Correspondance inédite de Hector Berlioz/049

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 179-181).
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XLIX.

À JOSEPH D’ORTIGUE.


Londres, 21 juin 1851. 27, Queen Anne street, Cavendish square.

Mon cher d’Ortigue,

J’ai déjà fait un rapport en faveur de M. Ducroquet ; ainsi il a tout lieu d’être content de moi. Je n’en puis dire autant du jeune homme qui touche son orgue, car je maudis ce malheureux. Il nous régale chaque jour de deux ou trois douzaines de polkas, sans compter les cavatines d’opéras bouffons ; il prend sans doute les Anglais pour des imbéciles !…

Je réponds à tes paragraphes :

1º Je ne me rappelle pas la date de l’article où il est question de la chapelle de Saint-Pétersbourg ; il a paru il y a quatre mois au moins. Va de ma part au bureau du journal ; on te le trouvera.

2º Ce n’est, je crois, que dans mon voyage d’Italie, à l’article du concours de l’Institut, que j’ai parlé de la marche de Cherubini. J’ignorais que tu eusses un livre sur le chantier. En tout cas, je serai à Paris bien avant le 31 juillet, et nous en causerons.

Tâche de lire mon second article dans les Débats ; s’il n’a pas paru à Paris aujourd’hui, il faut le guetter chaque jour. J’y raconte l’impression sans égale que j’ai reçue dernièrement dans la cathédrale de Saint-Paul, en entendant le chœur des six mille cinq cents enfants des écoles de charité, qui s’y réunissent une fois l’an. C’est, sans comparaison, la cérémonie la plus imposante, la plus babylonienne à laquelle il m’ait, jusqu’à présent, été donné d’assister. Je me sens encore ému en t’en parlant. Voilà la réalisation d’une partie de mes rêves et la preuve que la puissance des masses musicales est encore absolument inconnue. Sur le continent, du moins, on ne s’en doute pas plus que les Chinois ne se doutent de notre musique.

À ce propos, vois aussi mon article du 31 mai ; tu y trouveras une relation de ma visite à la chanteuse chinoise et à son maître de musique. Tu verras ce qu’il faut penser de ces folles inventions de quelques théoriciens savants sur une prétendue musique par quarts de ton. Il n’y a rien de bête comme un savant.

Dis à M. Arnaud que je serai bien heureux de mettre en musique une série de ses poèmes sur Jeanne d’Arc, si, pour moi aussi, une voix d’en haut se fait entendre. Qu’il tâche de faire de petites strophes ; les longs couplets et les grands vers sont mortels à la mélodie. Il faudrait pouvoir faire de cela une légende populaire, toute simple mais digne, en une foule de parties ou chansons.

Adieu ; je suis obsédé d’instruments de musique et plus encore de facteurs.

C’est la France qui l’emporte, sans comparaison possible, sur toute l’Europe. Érard, Sax et Vuillaume. Tout le reste tient plus ou moins du genre chaudron, mirliton et pochette.