits des phrases entièrement inu- tiles, par exemple: « Maintenant nous nous adresserons... », ou « Examinons, etc. » Le principal, c'est évidemment la disposi- tion des diverses parties envers le centre. Quand tout est disposé en ordre, tout ce qui est inutile tombe de soi même et l’ensemble y gagne beaucoup. LETTBES A FET 123 A son retour, Tourgueniev est passé chez nous; il s’est réjoui a la réception de votre lettre. Il est toujours le même et nous savons · déjà jusqu’à quel degré nous pouvons nous rapprocher. Je voudrais vous écrire longuement, mais je suis très perplexe : est-ce un appétit vrai ou faux ? Je désire beaucoup aller vous voir, et sûre- ment j’irai, mais j’ai encore devant moi plu- sieurs voyages très nécessaires. Aujourd’hui, je pars à l’assemblée du Zemstvo. Vôtre, L. T onsroî. _ 26 octobre 1878. Je ne sais sur quel ton commencer ma lettre, cher Afanassi Afanassievitch. Coupable, cou- pable, coupable ! Il n’y a pas d’autre mot. Bien qu'il soit toujours inutile de donner des excuses, je vous les mentionnerai cepen12i CORRESPONDANCE INÉDITE dant, parce qu’elles sont justes et vous expli- qucront mon état. Voilà déjà pres d’un mois, sinon plus, que je vis dans un tourbillon non d’événoments extérieurs (au contraire, nous sommes seuls et tranquilles}, mais d’événements intérieurs que je ne puis nommer. Je vais à la chasse, je lis, je réponds aux questions qu’on me pose, je mange, je dors, mais je ne puis rien faire, même écrire une lettre. Il y a une vingtaine de lettres aux- quelles je dois répondre. Aujourd’hui, je me sens un peu remis et vous écris aussitôt. Chez nous, Dieu merci, tout va bien, et tous sont en bonne santé. La vie habituelle de l'hiver, avec l’éducation toujours plus difficile et l'ins- truction des enfants, marche comme aupara- vant. Nous sommes tous tros occupés: ma femme par des choses nettes et délinies, moi par les choses les plus vagues, si bien que j’ai toujours conscience de mon oisiveté, et en suis honteux alors que tous autour de moitravail- lent, Vous avez sans doute terminé la correction LETTHES A FET t25 de votre article, et si vous êtes en bonne santé, vous vous occupez déja d’autre chose. Si vous m`avez pardonné, donnezmoi de vos nouvelles; à en juger par votre dernière lettre, votre sante menace de se gâter. Parlez- moi aussi de votre travail moral. Je vous en prie, ne soyez pas fâche contre moi. Nous vous aimons toujours comme aupa- ravant, et si je ne suis pas exact, ce n’est ' qu'un détail de mon caractère. J’ajourne de nouveau mon voyage chez vous. Pour le moment, je ne suis bon a rien. Mais si Dieu me permet de travailler et gie me fatiguer de travail cet hiver, si vous m’invitez, j’irai me reposer chez vous. Ma femme vous salue ainsi que·Marie Pé- trovna. Vôtre, L. Torsroï.

