Correspondance inédite de Hector Berlioz/024

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 122-123).
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XXIV.

À MAURICE SCHLESINGER.


Paris, 7 janvier 1838.

Mon cher Maurice,

Il me faut absolument du repos et un abri contre les albums. Voici bientôt quinze jours que je cherche inutilement trois heures pour rêver à loisir à l’ouverture de mon opéra[1] ; ne pouvoir les obtenir est un supplice dont vous n’avez pas d’idée et qui m’est absolument insupportable. Je vous préviens donc que, dussé-je vivre de pain et d’eau, jusqu’au moment où ma partition sera finie, je ne veux plus entendre parler de critique d’aucune espèce. Meyerbeer, Liszt, Chopin et Kalkbrenner n’ont pas besoin de mes éloges. Vos albums, je le sais, contiennent d’ailleurs plusieurs morceaux charmants dont vous ne parlez pas, et dont vous ne me citez pas même les auteurs. Mais je suis poussé à bout ; je veux pendant quelque temps, assez de loisir et de liberté pour finir mon ouvrage ; je veux être artiste enfin ; je redeviendrai galérien après. Jusque-là qu’on ne me parle plus de critique d’aucune espèce ; je suis obsédé, abîmé, exterminé. Gardez-vous donc de venir me relancer dans ma tanière, ce serait d’une révoltante inhumanité. Je n’ai jamais compté parmi les apologistes du suicide ; mais j’ai là une paire de pistolets chargés, et, dans l’état d’exaspération où vous pourriez me mettre, je serais capable de vous brûler la cervelle.

Votre tout dévoué ami.

  1. L’opéra de Benvenuto Cellini.