Correspondance inédite de Hector Berlioz/036

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 153-154).
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XXXVI.

À M. AUGUSTE MOREL.


Londres, 31 novembre [1847]. Harley street, 76.

Mon cher Morel,

Jullien me charge de vous écrire confidentiellement pour savoir de vous la vérité sur le succès de l’opéra de Verdi[1]. Peu importe le mérite de l’œuvre, c’est une question de directeur que je vous transmets.

Nous n’ouvrirons pas avant huit jours ; la Fiancée de Lammermoor par madame Gras et Reeves ne peut à mon sens manquer de bien marcher. Reeves a une jolie voix naturelle et il chante aussi bien que cette effroyable langue anglaise puisse permettre de chanter.

Le baryton Withworth est moins bien ; nous attendons tous les jours Staudigl. On monte, en attendant, l’opéra de Balfe. L’orchestre est superbe, et, à part quelques imperfections de justesse dans les instruments à vent, on n’en trouverait guère de meilleur. Nous avons 120 choristes qui vont bien aussi. Tout ce monde m’a fait un accueil très chaleureux, le jour où Jullien a fait jouer dans un de ses concerts l’Invitation à la valse. L’orchestre m’a fait une ovation et le public a redemandé le morceau de… Weber ! et puis nous avons bien des artistes français et allemands et italiens qui me connaissaient déjà et me sont tout dévoués. Tels sont Tolbecque, Rousselot, Sainton, Piatti, Eisenbaum, Beauman, etc., etc. Je ne commencerai mes concerts qu’au mois de janvier.

Maintenant seriez-vous assez bon pour aller chez Th. Gautier, villa Beaujon, avenue Byron, nº 14 (pardon de la course), lui demander une réponse à la lettre que je lui écrivis il y a plus de quinze jours ; il s’agissait d’un ballet que Jullien lui demande immédiatement pour mademoiselle Fuoco et qui doit être mis en scène par Coralli père. Jullien a besoin de savoir tout de suite si Gautier consent à le faire, à quelles conditions, et s’il peut livrer le manuscrit avant le 15 décembre.

Je vous en prie, acceptez cette corvée ; mille amitiés à Desmarest. Je m’ennuie terriblement dans le joli appartement que Jullien m’a donné. J’ai reçu pourtant force invitations depuis que je suis ici, et votre ami M. Grimblot a la bonté de me venir voir souvent. Il m’a fait recevoir de son club ; mais Dieu sait le divertissement qu’on peut trouver dans un club anglais ! Macready a donné en mon honneur un magnifique dîner, il y a huit jours ; c’est un homme charmant et point du tout prétentieux dans son intérieur. Il est terrible aux répétitions, et il a raison de se montrer tel. Je l’ai vu, l’autre jour, dans une nouvelle tragédie, Philippe d’Artevelde ; il y est superbe, et il a mis en scène la pièce d’une manière vraiment extraordinaire : personne ici n’entend comme lui l’art de grouper les masses populaires et de les faire agir. C’est admirable.

  1. Jérusalem, opéra représenté en novembre 1847 à l’Académie royale de musique de Paris.