ll. 426 CORRESPONDANCE INEDITE 22 novembre 4878. Cher Afanassi Afanassiévitcli, J'irai a Moscou et ferai mettre en tête de mon papier à lettre « Coupable ». Cependant, il me semble que je ne suis pas coupable de ne pas vous avoir répondu à la lettre dans laquelle vous exprimiez le désir de venir. Je me rappelle m’être réjoui à cette nouvelle, et vous avoir répondu immédiatement. Et si ne l'ai pas fait, je vous en supplie, ne m'en punissez pas, mais venez. Si Dieu l=e permet, t il y aura de la neige, sinon nous enverrons la voiture à Iassenki. Il y a si longtemps que nous · ne nous sommes vus ! ` Maintenant, autre chose. Votre poème esttrès beau. Sur vous, comme homme, ami et poète, ma femme et moi sommes toujours d’accord. Chez nous, Dieu merci, tout va bien, et tous sont en bonne santé. Hier, j'ai reçu une lettre de Tourgueniev, et j’·ai décidé de me tenir le plus loin possible de lui et du péché. C’est un homme tres désagréable. 0 LETTRES A FET 127 Je vous félicite pour votre jour de nais- sance; je n’oublierai pas également de vous _féliciter le 23, et je désire pouvoir le faire une douzaine de fois. Il n’en faut pas plus ni pour moi ni pour vous. Au revoir. Vôtre, L. Torsroî. 1" février 1879. Cher Afanassi Afanassiévitch, ll y a deja une semaine quej’ai reçu votre lettre, particulièrement bonne, accompagnée d’un très bon mais pas excellent poeme. Je ne vous ai pas répondu aussitôt, parce que, le croiriez-vous, depuis, je ne suis pas encore remis de mon malaise ; au_iourd’hui seulement je commence ài aller mieux: ma tete est fraîche, mais je ne sors pas encore. Le vrai, des! ce qui est vrai. C’est la plus grande vé- rité. Mais le vrai, de même que cette vérité, on ne peut le pteuver, il faut le guetter, y ar128 CORRESPONDANCE INEDITE river, et s’apercevoir qu’on ue peut aller plus loin. Votre dernier poème ne m`a pas plu autant que les précédents, ni par la forme ni par le sujet, avec lequel je ne suis pas d`accord, comme on peut être en désaccord dans une question d’une telle importance. ll y a un récit de Jules Verne: Le voyage autour de la lune. Il se t1·ouve là-bas un point où n’existe pas l'attraction. Peut—on d'un point pareil faire un bond? Ceux qui connaissent la physique y répondent différemment. De même dans notre supposition, il faut répondre diffé- remment, parce que la situation est impossible, pas humaine. Mais la question morale est admirablement posée, et je réponds a cette question autrement que vous. Je ne voudrais pas retourner dans le tombeau. Pour moi, avec la destruction de toute vie, outre moi tout n’est pas encore terminé. Il me reste encore mon rapport envers Dieu, c’est—à- dire une manière d’ètre envers cette force qui m’a produit, qui m’a appelé à elle, et qui me détruira ou me transformera. ' LETTRES A FET 129 Votre poème est beau de ce fait seul que je l’ai lu aux enfants, dont quelques—uns s`inté— ressent à la peste, et ce poeme, repondant a leur terreur, les a touches. Que ·Dieu vous donne la santé et la tranquil· lité morale, et tâchez de reconnaître la neces- site de votre rapport envers Dieu, ce que vous niez si brillamment dans ce poème. Vôtre, I L. 'l`OLSTOl. 16 février 1879. Cher Atanassi Afanassievitch, Je suis toujours malade, c’est pourquoi je n’ai pas répondu plus tôt à votre lettre, avec cc magnifique poème. C’est tout a fait beau. Si quelque jour il se brise, tombe en miettes et qu`on en retrouve un petit fragment: « En lui, il y a trop de larmes », alors on mettra ce fragment dans un musée et on s'en instruira. Je ne vais ui bien ni mal, mais je n’ai pas cette vigilance spirituelle et morale qui m'est 130 CORRESPONDANCE INÉDITE nécessaire. Ce n’est pas comme vous. Envoyez- moi encore vos vers. C’est etrange comme les raisonnements sont ~ peu convaincants! Dans ma dernière lettre, je vous ai écrit que je n’étais pas d’accord avec l'idée de votre der- nier poème, que je ne voudrais pas retourner au tombeau puisqu’il resterait encore mon rap- port envers Dieu. A cela vous n`avez rien ré- pondu. Répondez—moi je vous prie. Si cela vous paraît tout simplement absurde, dites-le moi. Que Dieu vous donne meilleure santé. Mes saluts à Marie Pétrovna. Vôtre, L. Tonsïoî. 