Correspondance inédite de Hector Berlioz/124

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 304-305).
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CXXIV.

À M. BENNET[1].


Paris, 22 février 1864.

Voici la lettre demandée. Je suis bien aise de vous savoir à Vienne ; Théodore pourra y profiter beaucoup en étudiant avec soin les nouveaux chefs-d’œuvre d’Offenbach qu’on y joue en ce moment avec tant de succès. Vous êtes tous bien portants ? tant mieux. Quant à moi, depuis huit jours seulement, je mène une vie passable… J’ai demandé un congé illimité au Journal des Débats ; plus de feuilletons ; les Troyens m’ont enrichi assez pour que je me donne ce luxe. Je n’ai pas mis le pied dans un théâtre dit Lyrique depuis deux mois ; je n’ai vu ni Moïse, ni la Fiancée du roide Garbe, ni les merveilles du Théâtre-Italien, ni le nouveau ballet, ni rien. Je suis en train de me débattre avec la Société des concerts du Conservatoire, qui veut exécuter des fragments de Roméo et Juliette ; et moi, je ne veux pas. Qui l’emportera ? Me joueront-ils malgré moi ?… ou me convertiront-ils à leur manière de voir ?

Rappelez-moi au souvenir de votre aimable et affectueux petit monde. Je serre la main à Théodore, en lui souhaitant sérieusement d’oublier les manières parisiennes, et la conversation parisienne, et toute espèce de style parisien. Rien n’est plus bête que cette éternelle et plate blague qu’on applique à tout à Paris ; qu’il l’oublie à jamais. Il est trop grand artiste pour en tenir compte. Qu’il n’écrive pas trop, ni trop vite, ni pour trop de monde, et qu’il laisse les gens venir à lui sans leur faire trop d’avances. Adieu.

  1. Communiquée par M. Bouscatel, d’Auxerre.