Correspondance inédite de Hector Berlioz/046

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 175-177).
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XLVI.

À M. ALEXIS LWOFF.


Paris, 23 février 1849.

Mon cher monsieur Lwoff,

J’ai été très sensible au reproche bienveillant que vous m’adressez au commencement de votre lettre ; j’ai vu par là que vous ne saviez pas toute la reconnaissante amitié que j’ai pour vous, amitié bien vive, bien sincère et que le temps et l’absence n’altéreront pas. J’ignorais quelles étaient vos relations avec M. Lenz, et c’est la cause du silence que vous me reprochez. L’indifférence ni l’oubli n’y sont pour rien, soyez-en tout à fait persuadé.

Je me suis occupé des deux choses dont vous m’avez fait le plaisir de me parler. Meyerbeer s’était déjà, de son côté, acquitté de la commission relative à un poème nouveau.

Sans nous être donné le mot, nous sommes allés tous les deux frapper à la même porte, celle de Saint-Georges. Dès les premiers mots, Saint-Georges m’a appris que Meyerbeer vous avait répondu et envoyé en même temps le consentement du librettiste à vous livrer un opéra nouveau qu’il vient de finir. Vous devez donc être instruit de tout ce qui a trait à votre question.

Quant à l’autre travail dont Saint-Georges se chargera également, il le trouve beaucoup plus difficile et plus long que d’écrire un opéra nouveau, à cause de la nécessité de conserver la musique.

Pour refaire Ondine en trois actes, Saint-Georges demande… que vous lui procuriez une partition des voix, sans laquelle il ne peut appliquer ses nouvelles paroles à la musique. Je ne sais ce que vous penserez de la proposition ; la partition me paraît indispensable et toutes les imitations ou traductions de paroles, si fidèles qu’elles soient, ne sauraient la remplacer[1].

Saint-Georges demeure rue de Trévise, numéro 6. C’est un homme habile pour ces sortes de choses, et l’énorme succès du Val d’Andorre donne en ce moment plus d’autorité encore à son nom.

Si vous lisez la Gazette musicale et les Débats, vous devez être au courant de tout ce qui se fait chez nous en musique, cet hiver. Je ne vous en parlerai donc pas. Dimanche dernier, soit dit seulement en passant, Spontini, avec son second acte de la Vestale, a tellement enthousiasmé et bouleversé le public du Conservatoire que nous ressemblions à une assemblée de fous. J’en pleure encore en vous en parlant. Je viens de faire deux feuilletons là-dessus ; peut-être vous tomberont-ils sous les yeux : ils paraîtront ces jours-ci dans la Gazette musicale et les Débats.

Je travaille en ce moment à un grand Te Deum à deux chœurs avec orchestre et orgue obligés. Cela prend une certaine tournure. J’en ai encore pour deux mois à travailler ; il y aura sept grands morceaux.

Adieu, mon cher général ; ne m’oubliez pas plus que je ne vous oublie : je ne vous en demande pas davantage.

  1. Le libretto de M. de Saint-Georges se trouve dans la bibliothèque du château de Romany, près Kowno, en Lithuanie ; ce libretto n’a jamais été mis en musique par M. Lwoff, mort en 1870. (Renseignements communiqués par M. Wladimir Stassoff.)