4 · 25 mars 4879. Cher Afanassi Afanassîévitch, J'ai honte de mon silence ou dela brièveté de mes lettres quil pourrait vous faire croire que _ LETTRES A FET 131 je suis un homme très occupé, tandis que je n`ai pas le droit de le dire, puisque je fais quel- que chose qui ne laisse aucune trace en dehors de moi. Chez nous, tout va bien; je me réjouis qu’il en soit de même chez vous. Je suis allé a Moscou; fai réuni des matériaux, je me suis agacé et j`ai attrapé un rhume. Iuriev demande votre collaboration dans sa revue ‘. On l’a au- torisé de l’éditer. J 'ai failli venir chez vous. Je voulais aller à Kiev et chez vous. J’ai remis ce voyage, mais sije reste en vie, je me ferai ce plaisir. Portez—vous bien et aimez-nous comme nous vous aimons. Vôtre, ` __ L. Torsroi. 17 avril 1879. C Il y a une prière où l’on dit : « Ce ne sont pas mes mérites mais ta miséricorde! » Cela sapplique à vous. J’ai recu une autre bonne et longue lettre de vous. J ’irai certainement a 1. La Pensée russe. . 132 CORRESPONDANCE INEDITE Kiev et à Vorobievka, très prochainement, et alors je vous raconterai tout. Maintenant, je ne répondrai qu`a vos questions. · Mes Décenzbristcs *! Dieu sait où ils sont! Je n`y pense même pas et si j’y pensais, si _]`éerivais, je me llatte de l'espoir que l`odeur de mon seul esprit serait insupportable la ceux qui tirent sur les hommes pour le bien de l’l1u- manité. Mais je dois vous dire que je ne lis pas de journaux, et que je considère même comme un devoir de détourner tous de cette funeste habitude. Voici un homme vrai, un brave homme, il est assis chez lui, a Vorobiovka, il a digéré deux ou trois pages de Schopenhauer, il les a tra- duites en russe, il a terminé une partie de billard, il a tiré une bécassine, admire les pou- lains de Zakrass, il est avec sa femme, il boit un bon the, fume, il est aimé de tous et aime tous, et tout à coup on lui apporte une feuille humide, puante; elle est désagréable au tou- cher, fait mal aux yeux et soulève dans le cœur 1. Roman que Tolstoï n`a jamais achevé. LETTRES A FET 133 la colère, la misanthropie, la conscience qu’on n'aime personne et que personne ne vous aime, et il commence à parler, a discuter, à se fâcher, à souffrir. Il faut laisser cela. C’est beaucoup mieux. Au revoir. Nos saluts à Marie Pétrovna. Vôtre, L. Toisroî. 25 mai 1879. i Cher Atanassi Afanassiévitch, Je vous remercie de ne pas m’oublier. Je vous en prie, ne m'en veuillez pas si j’a_journe encore mon voyage chez vous. Je ne saurais dire ce qui, jusqu’à présent, m'en a empêché, car il n’y a rien `de sérieux, mais toujours ide petites choses; Au_jourd’hui, les précepteurs sont partis; demain, il faut aller a Toula, et causer au lycée à propos des examens, ensuite c’est une petite indisposition, etc. Mais la cause princi- pale c'est cependant les examens des enfants : on ne fait rien, il est vrai, mais on a le désir de l2 134 CORRESPONDANCE INÉDITE faire quelque chose. Les examens ne se passent pas tout à fait bien. Serge, par son étourderie et son manque d·’habitude, fait des fautes aux compositions écrites, et il n’y a plus moyen d`y remédier. Mainterant l’examen est plus qu`à moitié passé et _j’espère que plus rien ne me retiendra. Une des causes, c'est le beau prin- temps. Il y a longtemps que je n`ai joui de la nature comme cette année. On est debout, la bouche ouverte, on admire, on craint de faire »· le moindre mouvement pour ne laisser échap- per quelque chose. Chez nous, Dieu merci, tout va bien. Ma femme est partie à Toula avec les enfants, moi je lis de bns livres, et ensuite _j’irai faire une promenade de quatre heures. Ne vous dérangez pas, je vous prie, à cause de moi, et faites ce que vous avez à faire. Si je viens chez vous et ne vous trouve pas (ce qui n’a1·rivera pas), ce sera bien fait pour moi. Une autre fois, je viendrai à temps. Nos saluts à Marie Pétrovna. Vôtre, L. Tonsroï LETTRES A FET 135 · 13 juillet l8în_ ' Cher Afanassi Afanassiéviteh, Ne m'en veuillez pas si je ne vous ai pas écrit pour vous remercier de la belle journée que j'ai passée chez vous et si je n`ai pas ré- pondu a votre dernière lettre. C’est probable- _ ment vrai que je n’étais pas de bonne humeur chez vous (excusez-m'en) mais, pour le moment, je suis toujours de mauvaise humeur. Je me tourmente, je souffre, je travaille, je tâche à me corriger, je m’in_iurie et je me demande si je ne ferai pas comme le défunt Vassili Pétro- vitch *, si je ne mourrai pas avant de combler la lacune. Et cependant je ne puis pas ne pas fouiller en moi-même. Chez nous, il y a toujours la rougeole: la moitié des enfants a été malade et nous atten- dons que l'autre moitié le devienne. Quand irez-vous àMosc0u ? Seulement Dieu fasse que ce nesoit par raison de santé, ce serait bien 1. Botkine. 136 CORRESPONDANCE INÉDITE pour des vis quelconques de machines, eten route vous viendriez chez nous. Notre salut a Marie Pétrovna. Vôtre, L. 'l`o1.s1·oï. 28 juillet 1819. Merci de votre dernière et bonne lettre, cher Afanassi Afanassiévitch, merci aussi de Vapo- logue du Faucon, qui me plaît beaucoup, mais à propos duquel je désirerais avoir quelques explications. Si ce Faucon, c'est moi, et si, comme il résulte, mon vol est trop- lointain et consisle en cela que je nie la vie réelle, alors je dois me justifier. Je ne nie pas la vie réelle non plus que le travail nécessaire pour soutenir cette vie. Mais il me semble que la plus grande partie de ma vie et de la vôtre est remplie par la satisfaction de besoins non naturels, mais de ceux qui nous sont donnés artilieiellement par Féducation ou que nous inventons nous—mêmes et qui se sont transformés en habitude. Si bien LETTRES A FET 137 que les neuf—dixièmes du travail que nous de- pensons à les satisfaire est inutile. Je voudrais bien être fermement convaincu queje donne aux hommes plus que _j’en reçois. mais étant tres enclin a estimer très fort mon travail et peu celui des autres, je n'espère pas me convaincre de l`impartialite des autres en comptant avec moi l’estimation de leur travail, parce qu`ils ont choisi le travail le plus pénible (je-suis entièrement convaincu que mon travail préféré est le plus utile et le plus difficile). Je désirerais peut—être le moins possible des autres et travaillerais le moins possible a la satisfac- tion de mes besoins, et je pense que c’est le meilleur moyen de ne pas se tromper. Je re- grette beaucoup que votre santé ne soit pas encore rétablie, mais je suis heureux que vous soyez en bonne disposition d`esprit, ce que je vois par vos lettres. Je vous embrasse de tout cœur et vous prie de transmettre nos amitiés a Marie Pétrovna. 4 12. l38 CORRESPONDANCE INÉDITE 31 août 1819. I Cher Afanassi Afanassiévitch, Naturellement je suis encore coupable envers vous, mais assurément ce n’est pas faute de vous aimer et de penser à vous. Strakhov et moi n’avons cessé de parler de vous. Nous vous avons jugé et discuté comme nous le faisons toujours l’un de l’aut11e. Dieu fasse qu’on parle ainsi de moi. Strakhov est tres content de son séjour chez vous et encore davantage de votre traduction. Je suis content de vous avoir recommandé la lecture des Mille et une Nuits et de Pascal. , Je ne dis pas que cela vous plaira, mais c’est « bien pour vous. Maintenant, je veux vous con- seiller un livre que personne n’a encore lu, que je viens de lire moi—même pour la première fois,- et que je relis en poussant des oh! de joie. J’espère qu’il correspondra parfaitement à votre état d'âme, d’autant plus qu’il a beau- coup de ressemblance avec Schopenhauer. Ce LETTRES A FET i39 sont les proverbes de Salomon, l’Ecclesiaste et le livre de la Sagesse. Il est difficile de lire rien de plus nouveau. Mais si vous le lisez, lisez-le cn slave; j’ai la nouvelle traduc- tion russe, mais elle est très mauvaise. La traduction anglaise ne vaut également rien. Si vous aviez le texte que j`ai, vous verriez ce que c`est. Saluez de ma pa1·t Petia Borissov et conseil- lez-lui de ma part de lire en grec et de com- parer avec les traductions. . Tout à l’beure je me- promenais et pensais à Petia. Je ne sais pas ce qu’il lui faut encore apprendre, mais je sais qu`avec ce qu’il connaît déjà je puis lui proposer quatre occu- pations à chacune desquelles il faut consa- crer toute une vie ·et dont le résultat heureux, bien qifincomplet, mériterait la reconnais- sance de tout Russe, aussi longtemps que vivra la Russie. Après lïarrivée de Strakhov les visiteurs se sont succédé chez moi, on a j0ué`la comédie; c’etait un tohu—bohu inima- ginable. On a sorti trente-quatre draps pour les invités, nous étions trente à table, et tout t40 CORRESPONDANCE INÉDITE s’est bien passé. Tous étaient très gais et moi aussi. Notre salut amical à Marie Pétrovna. Vôtre, L. ToLsToî. 3t mai 1880. Cher Afanassi Afanassiévitch, l Avant de vous dire combien j’ai honte de- vant vous, combien je me sens coupable, je dois vous remercier de votre bonne lettre, particulièrement spirituelle. Vous avez sujet d’ètre mécontent de moi et au lieu de m`exprimer vos griefs, ce qui serait très naturel, vous m’avez exposé les causes de votre mécontentement, de bonne humeur, et principalement de telle façon que j’ai senti que, malgré tout, vous m’aimez. Votre lettre a éveillé en moi un sentiment d’attendrissement et de lionte pour ma négli- gence, rien de plus. Voici ce qu’il y avait et voici ma dernière LETTRES A FET _ I IM impression sur nos relations. Vous m`avez écrit comme toujours; moi comme toujours _j’ai reçu vos lettres avec joie ; mais nou comme toujours (avec une négligence encore- plus grande que d'habitude, a cause de mes occupations particulierement absorbantcs de cette annee) je vous ai répondu. Mais avant le printemps _j`ai reçu de vous une lettre de“ laquelle je vis que vous me trouviez coupable de quelque chose. Ma faute, la seule, et pas vraie en ce qui vous concerne, fut de ne [as vous répondre aussitôt (ce que je voulais fai: el pour vous demander ce que vous aviez à me reprocher. Ainsi mes occupations nfexcusent un peu et je vous prie de me pa_rdonner. Quant a la faute initiale, principale, celle que vous jugez telle, ce doit être de ne pas vous avoir répondu a votre proposition de venir et lasnaia. Je n'en suis nullement responsable. Est-ce'queje n’ai pas compris; ai—jc omis cc passage, ou l’ai—je complètement oublié ? En tout cas l’expression de votre désir de venir chez moi m’a échappé. h Je vous écris tout cela parce que je sais que M2 CORRESPONDANCE INÉDITE vous croirez que c'est l’exacte vérilé. Comment est-ce arrivé? Je l`ignore, mais je n°en suis pas coupable. Je ne suis pas coupable, parce que je lis toujours vos lettres plusieurs fois, en suivant attentivement chaque mot. Je ne suis certainement pas coupable, parce que je n’aurais pu me taire et ne pas saisir avec joie ’ votre proposition de venir chez moi. En tout eas, pardonnez—moi, et gardez vos sentiments pour moi, de même que je ne changerai pas lus miens pour vous tant que nous vivrons ; et je vous remercie beaucoup pour votre lettre. Maintenant je me sens bien, parce que j’espère fermement que je recevrai de vous une bonne nouvelle, et peut-être me montrerez vous que vous me pardonnez tout à fait en venant chez nous. Ma femme vous salue. Elle a senti la même chose que moi à. votre égard, mais encore plus fortement. Vôtre, L. Tonswoî.

 U LETTRES A FET lil}

S juillet 'lâirél). Cher Afanassi Afanassievitcl1, Strakhov m`écrit qu’il a voulu remplir ma demande de détruire en vous toute mauvaise disposition a mon égard ou tout mécontente- ment quel qu’il soit, mais que sa tâche était tout a fait superflue. Il ne pouvait m’écrire rien de plus agréable. Et c'est la même chose que je sens dans votre lettre. Pour moi, c'est le principal, et ce sera encore mieux quand, sui- vant la vieille habitude, vous viendrez chez nous. Ma femme et moi attendons cet événe- ment avec joie. Maintenant, c’est l’été et l'été délicieux, je suis fou de la vie au point `d’oublier mon tra- vail. Cette année, j`ai lutté longtemps, mais la beauté de la nature m’a va.incu, et je me , réjouis de la vie; il ne mo faut presque rien de plus.

 Notre maison est pleine d’amis. Les enfants
 jouent des comédies; ils emplissent tout de
 bruit et de gaîté ; j’ai trouvé à grand'peine un

l M4 CORRESPONDANCE INÉDITE petit coin, et saisi un moment pour vous écrire un mol. i Ainsi, je vous en prie, aimez-nous comme auparavant, aimez-nous comme nous vous aimons. Notre salut à Ma1·ie Petrovna. Vôtre, L. ToLsToï. 26 septembre 1880. Cher Afanassi Atanassiévitch, Strakhov m’écrit que vous vous plaignez de moi. Plaignez-moi, injuriez—moi, ce sera bien fait pour moi, j’en serai content. Mais auparavant, écrivez-moi que vous venez chez moi et m’aimez. Comment va votre Schopen- hauer? Je l'attends avec un grand intérêt. Je travaille beaucoup. Chez nous, tout le monde va bien. Ma femme vous salue. Nos compli- ments à Marie Pétrovna. Vôtre, L. ToLs·roï.

12 mai 1881.
Cher Afanassi Afanassiévitch,

Je me rappelle qu’en recevant votre lettre j’ai été étonné de vous voir penser à des dates si lointaines comme le 12 mai. Cela m’avait paru particulièrement étrange, car ce jour-là précisément j’apprenais la mort de Dostoievski. Et voici le 12 mai et nous sommes en vie !

Je vous en prie, excusez mon silence et ne punissez pas ma femme et moi en ajournant votre visite chez nous. Ne m’en veuillez pas. J’ai travaillé beaucoup et cette année j’ai beaucoup vieilli, mais je ne saurais être accusé de me détacher de vous.

Vôtre,
L. Tolstoï.




  1. Surnom donné au frère de L. Tolstoï, Nicolas.
  2. La femme de Fet.
  3. Titre d’une nouvelle de Tourgueniev.
  4. Id.
  5. Tolstoï avait eu à son service un paysan, Ufan, dont il admirait la façon de travailler, et il nomma Ufanstvo toute l’agriculture.
  6. Propriété de Tourgueniev où se trouvait en ce moment Tolstoï.
  7. Domaine de Fet.
  8. Cette lettre fut écrite à la suite d’une querelle grave qui eut lieu entre Tolstoï et Tourgueniev, dans la maison de Fet.
  9. Deux célèbres nouvelles du comte Tolstoï.
  10. Le récit Kholstomier.
  11. La comtesse Tolstoï.
  12. Fils aîné du comte L. Tolstoï.
  13. Botkine.
  14. Tolstoï et Fet s’étaient entendus pour l’échange de deux objets : Fet donnait à Tolstoï un cheval de quatre ans, et Tolstoï lui donnait une semeuse.
  15. Fet construisait une bicyclette — entreprise que du reste il ne put mener à bien.
  16. Il s’agit de Guerre et Paix.
  17. Les Tolstoï avaient beaucoup ri d’un récit pittoresque de Fet sur l’arrivée au théâtre de propriétaires très riches accompagnés d’un valet en livrée à col de peau de chien, mangé par les mites.
  18. Titre primitif de Guerre et Paix.
  19. De Guerre et Paix.
  20. Écrivain et éditeur russe très connu.